Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Lellouche, représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan.
a tout d'abord rappelé les évolutions importantes que le Président Nicolas Sarkozy avait imprimées à la politique française à l'égard de l'Afghanistan depuis son élection.
En février 2008, le Président de la République a adressé à ses vingt-cinq homologues de l'OTAN une lettre appelant à une nouvelle stratégie pour l'Afghanistan, fondée notamment sur une approche globale combinant le volet sécuritaire et le développement économique, sur un transfert progressif des tâches sécuritaires aux autorités afghanes et sur la prise en compte de la dimension régionale de la crise. Cette approche intégrée a été approuvée par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN lors du sommet de Bucarest, en avril 2008, puis confirmée lors du sommet de Strasbourg en avril dernier.
Le 12 juin 2008 s'est tenue à Paris, à l'initiative de la France, une conférence sur l'Afghanistan, à l'issue de laquelle les Etats donateurs se sont engagés à hauteur de plus de 20 milliards de dollars en faveur de la reconstruction et du développement économique. Elle a été suivie, le 14 décembre 2008, par la conférence de La Celle Saint-Cloud, organisée par M. Bernard Kouchner, qui, pour la première fois, prenait en compte la dimension régionale, avec, en particulier, la présence du Pakistan. L'Iran, invité, n'a pas été présent mais a participé aux réunions ultérieures.
Dans le même temps, l'arrivée d'une nouvelle administration aux Etats-Unis a donné lieu à trois « revues » au terme desquelles la politique américaine s'articule pleinement autour de l'approche intégrée et de la dimension régionale.
Début 2009, M. Richard Holbrooke a été nommé par le Président Barack Obama envoyé spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan.
Le Royaume-Uni et l'Allemagne ont également désigné un représentant spécial.
a précisé que c'est dans ce contexte qu'il avait été désigné représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan par le Président de la République, à la fin du mois de février. Sa fonction s'exerce sous l'autorité du ministre des affaires étrangères et européennes, dans le cadre d'une mission temporaire confiée par le Président de la République. Conformément à la loi, cette mission est compatible avec un mandat parlementaire pour une période ne pouvant excéder six mois. En tout état de cause, la France maintiendra un représentant spécial au-delà de ce délai.
Aujourd'hui, une vingtaine de pays ont désigné un émissaire spécial pour l'Afghanistan.
a rappelé que, précédemment à sa nomination, il avait été chargé, par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, d'effectuer, avec M. François Lamy, député, une mission d'information sur la participation militaire française aux opérations en Afghanistan. Il s'agissait, notamment, d'assurer le suivi de l'engagement français après la réorganisation de notre dispositif décidée par le Président de la République. Nos effectifs, auparavant concentrés à Kaboul, ont été renforcés et en partie redéployés dans le district du Surobi, qui dépend du commandement régional Centre (Kaboul), sous l'autorité d'un général français, et dans la vallée de Kapisa, qui dépend, quant à elle, du commandement régional Est, sous la responsabilité d'un général américain. Parallèlement, les avions de combat français ont été déplacés du Tadjikistan vers l'Afghanistan, sur la base de Kandahar, et nos moyens aéromobiles ont été renforcés par des hélicoptères Caracal et Gazelle.
a indiqué que le rapport d'étape présenté à la fin du mois d'octobre 2008, suite à un déplacement sur place, avait mis en lumière les inconvénients de la répartition du contingent français sous l'autorité de deux commandements distincts, alors même que le déploiement hors de Kaboul l'engage dans des missions plus difficiles. D'autre part, il avait également souligné la disproportion entre les moyens, de l'ordre de 200 millions d'euros, que la France consacre à sa participation militaire, et ceux dévolus à l'aide civile, limités à 11 millions d'euros.
Le renforcement de l'effort interministériel est l'un des objectifs poursuivis par la désignation d'un représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan. L'équipe constituée autour de lui compte une douzaine de personnes, qui ne proviennent pas seulement des ministères des affaires étrangères et de la défense, mais comptent également des spécialistes du développement ou de la lutte contre la drogue.
D'ores et déjà, un quadruplement du montant de l'aide civile française en direction de l'Afghanistan a été décidé, puisqu'elle atteindra environ 40 millions d'euros en 2009. L'objectif est d'atteindre en 2010 le niveau moyen observé dans les autres pays européens comparables, compris entre 60 et 100 millions d'euros.
Un certain nombre de projets concrets ont été relancés, notamment en matière de santé et d'éducation. Il est également nécessaire de conduire des projets de développement rural au plus près de nos forces, afin que les populations constatent le lien entre la sécurité et le développement.
a ensuite indiqué que l'un des axes de l'action de la France visait à aider les autorités afghanes à prendre en charge la sécurité du pays, à travers la formation de l'armée nationale afghane et des forces de sécurité. Il a évoqué les insuffisances constatées en matière de police et précisé que, sur initiative française, la force européenne de gendarmerie serait mobilisée pour former des forces de sécurité.
La coordination de l'aide internationale constitue un deuxième enjeu majeur. M. Pierre Lellouche a cité, à ce propos, les chiffres avancés par des rapports du Congrès américain, établissant qu'à peine 20 % de cette aide est réellement dépensée sur le terrain au profit des populations. Il a ajouté qu'hormis quelques pays comme le Canada ou les Pays-Bas, peu de gouvernements étaient réellement capables d'établir avec précision le tableau de leur aide financière. Faute de contrôle opérant, l'efficacité de cette aide a été très limitée. La France a donc préparé une initiative internationale pour faire en sorte que la Banque mondiale procède à un audit de l'aide internationale en Afghanistan et dresse une première cartographie de cette aide dans ce pays : qui dépense quoi et où ?
Enfin, M. Pierre Lellouche a évoqué la préparation de l'élection présidentielle, dont le premier tour a été fixé au 20 août alors que le mandat du Président Karzaï arrive à échéance le 22 mai prochain. La France est particulièrement attentive à ce que ce processus électoral se déroule dans de bonnes conditions, avec une garantie d'égal accès des différents candidats aux médias et aux moyens publics.
a ensuite abordé l'évolution récente de la situation au Pakistan. Il a rappelé les positions que les taliban étaient parvenus à établir dans les zones tribales (Federally administered tribal areas - FATA), à la faveur du statut particulier de ces provinces, hérité de la période coloniale, qui donne peu de prises au gouvernement central. Il a souligné l'élément nouveau que constituait l'expansion des taliban vers l'est, hors des zones tribales, et la perte de contrôle des autorités d'Islamabad sur des régions comme la vallée de Swat (la province de la frontière du nord-ouest).
Il a indiqué que lors d'une conférence internationale sur l'aide au Pakistan tenue mi-avril à Tokyo, il avait fait part aux autorités pakistanaises des inquiétudes que suscitait l'accord intervenu dans la vallée de Swat avec les taliban, alors que ceux-ci n'ont pas désarmé les milices et ont imposé l'application de certains éléments de la charia. M. Richard Holbrooke n'avait pas évoqué le problème. Une semaine plus tard, le Secrétaire d'Etat américain, Mme Hillary Clinton, s'alarmait de la progression des taliban en direction d'Islamabad et des risques pour la stabilité du Pakistan, avec les conséquences qui en découleraient pour le reste du monde...
Il a ajouté que les autorités pakistanaises semblaient avoir réagi en programmant de nouvelles actions en direction des zones tribales. Il a toutefois souligné que ces actions étaient mal perçues par l'opinion publique pakistanaise, qui considère majoritairement qu'elles servent surtout les intérêts des Etats-Unis. Il a également insisté sur les divisions au sein des forces politiques pakistanaises.
a insisté sur la nécessité de l'implication de l'ensemble des acteurs internationaux concernés pour aider le Pakistan à préserver sa stabilité. La Chine, l'Inde, la Russie, l'Iran, l'Arabie Saoudite ou les Emirats Arabes Unis ont vocation à participer à un véritable « groupe de contact » qui permettrait d'agir en commun en direction du Pakistan. Le fait que la situation de la région ait été à l'ordre du jour de la réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Moscou au mois de mars, de la conférence de La Haye le 31 mars dernier, du sommet de l'OTAN à Strasbourg ou encore de la réunion des donateurs, à Tokyo, au mois d'avril, témoigne d'une prise de conscience plus affirmée, au sein de la communauté internationale, des enjeux liés à la stabilité de l'Afghanistan et du Pakistan.