Je me suis rendue en Iran du 10 au 16 avril 2010 dans le cadre de mes responsabilités de membre de l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale. Cette mission s'inscrivait dans la continuité du rapport sur le Moyen Orient que j'ai présenté en 2009.
En introduction, je voudrais aborder deux événements récents et faire part d'une crainte. Le premier est celui de la libération de Clotilde Reiss, que j'ai côtoyée pendant une semaine à l'ambassade de France à Téhéran. C'est une jeune femme d'un très fort tempérament, néanmoins marquée par sa détention et les événements des dix derniers mois. Elle s'est fait piéger, comme aurait pu l'être n'importe quel autre jeune Français. Il n'y a rien de crédible dans les affirmations qui ont été formulées à son encontre.
Le second événement est l'accord qui vient d'être annoncé entre l'Iran, la Turquie et le Brésil en matière d'enrichissement de l'uranium produit par les usines iraniennes. Il est emblématique de l'épuisement des négociations conduites par le groupe 5 + 1 depuis 2003 et de la lassitude absolue des diplomates. Ce qui a permis l'accord c'est la simultanéité du processus de remise de 1 200 kilos d'uranium faiblement enrichi à 3,5 % contre 120 kilos d'uranium enrichi à 20 %. Il souligne la volonté de l'Iran de ne rien lâcher sans un retour immédiat du produit demandé.
Ma crainte c'est que nous ne soyons entraînés dans un processus tel que celui qu'à connu l'Irak, avec des affirmations péremptoires sur des stocks cachés d'armes alors même que nous restons dans le domaine des spéculations et des questions quant au point de connaître la réalité nucléaire opérationnelle de l'Iran aujourd'hui, à court et à moyen terme.
La première conclusion qu'il convient de tirer de cela est qu'il faut être d'une très grande prudence dans nos analyses et dans nos actions.
La réélection du président Ahmadinejad en 2009 a déclenché un mouvement de contestation profond qui a créé la surprise par son ampleur. Le mouvement n'est pas structuré, il n'a ni leader, ni programme, mais révèle un mécontentement profond.
Le régime est évidemment théocratique, avec à sa tête l'ayatollah Khamenei qui concentre entre ses mains de très grands pouvoirs, exécutif, législatif et militaire. C'est donc un pouvoir fort. Le président Ahmadinejad, élu au suffrage universel direct, n'est a priori qu'un simple chef de Gouvernement à côté d'un Parlement monocaméral sans grands pouvoirs. Pourtant, Ahmadinejad s'octroie plus de pouvoirs que ce que prévoit la Constitution. Cette combinaison fait que l'Iran est dirigé par un pouvoir théocratique et militaire minoritaire -qui ne représente environ que 15 % de la population- qui s'impose par la terreur et la peur. Le régime iranien est issu d'un putsch électoral qui exerce le pouvoir par la force mais qui est faible politiquement parlant. La question qui se pose est de savoir comment mettre fin à un tel régime.
Les sanctions sont une arme à double tranchant qui peut aussi bien faire tomber le régime que le consolider en déclenchant une réaction nationaliste. Les opposants au régime demandent pour la plupart qu'on laisse aux Iraniens eux-mêmes le soin de régler le problème. Il faut donc être extrêmement prudent, même si les diplomaties occidentales sont prêtes pour engager des sanctions.
S'agissant du nucléaire, cette question est ancienne puisque le programme iranien avait été lancé par le Shah en 1950 avec le concours des États-Unis et de la France. De même, il faut se souvenir que l'enrichissement avait commencé en 1971 avec l'aide de notre pays. Il est surprenant de constater l'écart entre la vision occidentale de l'état d'avancement du programme nucléaire en Iran et l'opinion des Iraniens, à tous les niveaux de compétence, selon lesquels l'Iran n'est pas prêt pour réaliser une bombe atomique opérationnelle.
Je vous rappelle les déclarations des « experts », comme Mme Thérèse Delpech, chercheur associé au CERI, qui dénonçait avec une grande assurance, devant notre commission en 2004, les arsenaux nucléaires et chimiques de Saddam Hussein que personne n'a trouvés. Cette expérience doit nous enseigner la prudence.
De plus, notre discours sur la non-prolifération n'est pas facile à tenir aux Iraniens, qui ne voient pas l'intérêt pour leur pays d'avoir signé le traité de non-prolifération (TNP), qui les lie alors que des pays comme Israël ou l'Inde ne le sont pas. Il est, par contre, tout à fait évident que l'Iran a droit au nucléaire civil. En définitive, je ne suis pas persuadée que les Iraniens veulent la bombe, mais je crois que l'attitude des puissances occidentales leur donne envie de la posséder. Le problème est celui du seuil et l'Iran s'approche de cette capacité.
Lors des entretiens que j'ai eus à Téhéran, les termes de « droit à la dissuasion » ont été prononcés pour la première fois, selon les diplomates. Il est intéressant de constater que l'emploi de ces termes signifie que les Iraniens sont engagés dans un raisonnement de type juridique. À cela s'ajoutent des déclarations sur le caractère pacifique du pays et sur sa volonté d'aboutir à une dénucléarisation totale. La part de provocation est grande dans ce discours. Si l'Iran a été absente de la conférence sur la dénucléarisation, organisée par le président Obama les 12 et 13 avril dernier, à Washington, il a organisé, le 17 avril, sa propre conférence sur cette question en réussissant à réunir les représentants de 60 pays, ce qui montre une efficacité certaine de sa diplomatie et l'écho rencontré par ses arguments.