Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 4 mai 2010 : 1ère réunion
Deuxième loi de finances rectificative pour 2010 — Examen du rapport

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Quelques mots tout d'abord sur le contexte grec. En 2009, un déficit public de 13,6 points de PIB ; une dette publique de 115 points de PIB, une croissance de moins 2 % - ce qui n'est pas la pire situation au sein de l'Union... Pour 2010, une croissance de moins 2,6 %, et un accès aux financements internationaux devenu insupportable, avec des taux d'emprunt de l'ordre de 10 %. Les perspectives à long terme sont angoissantes : faible croissance potentielle, déclin démographique, dette publique faisant boule de neige...

La Grèce a fait preuve d'insincérité à plusieurs reprises. En 2004, Eurostat a considérablement revu à la hausse le déficit et la dette publics de la Grèce pour les années précédentes ; en conséquence, la Commission a ouvert une procédure d'infraction, close en 2007. En 2008, première notification d'un déficit de 4,8 points de PIB, mais de 7,7 points selon la notification du 21 octobre 2009 et Eurostat. En 2009, même scénario, en pire, avec un déficit de 13,6 points selon Eurostat, qui a indiqué qu'il pourrait encore dépasser les 14 points ! Il faut avoir en tête ce comportement constant, qui a conduit la Grèce à recourir à des conseils financiers rémunérés pour enjoliver la réalité...

Cela a impacté les conditions de financement. Après une première « poussée » des taux d'intérêt début 2009, qu'ont également connue l'Irlande et l'Italie, l'écart de taux de la Grèce s'est creusé par rapport à la moyenne de la zone euro. En réalité, la Grèce n'a plus accès au marché financier.

La situation grecque n'est pourtant pas une découverte : elle fait l'objet de débats chez les économistes depuis au moins six mois ! Par la faute du système de décision européen, la prise de conscience a été très tardive. Le plan de soutien aurait été moins lourd et moins couteux s'il avait été décidé à froid, il y a deux ou trois mois ! Mais certains se sont arcboutés sur des considérations doctrinales ou politiques, refusant que le FMI intervienne dans un pays de la zone euro... Pourtant, pourquoi cotiser amplement au FMI si ce n'est pas pour y avoir recours quand la situation le justifie ?

Si l'on peut critiquer leurs méthodes, les soupçonner de conflits d'intérêts, les agences de notation ne sont pas totalement irrationnelles ! La dégradation de la Grèce repose sur une réalité économique : la baisse du taux de croissance ne rend plus soutenable la trajectoire des finances publiques grecques. Le taux de déficit qui stabiliserait la dette est devenu hors d'atteinte. Par le passé, la Grèce connaissait une croissance certes artificielle, financée par les fonds structurels, de 7 % en valeur. Avec un déficit de 5 points de PIB, il n'y avait pas de problème de soutenabilité de la dette, même sans excès de vertu... Aujourd'hui, il en va tout autrement. Pour stabiliser la dette à 130 points, il faudrait limiter le déficit à 4 à 5 points de PIB, et sans réduction du déficit primaire la dette ferait boule de neige : en 2050, 700 points de PIB avec des taux d'intérêt de 5 %, 3000 avec des taux de 10 % !

C'est un grand malheur pour la Grèce mais surtout une situation potentiellement dramatique pour l'ensemble de la zone euro. Le plan de restructuration financière sera le premier et le seul. Il est difficile d'imaginer prendre en charge simultanément la défaillance de deux petits pays ; il est hors de question de faire face au risque de défaillance d'un pays de la taille de l'Espagne !

Un défaut de la Grèce aurait des conséquences importantes sur le système bancaire européen, qui détient des obligations de l'État grec. On risque une nouvelle crise de solvabilité bancaire. Les expositions des banques françaises sur l'économie grecque atteignent 53 milliards d'euros, sans compter les créances de gestion collective. Les plus exposées seraient le Crédit agricole et la Société générale. De toute façon, il y aura des provisions à faire sur les crédits grecs, car la purge annoncée entraînera des problèmes de remboursement. Les expositions des banques françaises sur l'économie portugaise s'élèvent à environ 23 milliards d'euros ; sur l'économie espagnole, à 135 milliards.

On risque un effet domino : six pays obtiennent une notation inférieure à la note maximale pour le risque souverain. Le Portugal a ainsi été - injustement - sanctionné la semaine dernière. Les États « ciblés » par les agences de notation sont ceux qui ont une dette et un déficit public élevés. La France, la Belgique et l'Italie jouxtent la zone de danger... La dette italienne est la plus lourde de la zone euro : la baisse des recettes liée à la chute des exportations, en l'absence de tout plan de relance, a annulé dix ans d'efforts. Si le déficit semble sous contrôle, l'Italie reste vulnérable, avec un potentiel de croissance faible. Il faut dire que l'Institut statistique italien peine à évaluer l'économie informelle...

Le dispositif proposé, résultat de trois mois de discussions, a été activé par l'Eurogroupe le 2 mai. L'engagement porte désormais sur trois ans, et non plus une seule année comme le prévoyait initialement le projet de loi de finances rectificative. Le plan prévoit une forte conditionnalité. Dans les faits, la Grèce passe sous protectorat financier : le 2 mai, elle a perdu son indépendance.

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