La commission examine le rapport de M. André Trillard sur le projet de loi n° 403 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la sélection, à la mise en oeuvre et au financement de deux projets d'autoroutes de la mer entre la France et l'Espagne sur la façade Atlantique-Manche-mer du Nord.
L'Assemblée nationale a adopté, le 8 avril 2010, le projet de loi autorisant la ratification de l'accord franco-espagnol sur la sélection, la mise en oeuvre et le financement de deux projets d'autoroutes de la mer entre les deux pays.
Le concept d'autoroutes de la mer se distingue du fret maritime classique qui passe en grande partie par l'acheminement de conteneurs ou de produits en vrac sur des liaisons maritimes intercontinentales, et du cabotage, qui recouvre plutôt le transfert de poids lourds ou de conteneurs sur de courtes distances.
Notre ancien collègue, M. Henri de Richemont, a remis en juillet dernier au secrétaire d'Etat aux transports un rapport très complet et des propositions pour le développement des autoroutes de la mer qu'il définit comme « un prolongement de la route sur la mer », c'est-à-dire un service présentant des avantages similaires à ceux du transport routier, en termes de régularité, de fréquence, de souplesse d'utilisation, mais utilisant la voie maritime et non la voie terrestre.
Il s'agit donc d'acheminer des remorques, avec ou sans leur tracteur, sur des navires spécialisés dans des conditions offrant une véritable alternative à la route pour décongestionner de manière significative les grands axes de transit terrestre. Selon cette définition, le service proposé vise un transport intracommunautaire. Destiné aux transporteurs routiers, il doit être régulier et cadencé, à fréquence suffisante pour encourager les transferts de la route vers la mer. Enfin, ce service requiert une haute qualité pour faciliter les opérations de chargement et de déchargement, tout en devant rester économiquement viable à terme.
Dans son rapport précité, M. Henri de Richemont a montré le défi que représente la mise en place de telles liaisons maritimes. Il estime notamment que les transporteurs routiers ne sont pas spontanément demandeurs, mais peuvent éventuellement être preneurs pour des liaisons longue distance, si l'offre n'est pas dissuasive en termes de cadencement, de fiabilité ou de régularité et de coût. C'est donc en grande partie aux pouvoirs publics qu'il appartient d'initier cette offre. Les autoroutes de la mer doivent être considérées comme des infrastructures à part entière, au même titre que les autoroutes terrestres ou les lignes ferroviaires. Elles figurent parmi les axes de la politique de transport communautaire et bénéficient de fonds européens.
Les premières discussions entre la France et l'Espagne sur la mise en place d'autoroutes de la mer entre les deux pays ont débuté en 2004. Une commission intergouvernementale créée en 2006 a lancé un appel à projets en 2007 et retenu deux d'entre eux au début de 2009. L'accord bilatéral valide les deux projets retenus et fixe les modalités de soutien financier des deux Etats.
Deux autoroutes de la mer vont donc être mises en place entre la France et l'Espagne :
- l'une entre le port de Nantes-Saint-Nazaire et Gijon, dans les Asturies ; elle sera exploitée par le groupe Louis-Dreyfus et la société italienne Grimaldi ;
- l'autre entre Nantes-Saint-Nazaire et Vigo, en Galice, avec dans un second temps un projet de prolongement vers Le Havre d'une part et Algésiras, en Andalousie, d'autre part ; elle sera exploitée par une société dénommée « Autopista del Mar Atlantica » constituée par la compagnie maritime Trasmediterranea et les ports concernés.
J'ajoute qu'une liaison mise en place pour PSA et dédiée au transport de véhicules existe déjà entre Nantes-Saint-Nazaire et Vigo.
L'accord prévoit que la France et l'Espagne signent avec les deux parties une convention d'exploitation. La convention définit les modalités d'exploitation et leurs conditions financières.
L'article 5 de l'accord limite à 15 millions d'euros le montant des subventions que chaque Etat peut verser à chacun des deux groupements, soit un maximum de 30 millions d'euros par liaison. Il s'agira d'une aide au démarrage sur 4 ou 5 ans. Ces subventions ne sont pas exclusives des fonds européens dont vont également bénéficier ces deux projets, dans une limite globale de 35 % du coût d'exploitation pendant 5 ans, toutes subventions confondues.
Sur la base de cet accord, les deux liaisons pourront démarrer : très prochainement pour Saint-Nazaire-Gijon et en fin d'année pour Saint-Nazaire-Vigo.
L'objectif visé est de transférer l'équivalent de 100 000 poids lourds par an d'ici 4 ans, ce qui représente environ 1,3 % du nombre de poids lourds transitant chaque année entre la France et l'Espagne ou encore 3 % du trafic constaté au passage frontière de Biriatou sur l'A63. Ce projet n'est pas en mesure à lui seul d'infléchir la croissance continue du trafic sur cet axe, mais il contribuera à cet objectif au même titre que les projets ferroviaires en cours à l'Est comme à l'Ouest de la frontière franco-espagnole.
L'entrée en vigueur de l'accord est nécessaire au démarrage de la première liaison vers Vigo. Je vous propose d'adopter ce projet de loi et suggère qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Le rapporteur indiquait que les transporteurs routiers n'étaient pas spontanément demandeurs. Dans ces conditions, ce projet d'autoroute de la mer ne risque-t-il pas de rester virtuel ?
Ce type de projet peut entraîner des effets inattendus, comme l'accroissement massif du trafic de poids-lourds sur les axes desservant les ports d'embarquement. C'est ce que je constate dans ma commune avec l'acheminement des véhicules de PSA que j'évoquais il y a un instant. S'agissant des transporteurs routiers, leur intérêt dépendra de l'attractivité du service proposé, en termes de cadencement, de régularité et de coût. La province de Pontevedra, autour de Vigo, constitue un bon exemple de l'intérêt d'un tel mode de transport qui permet d'éviter un long parcours terrestre. Les autoroutes de la mer doivent être considérées comme une alternative, parmi d'autres, au mode routier.
Les transporteurs sont évidemment attentifs aux coûts. Des liaisons maritimes mises en place il y a quelques années en Bretagne ont été abandonnées car elles n'étaient pas compétitives. Le pavillon sous lequel les liaisons seront exploitées sera un facteur important. Je remarque également que l'accord prévoit des subventions substantielles pour aider au démarrage de ces liaisons, durant quatre ou cinq ans.
Ayant été en charge des transports à la région Aquitaine durant douze ans, je ne puis qu'être très favorable à ce type de projet. En une vingtaine d'années, le trafic poids-lourds sur la RN 10 entre Bordeaux et la frontière espagnole a triplé, pour atteindre aujourd'hui 9 000 camions par jour. Il est certain que le trafic progressera encore lorsque cet axe sera élargi à deux fois trois voies. Il est donc impératif de freiner cet accroissement du trafic routier. Il faut toutefois demeurer conscient des difficultés auxquelles se heurte le développement des liaisons maritimes. Il y a quelques années, un service desservant Bayonne s'était heurté à l'absence de navires réellement adaptés au type de fret envisagé. Les autoroutes de la mer ne pourront se développer qu'avec la mise en place de dispositifs d'accompagnement appropriés.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi et propose qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Puis la commission examine le rapport de M. René Beaumont sur le projet de loi n° 402 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'adhésion à la convention des Nations unies de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation.
L'eau douce va devenir, sans conteste, un enjeu géopolitique majeur du XXIe siècle. Les rivalités, et même les conflits, pour la possession de cette ressource limitée, sont déjà apparus dans plusieurs points du globe, sous l'effet conjugué des pressions démographique et économique.
Ces tensions ont été précocement décelées par l'organisation des Nations Unies, qui s'est saisie de cette question dès 1970 : son Assemblée Générale a alors demandé à la commission de droit international (CDI), interne à l'institution, d'étudier les normes internationales existantes en matière d'utilisation des cours d'eau internationaux à d'autres fins que la navigation ; en effet, cette dernière activité est déjà régulée par des textes internationaux.
Les travaux de la CDI ont conduit à l'élaboration d'une Convention cadre, soumise à la 49e session de l'Assemblée Générale, réunie en 1994. L'A.G. a alors proposé aux États membres de l'étudier, et d'y apporter leurs observations et commentaires avant le 1er juillet 1996.
Ce processus a conduit à l'adoption, le 21 mai 1997, par l'Assemblée Générale, de la convention des Nations unies sur le droit relatif à l'utilisation des cours d'eaux internationaux à des fins autres que la navigation. Il faut souligner que cette adoption ne s'est pas effectuée dans l'enthousiasme : 103 pays ont voté pour, 3 contre (le Burundi, la Chine et la Turquie), et 27 se sont abstenus, dont la France.
La prudence de notre pays était alors motivée par un contentieux l'opposant à des citoyens riverains du Rhin, et résidant en aval de notre pays. Ce litige portait sur les rejets, dans ce fleuve, de l'entreprise des Potasses d'Alsace. Ce contentieux ayant été réglé, d'ailleurs à notre avantage, la position française a évolué en faveur de la ratification de la convention de 1997. C'est l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui, et qui a déjà été adopté par l'Assemblée nationale.
Cependant, notre éventuel accord ne suffira pas à donner une force contraignante à cette Convention, qui doit, pour cela, recueillir 35 adhésions, alors que seules 17 ont déjà été effectuées, chiffre qui sera porté à 18 avec la ratification française. Les réticences manifestées par de nombreux Etats envers ce texte sont de plusieurs ordres. La Convention vise à instaurer un cadre général de gestion des eaux transfrontalières, et incite à des négociations entre Etats riverains d'un même fleuve. La gestion rationnelle d'une ressource appelée à se raréfier comme l'eau douce requiert, en effet, une concertation entre l'ensemble des parties prenantes, de la source à l'embouchure. Mais cette invitation à négocier est refusée par les Etats qui estiment que le statu quo leur est favorable, et récusent donc toute évolution. C'est, par exemple, le cas de la Turquie, qui affirme sa souveraineté sur les fleuves qui la traversent, comme le Tigre et l'Euphrate, pour éviter de négocier avec la Syrie et l'Irak, situés en aval, et dont le développement économique dépend du volume de ces fleuves. À l'inverse, l'Egypte craint la remise en cause d'accords de partage conclus antérieurement avec le Soudan et l'Éthiopie sur le Nil. Cette crainte vient d'ailleurs de se vérifier, car quatre pays d'amont, l'Ethiopie, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, viennent de créer une commission commune chargée de gérer les projets d'irrigation, de canaux ou de barrages, sur l'ensemble du Nil, ce que récuse fermement l'Egypte. Bien que la Convention ne contienne aucune obligation de révision des accords préexistants, et s'en tienne à fournir un cadre de référence pour les négociations d'accords locaux facilitant la gestion partagée des eaux transfrontières, elle suscite la méfiance.
On ne peut que déplorer cet état de fait, sachant que 2/3 des bassins hydrographiques de la planète s'étendent sur le territoire de plusieurs Etats, et que, sur les 263 fleuves transfrontaliers existant, 157 sont toujours dépourvus de cadre coopératif, selon les chiffres du programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Cependant, ce refus de toute discussion, manifesté, notamment, par la Turquie et la Chine, ne fait qu'exprimer les tensions déjà fortes, et qui devraient encore croître à l'avenir, sur la gestion de l'eau douce perçue par ces États, à juste titre, comme une ressource rare, dont la possession assure un avantage stratégique important sur leurs rivaux.
Au sein de l'Union européenne, l'adoption, en 2000, de la Directive cadre sur l'eau, dont les prescriptions sont plus contraignantes que celles de la Convention de 1997, assure une bonne coopération. La France a également conclu avec ses voisins des accords sur la gestion de l'Escaut, de la Meuse, de la Moselle et du Rhin.
La décision française de ratifier la convention de 1997 ne modifiera donc pas notre ordre juridique interne, mais vise à relancer le processus d'adhésion à cette convention, notamment dans la perspective du prochain forum mondial de l'eau qui se tiendra à Marseille en 2012.
Au vu de ces éléments, je vous engage donc à adopter le projet de loi permettant l'adhésion de la France à la Convention de 1997, et vous propose son examen en séance publique selon la procédure simplifiée.
La raréfaction des ressources en eau représente en effet un problème majeur, comme en témoigne la multiplication des projets de barrages, par exemple en Chine. Le récent accord conclu entre quatre pays d'amont du Nil, contre la volonté de l'Egypte, constitue un exemple des conflits à venir. La présente convention suggère la recherche d'arbitrages de ces conflits par voie diplomatique : c'est une suggestion positive mais limitée.
Le problème du partage des eaux du Jourdain entre Israël et les Territoires palestiniens est un des plus aigus, et a conduit à l'échec de la IVe conférence euro-méditerranéenne sur l'eau, organisée par l'Union pour la Méditerranée à Amman en Jordanie.
En effet, Israël bloque tous les projets visant à améliorer les ressources en eau des Territoires palestiniens, auxquels il accepte simplement de vendre de l'eau. Ainsi, le projet d'usine de dessalement d'eau de mer envisagé à Gaza, qui permettrait de satisfaire tous les besoins de la Cisjordanie s'est-il heurté au refus israélien.
Je souhaite, du fait de l'importance du sujet, que ce texte soit discuté en séance publique.
La commission examine le rapport de M. Jacques Berthou sur le projet de loi n° 583 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise.
Nous allons examiner aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 20 novembre 2008 entre la France et le Liban dans le domaine de la défense, qui a été déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat.
Cet accord est issu de la volonté de la France d'intensifier la coopération militaire bilatérale et de lui donner une visibilité plus grande. Il a pour objectif de contribuer à la montée en puissance de l'armée libanaise afin de permettre à celle-ci de garantir la sécurité du pays et de devenir, pour les autorités politiques, un outil de défense crédible face à un ennemi extérieur. Enfin, cet accord définit le cadre général de notre coopération militaire avec ce pays et établit le statut des forces françaises sur le territoire libanais.
Afin de ne pas alourdir la durée de nos délibérations sur un projet de loi qui ne soulève, à mon avis, aucune difficulté, je me permettrai de renvoyer ceux d'entre vous qui sont intéressés par un rappel de nos relations bilatérales ou par le format de l'armée libanaise, à mon rapport écrit et j'irai donc à l'essentiel.
Dans le domaine de la coopération militaire, la France a déjà signé avec le Liban trois conventions : une convention le 16 juillet 1975 relative à la coopération technique militaire ; une convention de partenariat le 26 avril 2005 relative aux conditions de la participation française au développement des capacités d'auto-formation des troupes de montagne libanaises ; un accord, lui aussi du 20 novembre 2008, relatif aux conditions de la participation française à l'instruction de cadres formateurs dans le domaine du déminage humanitaire des forces armées libanaises.
L'accord signé le 20 novembre 2008 n'a pas encore fait l'objet d'une ratification par la Partie libanaise.
L'économie générale du texte est classique pour ce type d'accord.
En ce qui concerne le statut des personnels, l'accord, dans la mesure où il privilégie les activités conduites sur le territoire libanais, définit, à titre principal et de façon non réciproque, le statut des forces françaises engagées dans des activités de coopération au Liban.
Le budget consacré par le ministère des affaires étrangères aux actions de coopération de défense et de sécurité avec le Liban s'est élevé à 1,18 million d'euros en 2008 et, malgré de fortes contraintes financières, cet effort a été maintenu en 2009 avec un budget de l'ordre de 1,13 million d'euros.
En 2010, 1,12 million d'euros sera dédié à la coopération de défense. Cette tendance devrait se maintenir dans les années à venir. Le Liban se situe aujourd'hui au troisième rang de la zone Afrique du Nord Moyen Orient, derrière le Maroc et la Tunisie, pour l'effort financier consenti par la France en matière de coopération de défense.
Cet accord vise le développement de partenariats et d'investissements entre les sociétés de défense des deux Etats, qui pourrait générer à terme des effets positifs pour l'emploi sur le territoire français.
Dressant une liste, non exhaustive, des domaines et formes de coopération envisagés, qui met notamment l'accent sur les activités de conseil et de formation, d'entraînement et d'exercice commun, l'accord institue également une commission mixte chargée d'orienter, d'organiser et de coordonner la mise en oeuvre de la coopération bilatérale. Cette nouvelle structure permettra de renforcer la concertation déjà formalisée par la tenue, chaque année, d'une réunion d'état-major qui ajustera nos actions aux priorités libanaises.
L'un des apports essentiels de l'accord est constitué par les dispositions qui instaurent un statut, protecteur pour les forces françaises appelées à séjourner au Liban, qu'il s'agisse du partage de juridiction pour les infractions commises (avec notamment une priorité de juridiction de la partie française pour les infractions commises en service ou à l'occasion du service), de la réparation des dommages causés (renonciation mutuelle à toute action, partage de la charge de la réparation en cas de dommages causés aux tiers) ou encore des conditions d'entrée et de séjour. On peut également relever, en ce qui concerne les aspects fiscaux, que les matériels et équipements français nécessaires aux activités prévues dans le cadre de l'accord peuvent être importés au Liban sous le régime de l'admission temporaire en suspension des droits et taxes et que les importations par la Partie française de produits consommables sont exonérées de taxes douanières ainsi que de tous autres droits et taxes.
L'accord est conclu pour une durée de 5 ans, renouvelable par tacite reconduction et il peut être modifié à tout moment par accord entre les parties.
En conclusion, cet accord ne soulève donc pas de difficultés. Il contribuera à la montée en puissance de l'armée libanaise et permettra de mieux assoir, juridiquement, le cadre général de notre coopération militaire avec ce pays.
Dans ces conditions, je vous propose d'adopter, selon la procédure simplifiée, le projet de loi soumis à votre examen de manière à autoriser son approbation par le Parlement et suis prêt, le cas échéant, à répondre à vos questions.
Est-ce qu'on peut véritablement qualifier cet accord « d'accord de défense » au même titre que les autres ? Nous réitérons la volonté du Groupe socialiste que le Parlement se prononce sur les différents accords de défense qui engagent notre pays, conformément du reste aux orientations du Livre blanc. Quand aurons-nous à débattre de l'accord de défense avec Abu-Dhabi ?
Nous aurons bientôt à débattre des accords avec le Cameroun et le Togo et c'est notre collègue Philippe Paul qui les rapportera devant la commission. Leur discussion pourra être l'occasion d'organiser un débat en séance publique sur ce sujet.
L'accord avec le Liban n'est pas un accord de défense, mais un accord de « coopération dans le domaine de la défense ». Il dit bien son nom. En outre, c'est un accord flexible, car il est révisable à tout moment.
Je voudrais souligner que c'est un accord important destiné à fortifier la relation privilégiée que nous avons avec le Liban. Les Forces Armées Libanaises doivent être aidées en particulier pour moderniser et renouveler leurs matériels mais également en matière de formation. Nous les aidons donc, à la mesure de nos moyens. Il y a dans ce pays d'autres coopérations, économique, mais aussi intellectuelle, universitaire et culturelle.
Permettez-moi de vous rappeler que le chef d'état-major libanais, le général Michel Sleimane, est devenu Président de la République du Liban et lorsqu'il était chef d'état-major, son homologue français, le général Georgelin, l'a aidé du mieux qu'il a pu, et que cela est emblématique de la qualité de nos relations dans tous les domaines.
Le projet de loi est adopté en la forme simplifiée par la commission.
Ensuite, la commission entend une communication de Mme Josette Durrieu, en sa qualité de membre de l'assemblée de l'UEO, sur la situation en Iran.
Je me suis rendue en Iran du 10 au 16 avril 2010 dans le cadre de mes responsabilités de membre de l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale. Cette mission s'inscrivait dans la continuité du rapport sur le Moyen Orient que j'ai présenté en 2009.
En introduction, je voudrais aborder deux événements récents et faire part d'une crainte. Le premier est celui de la libération de Clotilde Reiss, que j'ai côtoyée pendant une semaine à l'ambassade de France à Téhéran. C'est une jeune femme d'un très fort tempérament, néanmoins marquée par sa détention et les événements des dix derniers mois. Elle s'est fait piéger, comme aurait pu l'être n'importe quel autre jeune Français. Il n'y a rien de crédible dans les affirmations qui ont été formulées à son encontre.
Le second événement est l'accord qui vient d'être annoncé entre l'Iran, la Turquie et le Brésil en matière d'enrichissement de l'uranium produit par les usines iraniennes. Il est emblématique de l'épuisement des négociations conduites par le groupe 5 + 1 depuis 2003 et de la lassitude absolue des diplomates. Ce qui a permis l'accord c'est la simultanéité du processus de remise de 1 200 kilos d'uranium faiblement enrichi à 3,5 % contre 120 kilos d'uranium enrichi à 20 %. Il souligne la volonté de l'Iran de ne rien lâcher sans un retour immédiat du produit demandé.
Ma crainte c'est que nous ne soyons entraînés dans un processus tel que celui qu'à connu l'Irak, avec des affirmations péremptoires sur des stocks cachés d'armes alors même que nous restons dans le domaine des spéculations et des questions quant au point de connaître la réalité nucléaire opérationnelle de l'Iran aujourd'hui, à court et à moyen terme.
La première conclusion qu'il convient de tirer de cela est qu'il faut être d'une très grande prudence dans nos analyses et dans nos actions.
La réélection du président Ahmadinejad en 2009 a déclenché un mouvement de contestation profond qui a créé la surprise par son ampleur. Le mouvement n'est pas structuré, il n'a ni leader, ni programme, mais révèle un mécontentement profond.
Le régime est évidemment théocratique, avec à sa tête l'ayatollah Khamenei qui concentre entre ses mains de très grands pouvoirs, exécutif, législatif et militaire. C'est donc un pouvoir fort. Le président Ahmadinejad, élu au suffrage universel direct, n'est a priori qu'un simple chef de Gouvernement à côté d'un Parlement monocaméral sans grands pouvoirs. Pourtant, Ahmadinejad s'octroie plus de pouvoirs que ce que prévoit la Constitution. Cette combinaison fait que l'Iran est dirigé par un pouvoir théocratique et militaire minoritaire -qui ne représente environ que 15 % de la population- qui s'impose par la terreur et la peur. Le régime iranien est issu d'un putsch électoral qui exerce le pouvoir par la force mais qui est faible politiquement parlant. La question qui se pose est de savoir comment mettre fin à un tel régime.
Les sanctions sont une arme à double tranchant qui peut aussi bien faire tomber le régime que le consolider en déclenchant une réaction nationaliste. Les opposants au régime demandent pour la plupart qu'on laisse aux Iraniens eux-mêmes le soin de régler le problème. Il faut donc être extrêmement prudent, même si les diplomaties occidentales sont prêtes pour engager des sanctions.
S'agissant du nucléaire, cette question est ancienne puisque le programme iranien avait été lancé par le Shah en 1950 avec le concours des États-Unis et de la France. De même, il faut se souvenir que l'enrichissement avait commencé en 1971 avec l'aide de notre pays. Il est surprenant de constater l'écart entre la vision occidentale de l'état d'avancement du programme nucléaire en Iran et l'opinion des Iraniens, à tous les niveaux de compétence, selon lesquels l'Iran n'est pas prêt pour réaliser une bombe atomique opérationnelle.
Je vous rappelle les déclarations des « experts », comme Mme Thérèse Delpech, chercheur associé au CERI, qui dénonçait avec une grande assurance, devant notre commission en 2004, les arsenaux nucléaires et chimiques de Saddam Hussein que personne n'a trouvés. Cette expérience doit nous enseigner la prudence.
De plus, notre discours sur la non-prolifération n'est pas facile à tenir aux Iraniens, qui ne voient pas l'intérêt pour leur pays d'avoir signé le traité de non-prolifération (TNP), qui les lie alors que des pays comme Israël ou l'Inde ne le sont pas. Il est, par contre, tout à fait évident que l'Iran a droit au nucléaire civil. En définitive, je ne suis pas persuadée que les Iraniens veulent la bombe, mais je crois que l'attitude des puissances occidentales leur donne envie de la posséder. Le problème est celui du seuil et l'Iran s'approche de cette capacité.
Lors des entretiens que j'ai eus à Téhéran, les termes de « droit à la dissuasion » ont été prononcés pour la première fois, selon les diplomates. Il est intéressant de constater que l'emploi de ces termes signifie que les Iraniens sont engagés dans un raisonnement de type juridique. À cela s'ajoutent des déclarations sur le caractère pacifique du pays et sur sa volonté d'aboutir à une dénucléarisation totale. La part de provocation est grande dans ce discours. Si l'Iran a été absente de la conférence sur la dénucléarisation, organisée par le président Obama les 12 et 13 avril dernier, à Washington, il a organisé, le 17 avril, sa propre conférence sur cette question en réussissant à réunir les représentants de 60 pays, ce qui montre une efficacité certaine de sa diplomatie et l'écho rencontré par ses arguments.
J'ai rencontré le vice-premier ministre, qui fait pour l'instant office de ministre de la défense, le ministre de l'intérieur, celui des affaires européennes, le vice-ministre des affaires étrangères et de nombreux parlementaires dont le président de la commission des affaires étrangères et de la défense. Ce dernier m'a fait part de son souhait de voir plus de parlementaires français venir en Iran et, en particulier, une délégation de notre commission. Je rappelle toutefois que ces déplacements sont rendus difficiles par l'octroi très sélectif des visas. J'ai moi-même attendu un an avant d'obtenir un visa pour l'Iran.
Cela a été également le cas pour nos collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga qui se sont vu refuser un visa au prétexte de la tenue des élections présidentielles en Iran. Compte tenu du caractère totalitaire du régime iranien et de son opacité totale, les rencontres sont, en tout état de cause, difficiles.
S'il y a beaucoup de bluff et de propagande dans l'attitude iranienne, il faut rappeler une dimension importante du chiisme qui est le sens du martyr. Je suis persuadée que le régime joue de la provocation pour déclencher une attaque et qu'il en ressortirait renforcé.
De notre récent déplacement à Washington il ressort que la politique de la main tendue voulue par le Président Obama a été ressentie comme un échec et que le temps des sanctions est venu. Les Russes y sont également favorables alors que d'autres pays, comme la Chine ou l'Inde, y sont opposés. Le Conseil de sécurité est donc partagé et on ne peut écarter un veto chinois. Les États-Unis pensent que des sanctions économiques et financières peuvent être efficaces. En matière nucléaire, les renseignements fiables dont on dispose montrent en effet que l'Iran n'est pas loin d'avoir la bombe et qu'il en a la volonté.
J'ai pu constater entre 2004 et aujourd'hui une évolution de l'opinion publique et des intellectuels sur cette question. Alors qu'elle était écartée en 2004, la possibilité de disposer de l'arme atomique, sans être une priorité, est clairement envisagée par la population, alors même que l'on ne sait pas si la décision est prise au niveau politique.
Je voudrais également souligner le rôle de la Turquie, qui est exceptionnellement positionnée comme médiateur respecté dans toute la région, y compris par Israël. L'accord récent sur l'enrichissement est une leçon donnée par la Turquie, qui a su trouver la solution de l'échange simultané de l'uranium faiblement enrichi contre de l'uranium enrichi à 20 % qui a permis à l'Iran d'accepter une proposition qui lui donnait toute garantie.
L'uranium enrichi à 20 % ne permet pas de faire une bombe. Pour avoir voyagé en Iran avec le Président Gérard Larcher, qui est un fin connaisseur du chiisme, je peux témoigner de la difficulté de juger du niveau de légitimité et de l'importance politique des interlocuteurs que l'on rencontre. Le système est schizophrénique puisque le religieux double systématiquement les institutions. Quant à rencontrer des religieux es qualités, c'est impossible.
Fondamentalement, le pays aspire à jouer un rôle essentiel dans la région. Il en a, politiquement, historiquement et économiquement, les capacités. La sortie de cette crise ne viendra pas de l'extérieur mais de l'intérieur. L'ensemble de la région est dangereuse et instable. L'existence d'un pôle de stabilité, pour lequel l'Iran dispose de toutes les qualités, serait fondamentale.
La situation actuelle présente beaucoup d'analogies avec celle qu'a connue le Shah d'Iran face à la très longue montée en puissance de l'ayatollah Khomeiny. C'est le caractère très progressif du processus qui a masqué son importance aux observateurs occidentaux jusqu'au dernier moment. La situation n'est toutefois pas mûre pour que les intellectuels et le bazar puissent prendre le pouvoir. Je crois, par ailleurs, que ces changements s'accompagneront de grandes violences. Dans ce contexte, je crois aussi qu'une intervention extérieure dans le conflit en cours contribuerait à renforcer le pouvoir du président Ahmadinejad.
Je partage votre point de vue. La situation est très comparable à celle qu'a connue le shah d'Iran. Il faut également prendre conscience que le pouvoir et l'autorité morale de l'ayatollah Khamenei sont contestés depuis qu'il a validé des élections présidentielles totalement truquées. Il est frappant de constater que la politique suivie par le président Ahmadinejad et l'ayatollah Khamenei a réussi le tour de force de vider les mosquées. J'ai été frappée par l'absence du port du foulard islamique dans les rues de Téhéran. Les femmes et les filles portent un simple foulard, ont les cheveux libres et sont maquillées. Je remarque d'ailleurs que les filles sont souvent à la pointe de la contestation et des provocations, même si la peur des représailles est très présente.
Je vous recommande de lire le livre d' Ardavan Amir-Aslani : « Iran, le retour de la Perse » qui permet de comprendre les arcanes du pouvoir iranien. Je partage totalement les propos sur les « experts » qui ont propagé de faux diagnostics sur l'Irak. Si ce sont les mêmes personnes qui conseillent les gouvernements, on ne peut qu'être inquiets des analyses qui sont faites aujourd'hui sur l'Iran et sur les décisions qui pourraient en résulter. Je m'interroge également sur la capacité des États-Unis à empêcher Israël d'intervenir en Iran. Enfin, je crois également que la Turquie est un pays stratégique pour l'avenir de la zone. Il en va de même, au niveau international, du Brésil. Il serait, du reste, utile d'interroger le ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, sur l'attitude de la diplomatie française vis-à-vis de ces deux partenaires.
La position de notre diplomatie me semble claire. Nous avons une vision commune avec nos proches alliés et nous poursuivons les discussions avec la Chine et avec la Russie. La France est certes en pointe pour recommander l'adoption de sanctions, mais nous dépendons évidemment d'un accord au Conseil de sécurité où la Chine dispose du droit de veto. Cela signifie qu'il n'y aura vraisemblablement pas de texte adopté qui ne soit pas consensuel, c'est-à-dire une résolution peu contraignante. Il faut donc chercher d'autres solutions pour amener les Iraniens à réfléchir et il me semble que les sanctions économiques peuvent être efficaces.
J'observe par ailleurs que les Iraniens ont renié la signature qu'ils avaient apposée au TNP. Le risque de prolifération est central. Si l'Iran a un jour la bombe, comment pourrons-nous empêcher les autres pays, comme par exemple l'Arabie Saoudite ou l'Égypte, de s'en doter ?
Je suis également persuadé qu'il y aura une évolution interne en Iran. L'Internet est d'ailleurs clairement l'ennemi des ayatollahs. Cela étant, la question est de savoir si les problèmes intérieurs pousseront les responsables iraniens à renoncer à leur aventurisme extérieur. Le désir profond du pays est d'être reconnu et de jouer un rôle central dans la région. D'ailleurs, la reconnaissance qui intéresse le plus l'Iran est celle des États-Unis. Il est important de comprendre que si le Président Obama veut contenir la prolifération, il ne considère pas le Président Ahmadinejad comme son prédécesseur considérait Saddam Hussein. La Turquie joue un rôle d'équilibre fondamental.