Intervention de Maryvonne Briot

Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé — Réunion du 21 juin 2006 : 1ère réunion
Santé — Médicaments psychotropes - examen du rapport d'information

Maryvonne Briot, députée, rapporteure :

En préambule à la présentation de son rapport, Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné que la consommation en médicaments psychotropes des Français est la plus importante de toutes celles des pays de l'Union européenne et que le montant des remboursements assurés par la sécurité sociale, pour cette catégorie de médicaments, s'est élevé à un milliard d'euros en 2004. Pour comprendre les raisons de cette consommation, l'Opeps a sollicité l'éclairage d'une expertise scientifique extérieure qui a été confiée par appel d'offres à une équipe pluridisciplinaire de scientifiques (dix experts), animée par le Professeur Verdoux de l'Inserm de Bordeaux et le Professeur Bégaud, président de l'Université de Bordeaux 2. Le rapport de l'équipe scientifique représente un important travail de synthèse prenant en compte de manière approfondie un très grand nombre de travaux scientifiques et intégrant les contributions directes de plus de vingt personnes en dehors de l'équipe proprement dite.

a ensuite rappelé la définition des psychotropes proposée par Jean Delay en 1957, selon laquelle un psychotrope est une substance chimique d'origine naturelle ou artificielle, qui a un tropisme psychologique, c'est-à-dire susceptible de modifier l'activité mentale, sans préjuger du type de cette modification. Les médicaments psychotropes font partie de la prise en charge thérapeutique de la psychiatrie sans pour autant la résumer. La famille des psychotropes est divisée en plusieurs classes : les anxiolytiques ayant un effet sédatif et qui sont essentiellement à base de benzodiazépine, les hypnotiques, dont l'indication est l'induction du sommeil et les neuroleptiques, ou antipsychotiques, dont l'indication principale est le traitement des symptômes psychotiques dans la schizophrénie. Ces médicaments peuvent être utilisés pour le traitement des symptômes anxieux dans les dépressions sévères et la catégorie des antidépresseurs regroupe des produits tricycliques, découverts dans les années cinquante, ainsi que d'autres molécules plus récentes, les inhibiteurs sélectifs de recapturage de la sérotonine, qui ont pour atout d'induire des effets secondaires limités. Prescrits dans le traitement des épisodes dépressifs, un grand nombre de ces spécialités pharmaceutiques ont obtenu des autorisations de mise en marché pour le traitement des troubles anxieux et des troubles alimentaires. Il faut enfin citer la catégorie des psychostimulants, qui sont prescrits pour le traitement des troubles déficitaires de l'attention avec hyperactivité de l'enfant de plus de six ans, et celle des sels de lithium, indiqués pour le traitement de la maladie maniaco-dépressive.

Puis Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a présenté les principales caractéristiques de la consommation de psychotropes en France. Le premier constat établi par l'étude scientifique est celui d'une banalisation du recours aux médicaments psychotropes dans notre pays. Un Français sur quatre déclare avoir consommé au moins un médicament psychotrope au cours des douze derniers mois, et un Français sur trois en a déjà consommé dans sa vie. Pour les tranches d'âges les plus élevées, le recours est plus massif : après soixante ans, la moitié des femmes et un tiers des hommes ont pris au moins un psychotrope dans l'année. Les personnes âgées sont particulièrement exposées à un usage chronique, mais la consommation des jeunes doit également être surveillée, car une fille sur quatre et un garçon sur cinq ont consommé au moins une fois un médicament psychotrope avant l'âge de dix-huit ans.

La durée de prise est un paramètre important de l'analyse de la consommation. Parmi les personnes déclarant consommer des psychotropes, 30 % sont engagées dans une consommation d'au moins deux ans et la même proportion en consommera pendant une durée supérieure à un an. Les consommateurs réguliers de psychotropes sont évalués à 11 % des personnes rattachées au régime général de sécurité sociale.

a souligné le constat relevé par l'étude, selon lequel 80 % des prescriptions de psychotropes émanent de médecins généralistes. Pour comprendre et juger l'usage qui est fait des médicaments psychotropes, il faut analyser les pratiques de prescription des médecins généralistes et l'adéquation des traitements qu'ils préconisent avec l'état de santé psychique des patients.

Par ailleurs, la consommation a fortement augmenté depuis 1990 sous l'influence de deux facteurs principaux. D'une part, la mise sur le marché de médicaments antidépresseurs aux effets secondaires, qui est à l'origine de la diffusion de ces médicaments en médecine générale, d'autre part, le champ d'utilisation des médicaments psychotropes, qui s'est considérablement étendu au fil des années. A partir des pathologies psychiatriques avérées, l'indication s'est élargie à la prise en charge de troubles psychiques plus légers, voire de simples troubles du sommeil.

En termes de santé publique, on est confronté à la fois à des problèmes de consommation pendant des durées excessivement longues et à des phénomènes tout aussi nombreux de traitements insuffisants. Par ailleurs, les traitements prescrits semblent fréquemment peu adaptés et les indications des traitements sont également peu respectées : moins d'une personne sur trois souffrant de dépression en France bénéficie d'un traitement antidépresseur approprié, tandis qu'on ne constate pas de troubles psychiatriques chez la moitié des personnes consommant des antidépresseurs, et plus des deux tiers de celles consommant des anxiolytiques et hypnotiques. Ces pratiques montrent un réel problème d'usage des médicaments psychotropes en France.

Une telle situation n'est pas sans risques. Un très grand nombre de personnes consomment des psychotropes de façon chronique pour un bénéfice thérapeutique parfois faible, sans une juste mesure des effets secondaires, alors que sur une population aussi importante de consommateurs, des effets secondaires, même peu fréquents, peuvent avoir des répercutions considérables en termes de santé publique. Ainsi, l'étude s'est attachée à évaluer les risques que les psychotropes font courir à la population dans trois domaines : risques de détérioration cognitive liés à l'usage prolongé des benzodiazépines, risques de suicide parmi les personnes traitées aux antidépresseurs et risques secondaires indirects résultant de l'usage des psychotropes, tels que les accident ou les chutes chez les personnes âgées.

Ces investigations ont également mis en évidence que l'absence de données pharmaco-épidémiologiques empêche d'évaluer le rapport bénéfices/risques des médicaments de façon suffisamment précise au regard des enjeux de santé publique. A cet égard, il est regrettable que l'évaluation médicale des médicaments en situation réelle n'en soit qu'à ses débuts en France. Un meilleur usage des médicaments psychotropes en France suppose d'assurer un suivi pharmaco-épidémiologique suffisamment précis de la consommation, dans le cadre du système de veille sanitaire, mais également d'aider les médecins généralistes à assurer une prise en charge plus adéquate des problèmes psychiques de leurs patients.

a ensuite présenté les recommandations dont elle propose l'adoption par l'office : il convient tout d'abord d'adapter le contenu de la formation initiale et continue des médecins afin d'assurer un meilleur respect des recommandations de bonnes pratiques en matière de prescription de médicaments. La formation en pharmacologie des étudiants en médecine est en effet passée de 160 heures dans les années 1970 à 80 heures aujourd'hui. Cette recommandation rejoint les conclusions du récent rapport de Mmes Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet, sénatrices, sur la mise sur le marché des médicaments. Cette formation devrait également être mieux adaptée aux problèmes rencontrés par les praticiens car sur un ensemble de 3.000 références de médicaments actuellement disponibles, un médecin généraliste est amené à en utiliser plus de 500 dans sa pratique quotidienne. Par ailleurs, les formations continues dépendant encore trop souvent des laboratoires pharmaceutiques, il faudrait en confier la coordination et la validation à un organisme public dont la compétence scientifique est reconnue, telle que l'Université. La diffusion des recommandations de bonnes pratiques devrait être placée sous la responsabilité de la Haute Autorité de santé (HAS) et il faudrait affirmer clairement la compétence et la responsabilité de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssap) pour la réalisation des études post-AMM à finalité sanitaire, en complément des études post-AMM à finalité économique entreprises par les autres autorités sanitaires. Enfin, l'impact des mesures destinées à maîtriser la consommation de médicaments psychotropes devrait être systématiquement évalué, afin de vérifier non seulement que les objectifs poursuivis ont été atteints, mais aussi qu'il n'y a pas de report sur d'autres médicaments.

Le second axe des recommandations vise l'amélioration de la prise en charge des soins en santé mentale, conformément à l'objectif du plan « santé mentale » engagé l'année dernière par le gouvernement pour la période 2005-2008, dont un premier bilan d'application est en cours de préparation. Il convient aussi de réfléchir aux moyens de familiariser l'ensemble des étudiants de médecine avec la réalité de la pratique de la psychiatrie, sans oublier les autres professions de santé car, par exemple, depuis la refonte de la formation d'infirmière, des insuffisances ont également été relevées sur ce point. La coordination des médecins généralistes et des médecins psychiatres dans la prise en charge des troubles psychiatriques doit aussi être développée et dans ce but, il est proposé que, lors du renouvellement d'une prescription de psychotropes par un médecin généraliste, celui-ci envisage systématiquement la possibilité d'une consultation concomitante chez un psychothérapeute ou un médecin psychiatre, afin de vérifier la pertinence d'une prolongation du traitement.

Le troisième axe de recommandations concerne la mise en place d'instruments de suivi épidémiologique ainsi que l'information des prescripteurs et du grand public sur le bon usage des médicaments psychotropes. La surveillance pharmaco-épidémiologique des populations les plus exposées aux risques doit être renforcée, particulièrement celles des personnes âgées en institution, des jeunes enfants et des adolescents. La systématisation des études d'évaluation bénéfices/risques en situation réelle permettrait, par ailleurs, d'établir des recommandations pour des prescriptions plus adaptées de psychotropes et les prescripteurs devraient être mieux informés des manifestations du syndrome de sevrage et respecter les protocoles lors de l'arrêt d'un traitement. Les pouvoirs publics doivent également mettre en oeuvre des campagnes d'information sur le bon usage des médicaments psychotropes et il faut saluer l'initiative récente de l'Afssaps de publier deux livrets sur les psychotropes, le premier destiné aux patients, le second aux médecins généralistes. A cet égard, Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a rappelé la distinction, essentielle à ses yeux, entre usage thérapeutique et usage toxicomaniaque des psychotropes, la confusion entre les deux étant à l'origine d'un comportement paradoxal chez les Français : bien que globalement très consommateurs de médicaments, ils abandonnent souvent trop tôt leur traitement par antidépresseurs pouvant entraîner une dépendance et sont contraints à le reprendre pour stabiliser leur état de santé.

a enfin estimé qu'il faut évaluer la pertinence des décisions de déremboursement de certains produits pharmaceutiques à base de plantes, celui-ci pouvant induire des risques de report vers d'autres spécialités pharmaceutiques.

En conclusion, Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a considéré que si les médicaments psychotropes représentent un apport thérapeutique considérable pour la prise en charge des pathologies psychiatriques sévères, leur utilisation, lorsque les patients souffrent de troubles psychiques liés à des évènements de vie, doit rester ponctuelle et qu'il faut davantage s'appuyer sur les alternatives thérapeutiques pour éviter des effets secondaires non négligeables.

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