Intervention de Rachida Dati

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 décembre 2008 : 2ème réunion
Loi pénitentiaire — Audition de Mme Rachida daTi garde des sceaux ministre de la justice

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

a introduit sa présentation en précisant que ce projet de loi pénitentiaire, voulu par le Président de la République, constituait le second texte pénitentiaire examiné en l'espace de soixante ans, avec la loi « Chalandon » de 1967. Elle a rappelé que ce texte avait fait l'objet d'une intense réflexion préalable au sein du comité d'orientation restreint de la loi pénitentiaire et d'une large concertation avec les ministères concernés, les professionnels du secteur et les associations membres de la commission nationale consultative des Droits de l'homme. Elle a précisé que ce texte poursuit deux objectifs essentiels : la lutte contre la récidive et la réinsertion des personnes détenues, rappelant à cette occasion que les aménagements de peine permettent de diminuer sensiblement le taux de récidive.

a reconnu que les prisons françaises connaissent à l'heure actuelle une situation particulièrement difficile, caractérisée par une surpopulation carcérale (63.750 détenus pour 50.989 places au 1er novembre 2008), un parc pénitentiaire ancien (la moitié des établissements ont été construits avant 1912) et une aggravation des violences entre détenus et contre le personnel pénitentiaire (480 agressions en 2007, plus de 400 depuis le début de l'année 2008) : selon elle, il y a donc urgence à agir, et, en dépit des nombreuses expérimentations qui ont pu être menées à l'initiative du ministère de la justice, il est aujourd'hui nécessaire de passer par un texte législatif.

a affirmé que des efforts budgétaires substantiels avaient été réalisés par le Gouvernement depuis plus d'un an afin d'améliorer les conditions de vie des personnes détenues : ainsi, les crédits alloués à l'administration pénitentiaire ont crû de 6,4 % en 2008 et augmenteront de 4,1 % en 2009 ; 1.100 postes ont été créés en 2008, 1.087 le seront en 2009 ; dans un objectif de revalorisation des statuts des personnels, le régime indemnitaire des directeurs d'établissements et des surveillants a été amélioré ; enfin, 2.800 places nouvelles ont été créées en 2008 (permettant par conséquent la fermeture d'établissements vétustes), 5.130 le seront en 2009 (correspondant à 7 nouveaux établissements et 2 quartiers de courtes peines), et 6.500 bracelets électroniques seront disponibles en 2009.

s'est également félicitée de l'institution d'un contrôleur de l'ensemble des lieux de privation de liberté, et non pas seulement des prisons, comme tel est le cas en Grande-Bretagne, en rappelant que l'institution d'une telle autorité avait été proposée par M. Jean-Jacques Hyest en 2000 avant de faire l'objet d'un engagement du Président de la République lors de la campagne présidentielle.

a ensuite abordé la question de la mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes : elle a ainsi indiqué que, depuis le début de l'année 2007, la direction de l'administration pénitentiaire avait engagé une action destinée à confronter ses pratiques professionnelles aux 108 règles élaborées dans le cadre du Conseil de l'Europe et relatives aux droits concrets des détenus et aux pratiques professionnelles des personnels. Elle a notamment précisé qu'un référentiel national de bonnes pratiques était en cours d'élaboration et que huit règles spécifiques à l'accueil et à la prise en charge des détenus faisaient actuellement l'objet d'une expérimentation dans 28 établissements pilotes (ces règles concernent notamment l'accueil individualisé des détenus, la séparation des prévenus des condamnés ou encore le maintien des liens familiaux). La ministre a ainsi considéré qu'il était possible de tirer un premier bilan d'étape très positif de ces expérimentations, qui mettent en évidence une baisse des violences et du nombre des agressions physiques sur les agents dans les établissements pilotes ainsi qu'un fort investissement des personnels, notamment en matière d'accueil des arrivants et de la séparation des prévenus et des condamnés. Il est donc prévu de généraliser progressivement la mise en oeuvre de ces normes européennes, dont un certain nombre figurent d'ores et déjà dans le projet de loi, ainsi que de procéder au lancement d'une démarche de labellisation (AFNOR) de la procédure d'accueil des arrivants.

Abordant la question des procédures d'aménagement de peines, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a tenu à souligner le fait que ces dernières contribuaient à la réinsertion des détenus et qu'elles constituaient un élément efficace de lutte contre la récidive : aussi a-t-elle personnellement tenu à mener une politique forte et volontariste en matière d'aménagement de peine, en contrepoint de son action axée sur davantage de fermeté et sur la lutte contre l'impunité. Son action s'est ainsi concentrée sur la création des conférences régionales d'aménagement des peines (qui permettent d'avoir une politique unique en matière d'aménagement de peine), sur l'assouplissement du régime des permissions de sortie, sur la généralisation de l'application du bracelet électronique (dont elle a indiqué qu'elle n'avait à ce jour été suivie d'aucune récidive), sur le développement des partenariats (notamment avec le MEDEF et la Caisse des dépôts et consignations) destinés à favoriser la réinsertion professionnelle des détenus et sur l'expérimentation du placement sous surveillance électronique en fin de peine (depuis l'été 2008, cette expérimentation a été menée dans les ressorts des TGI et des maisons d'arrêt de Béthune et d'Angoulême, puis dans une quinzaine d'établissements pénitentiaires). Au total, ces procédures d'aménagement de peine se substituent aux anciennes procédures de régulation de la population carcérale (amnisties, grâces collectives, etc.), qui ont été supprimées. Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a attiré l'attention sur le fait que cette action présentait une indéniable efficacité : depuis sa prise de fonctions, 6.000 personnes, soit 12 % des condamnés, ont bénéficié d'aménagements de peine (ce qui représente une hausse de 26 % depuis mai 2007), 3.333 détenus ont fait l'objet d'un placement sous surveillance électronique (ce qui représente une augmentation de 45 % en un an) et les libérations conditionnelles ont augmenté de 10 % entre 2005 et 2007. A ce sujet, la ministre a insisté sur le fait que les libérations conditionnelles constituaient sans aucun doute le meilleur outil de réinsertion des condamnés.

a ensuite évoqué les dispositions du projet de loi destinées à améliorer la prise en charge des détenus et à favoriser leur réinsertion. Elle a tout d'abord insisté sur la clarification apportée aux missions du service public pénitentiaire : celui-ci doit participer, avec le concours des autres services de l'Etat (en matière de santé et d'éducation notamment) et des collectivités territoriales, à l'exécution des décisions privatives ou restrictives de liberté, tout en contribuant de façon essentielle à la réinsertion des détenus.

En second lieu, la ministre a insisté sur le fait que les restrictions apportées à l'exercice des droits des détenus devaient être strictement limitées à la sécurité ou au maintien de l'ordre au sein des établissements pénitentiaires. Elle a toutefois précisé qu'il ne s'agissait pas de créer de nouveaux droits pour les détenus, dans la mesure où ces droits sont déjà consacrés par la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen et par la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle a indiqué que les détenus pourraient désormais être domiciliés à l'établissement pénitentiaire, ce qui leur permettrait de bénéficier d'une adresse pour établir des documents d'identité, obtenir des prestations sociales, et, le cas échéant, pour exercer leur droit de vote. La ministre a également fait référence aux dispositions permettant de maintenir les liens familiaux (amélioration de l'accueil des familles lors des visites, généralisation de l'usage du téléphone, etc.) et d'assurer le droit au travail et à la réinsertion. A ce sujet, elle a rappelé que le principe d'un contrat de travail pour les détenus n'avait pu être retenu, en raison des contraintes et obligations liées à la situation même de détention (celle-ci exclut par exemple l'application des règles relatives aux congés payés, aux droits à indemnisation en cas de rupture du contrat, etc.) : les détenus auront donc la possibilité de signer un acte d'engagement qui définira précisément quels sont leurs droits et quelles sont leurs obligations ; ils pourront également suivre des actions de formation professionnelle. Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a insisté sur le fait que la réinsertion des personnes condamnées constituait un enjeu essentiel pour notre société et que, de ce point de vue, l'implantation d'entreprises et d'ateliers d'insertion dans les établissements pénitentiaires, obtenue au prix d'âpres négociations, devait être regardée comme une avancée significative pour les droits des détenus. En outre, elle a affirmé que la participation des détenus aux formations professionnelles serait encouragée, précisant que le projet de loi prévoyait de mettre en place une expérimentation avec plusieurs régions (cinq se sont d'ores et déjà portées volontaires : Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Basse-Normandie, Pays de la Loire et Nord-Pas-de-Calais) dans le cadre de l'organisation et du financement d'actions de formation professionnelle continue.

Elle a enfin indiqué que des cours d'alphabétisation, de remise à niveau et de préparation aux diplômes seraient proposés aux détenus, rappelant que 60 % d'entre eux ne disposaient d'aucun diplôme, que 12 % d'entre eux étaient considérés comme illettrés et 12 % comme présentant de graves difficultés de lecture, et que 56 % des condamnés étaient inactifs. Rappelant également que plus de 35 % de la population carcérale se trouvait en situation d'indigence (avec des ressources inférieures à 45 euros par mois), la ministre a indiqué que les plus démunis bénéficiaient d'une aide en nature (produits d'hygiène, nécessaire de correspondance, matériel scolaire, etc.) ainsi que, ponctuellement, d'une aide en numéraire, réservée toutefois aux détenus acceptant de travailler ou de s'investir dans un processus de formation. Toutes ces dispositions s'appliqueront également aux détenus mineurs.

a par ailleurs affirmé que le projet de loi pénitentiaire avait pour objectif de renforcer l'autorité et la protection juridique des personnels : un code de déontologie des personnels pénitentiaires et de l'ensemble des collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi qu'une cérémonie de prestation de serment seront institués, et une réserve civile pénitentiaire sera chargée d'assurer des missions de renforcement de la sécurité dans les services des établissements et bâtiments relevant du ministère de la justice.

a, en quatrième lieu, indiqué que le projet de loi pénitentiaire apportait un certain nombre de clarifications en matière de conditions de détention, l'objectif étant de permettre l'individualisation des régimes de détention et de mieux encadrer les pouvoirs de l'administration pénitentiaire en matière de mesures coercitives. Elle a ainsi estimé que le projet de loi abordait la question de l'encellulement individuel de façon pragmatique : le programme immobilier pénitentiaire devant être achevé en 2012, le projet de loi prévoit la possibilité d'une détention en cellule individuelle ou en cellule collective si celle-ci est adaptée à recevoir plusieurs détenus et s'ils sont reconnus aptes à la cohabitation.

Elle a également indiqué que le texte prévoyait l'élaboration d'un parcours d'exécution de peine pour tout condamné, dans un objectif de responsabilisation, et une individualisation des régimes de détention en fonction de la personnalité, de la dangerosité et des efforts de réinsertion des détenus.

Enfin, elle a attiré l'attention sur le fait que les dispositions relatives au régime disciplinaire des détenus et aux moyens de surveillance étaient élevées au niveau législatif. Après avoir rappelé que toutes les sanctions disciplinaires pouvaient désormais faire l'objet d'un recours devant la juridiction administrative, elle a également précisé que la durée maximale de placement en cellule disciplinaire serait réduite (40, 21, 14 et 7 jours selon la gravité des fautes, contre respectivement 45, 30 ou 15 jours à l'heure actuelle).

Enfin, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a de nouveau affirmé que le projet de loi pénitentiaire avait pour objectif, par le moyen des aménagements de peines, de prévenir le risque de récidive : considérant que la prison constituait une sanction nécessaire, mais qu'elle devait toujours être regardée comme la sanction ultime, elle a indiqué que le texte prévoyait notamment l'institution de l'assignation à résidence avec surveillance électronique (une procédure qui va au-delà de l'actuel contrôle judiciaire sous surveillance électronique), avec l'accord de la personne intéressée, comme alternative à la détention provisoire, le temps passé en assignation à résidence avec surveillance électronique étant désormais retranché du quantum de la peine en cas de condamnation.

La ministre a également indiqué que les peines allant jusqu'à deux ans de prison (et non un an comme actuellement) pourraient désormais faire l'objet d'une mesure d'aménagement, ce qui devrait concerner 90 % des condamnations. Compte tenu du vieillissement de la population carcérale, les détenus de plus de 75 ans dont l'insertion et la prise en charge seront assurées pourront bénéficier d'une libération conditionnelle sans condition de délai.

Enfin, la ministre a insisté sur les simplifications apportées aux procédures d'aménagement de peine, précisant par exemple que le projet de loi permettait au chef d'établissement ou au directeur du SPIP de modifier les horaires d'une mesure d'aménagement de peine si cette modification est favorable au condamné en avisant immédiatement le juge de l'application des peines, qu'en cas d'urgence, une suspension de peine pour raisons médicales pourrait intervenir sur présentation du certificat du médecin traitant (alors qu'actuellement, deux expertises médicales sont exigées) et que des procédures simplifiées destinées aux condamnés en fin de peine et à ceux qui ne sont pas encore incarcérés permettraient de prononcer des mesures d'aménagement en l'absence de débat contradictoire.

En tout état de cause, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a rappelé qu'à tous les stades, le condamné conservait la possibilité d'être assisté par un avocat, que des recours étaient toujours possibles quelle que soit la procédure adoptée, et qu'à tout moment, le juge de l'application des peines pouvait décider de la procédure la plus adaptée à la situation et que le parquet pouvait toujours demander la tenue d'un débat contradictoire.

En conclusion, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que ce projet de loi pénitentiaire ferait entrer notre système carcéral dans le XXIe siècle et qu'il constituait un rendez-vous important pour notre pays.

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