Intervention de Jean-Paul Herteman

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2010 : 1ère réunion
Table ronde sur l'europe de la défense et la place de l'industrie française de défense avec les représentants du conseil des industries de défense

Jean-Paul Herteman, président du CIDEF :

En tant qu'industriel, je n'ai aucune légitimité à me prononcer sur les coupes dans le budget de la défense. Celles-ci sont peut-être incontournables, mais pour d'autres raisons que l'absence de besoins. Le monde de demain, n'en doutons pas, sera aussi dangereux que celui d'aujourd'hui. Notre préoccupation demeure de fournir à nos concitoyens les moyens d'un maximum de sécurité à long terme. Dans ce monde devenu complexe, la posture de défense d'un pays dépend, outre de ses forces armées, de sa capacité industrielle à faire face à l'évolution des menaces, à entretenir, au sens large, son système de défense et à offrir aux pays tiers et alliés des moyens de défense. Point de souveraineté sans défense. Si le budget des équipements militaires a augmenté ces dernières années, il a été divisé par deux depuis vingt ans en euros constants. Ne nous y trompons pas : en matière d'industrie de défense, il faudra compter demain, outre les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Russie, avec l'Inde et la Chine, sans parler d'Israël dont l'effort de défense est remarquable, mais la taille limitée. Si nous voulons que notre pays continue de jouer son rôle sur la scène internationale, il faut convaincre l'opinion et les hauts responsables militaires de la nécessité de poursuivre l'effort supporté par la défense en matière de recherche et de technologies stratégiques, au lieu de le sacrifier. Pour diminuer l'insupportable fardeau de la dette, nous ne gagnerons rien à réduire des dépenses qui généreront de la richesse à notre pays à moyen et long termes, afin d'obtenir une meilleure notation de la part d'agences dont la myopie n'est plus à démontrer. Permettez-moi d'illustrer ce plaidoyer pro domo par une simple anecdote : Safran reçoit aujourd'hui davantage de subventions de l'Union européenne que de la délégation générale à l'armement (DGA). Cette situation traduit, certes, la montée en puissance de l'Europe de la défense, qui n'est peut-être pas aussi floue qu'on le dit, mais aussi le niveau excessivement bas des aides françaises.

Ensuite, en ces temps difficiles, deux pistes, qui ne sont pas nouvelles, méritent selon nous d'être creusées. Pour plus d'efficacité, peut-être faut-il envisager une externalisation accrue du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires, à l'instar des Britanniques ? Notre temps n'est plus celui du Désert des Tartares : inutile d'entreposer d'importantes quantités d'armes pour parer à une hypothétique invasion des chars du Pacte de Varsovie. La logique d'emploi extensif des matériels impose de mettre l'accent sur l'entretien des matériels. Or la technicité a un coût que réduirait une meilleure coopération entre privé et public. Contrairement à ce que l'on croit ces deux mondes ne s'opposent pas. Pour exemple, en tant que président de Safran, j'ai été très bien reçu par le personnel et les syndicats de l'Atelier industriel aéronautique de Bordeaux, il y a quelques mois. Faisant le même métier, nous serons tous gagnants à des partenariats public-privé, y compris sur le plan social. S'agissant de la permanence de la maintenance des industriels en temps de guerre sur le terrain il suffirait de recourir au système des réservistes, ce qui serait une autre façon de cimenter l'unité nationale.

Enfin, l'Europe de la défense n'est pas une réponse immédiate au défi que nous devons affronter. De fait, la mutualisation des forces suppose que les États membres de l'Union s'entendent sur leur doctrine d'utilisation. La rationalisation et la mise en commun des moyens industriels sont une nécessité, mais ne nous attendons pas à des miracles, tant qu'il n'y aura pas de partage des systèmes de force. Prenons l'exemple du fameux moteur de l'A400M, que la Snecma, membre du groupe Safran, construit avec Rolls Royce. Le retard du programme de deux ans est lié à la difficulté d'obtenir la certification civile du logiciel de contrôle du moteur, théoriquement indispensable avant un premier vol. Cela n'a rien de surprenant puisque les pays partenaires de l'A400M ont confié à la société allemande MTU, la moins expérimentée d'Europe, la conception de ce logiciel qui est trois fois plus compliqué que celui de l'A380 civil.

L'Europe de la défense se construira dans la durée, à moins d'une rupture pour des causes peut-être exogènes au monde européen. Sa construction exige que les gouvernants, et donc les peuples, acceptent de penser l'indépendance dans l'interdépendance -ce qui ne doit pas se traduire par une dissémination des bureaux d'études dans chaque pays. La question se pose de savoir avec qui construire l'Europe de la défense ? Il est évident qu'elle ne se fera pas à 27... Avec les Britanniques ? Nous pouvons cheminer un peu ensemble, mais le Royaume-Uni reste une île... Son intérêt passe avant le reste. L'Europe du Sud est une piste sérieuse, en particulier l'Italie. L'Espagne n'est pas à sous-estimer au regard de ses importants efforts ces vingt dernières années en faveur des industries de défense, aéronautique et électronique. Enfin, la question de l'Allemagne relève de la sphère politique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion