Le comité que j'ai l'honneur de présider a été créé par un amendement du Sénat. L'article 35 de la loi HPST est ainsi rédigé : « Il est créé un comité de suivi de la réforme de la gouvernance des établissements publics de santé, placé auprès du ministre chargé de la santé. Sa composition et ses missions sont définies par voie réglementaire. Il remet un rapport au Parlement deux ans après la promulgation de la présente loi. »
Le décret définissant ses missions a été publié le 4 février 2010. Son titre s'écarte quelque peu du texte législatif, puisqu'il est ainsi libellé : « Décret relatif au comité d'évaluation de la mise en oeuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ».
Le décret lui assigne trois missions :
- évaluer la mise en oeuvre de la réforme de la gouvernance hospitalière et en dresser un bilan ;
- évaluer et faire le bilan des procédures de suivi et d'amélioration de la qualité dans les établissements de santé ;
- évaluer la mise en oeuvre des mesures ayant pour objet de favoriser les coopérations entre établissements de santé.
Le comité d'évaluation compte douze membres : un sénateur et un député, un représentant des associations d'usagers, six représentants des personnels médicaux et non médicaux et des personnels de direction des établissements de santé, trois personnalités qualifiées choisies en raison de leur connaissance du système de santé.
Le comité a été installé par la ministre de la santé et des sports à Beauvais le 8 février dernier. Il a défini un programme d'auditions qui se poursuivra jusqu'à l'été. Il a également examiné les projets de décrets d'application et a pu faire connaître à la ministre de la santé les observations que certains d'entre eux avaient suscitées, en particulier le projet de décret sur les missions de service public dont la rédaction est apparue au comité non conforme à la loi en ce qu'il définissait une procédure d'attribution des missions de service public ne tenant pas compte de la situation antérieure à la publication de la loi. Il est par ailleurs saisi par la conférence des présidents de commissions médicales des établissements universitaires d'une « charte » par laquelle ils s'engagent à saisir la commission médicale d'établissement (CME) pour avis sur les questions dans lesquelles la loi ne le requiert pas. Il va également s'intéresser à la mission confiée à Elisabeth Hubert sur la médecine de proximité.
Après l'été, il commencera une série de visites d'hôpitaux dans plusieurs régions. Il doit arrêter à sa prochaine séance un programme d'enquête auprès des directeurs généraux d'agences régionales de santé (ARS), de présidents de conseil de surveillance, de directeurs et de présidents de commissions médicales d'établissements.
Le comité est parti d'un premier constat. Depuis la promulgation de la loi HPST, l'hôpital public n'est plus un établissement public local. Il n'a plus de collectivité de rattachement, mais un « ressort », c'est-à-dire qu'il a vocation à prendre en charge une population à différents niveaux définis par la loi. Le rattachement historique à la commune n'existe plus. Même si ce rattachement avait peu d'incidence sur le fonctionnement concret de l'hôpital, qu'il s'agisse du financement, de la désignation des responsables ou de la responsabilité financière, c'est un lien symbolique qui est rompu. Sans le dire, la loi HPST fait des établissements publics de santé des établissements d'Etat, sous l'autorité renforcée de l'ARS.
Le comité va s'attacher à mettre en évidence les implications de cette évolution. La première question qu'il se pose est celle de savoir comment va évoluer le positionnement des élus et, au premier chef, des maires des communes d'implantation dans la nouvelle configuration institutionnelle, caractérisée par le remplacement du conseil d'administration par un conseil de surveillance aux compétences plus limitées et par la place plus réduite des élus dans ce conseil, qui n'est plus présidé de droit par le maire. Ces changements vont-ils conduire les élus à prendre de la distance ou au contraire à maintenir une relation étroite avec l'hôpital, en raison de l'importance que revêt celui-ci dans la vie locale, tant sur le plan symbolique que sur le plan pratique ?
On retrouve dans cette dernière interrogation des questions essentielles relatives à l'hôpital : comment s'exerce la liberté de choix des patients ? Comment concilier proximité, qualité des soins et bonne utilisation des ressources publiques consacrées à l'hôpital et plus globalement à la santé ? Derrière ces sujets apparaissent des préoccupations bien connues des élus locaux : l'avenir des petites maternités et des petits services de chirurgie ; la prise en charge des urgences et de la permanence des soins de ville ; la répartition des médecins sur le territoire.
L'ambition de la loi HPST est d'apporter des éléments de réponse à ces différentes questions en favorisant les coopérations entre établissements de santé, mais aussi entre hôpitaux, professionnels de ville et structures médico-sociales, en diversifiant les modes d'exercice médical à l'hôpital, en permettant l'hospitalisation à domicile dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
A travers les nombreuses auditions auxquelles il procède, le comité s'intéresse aux conditions dans lesquelles la loi permettra d'améliorer l'offre de soins avec la réorganisation de l'hôpital et la mise en place des ARS qui ont compétence non seulement dans le domaine sanitaire, mais aussi dans le champ médico-social. L'insertion des établissements médico-sociaux dans le dispositif pose d'ailleurs certaines difficultés qui devront être prise en compte.
En ce qui concerne la gouvernance hospitalière, la loi HPST modifie les équilibres de pouvoirs au sein de l'hôpital public. Les pouvoirs du directeur sont renforcés mais il les partage avec le président de la commission médicale d'établissement (CME). Il doit en déléguer une partie à d'autres médecins, les chefs de pôle, qui doivent bénéficier d'une délégation de gestion. Ce changement de positionnement des acteurs de l'hôpital a conduit le comité de suivi à se poser un certain nombre de questions :
- Comment va évoluer le positionnement du chef d'établissement et quels seront ses rapports avec l'ARS ?
- Comment le président de CME va-t-il concilier son rôle de représentant de la communauté médicale et la tâche essentielle qui lui est confiée pour l'élaboration du projet médical ? Comment va fonctionner le lien entre président de la CME, directeur et chefs de pôle ?
- Comment le directeur va-t-il organiser son management ? Avec la suppression du conseil exécutif et un directoire très ramassé, il devra trouver des modes différents de fonctionnement avec les responsables de pôle.
- Comment la fonction de chef de pôle va-t-elle se mettre en place ?
Les coopérations sont un autre volet important de la loi HPST. Celle-ci comporte à cet égard deux grandes innovations : la communauté hospitalière de territoire et le groupement de coopération sanitaire « établissement de santé ». L'enjeu de ces deux dispositifs est le même : il s'agit de faciliter la création de structures viables au regard de leur fonctionnement médical. Plusieurs facteurs risquent en effet de fragiliser le tissu hospitalier.
Le premier de ces facteurs est la perspective d'arrêt de l'activité d'une génération de praticiens très polyvalents à dominance masculine, pratiquant au sein d'équipes parfois très réduites et qui acceptent des contraintes importantes de permanence des soins.
Le deuxième est que les nouvelles générations de praticiens souhaitent intégrer des équipes importantes leur permettant des échanges, le développement de techniques pointues, avec une charge de permanence des soins moins lourde.
Le troisième est la féminisation du corps médical (maternité, vie de famille, éducation des enfants) et la difficulté à trouver des postes pour les deux membres d'un couple dans une localité de taille modeste.
Ces facteurs de fragilité des hôpitaux et des cliniques conduisent à rechercher des regroupements. Le risque, dans la recherche de ces coopérations, est de rassembler dans de grands hôpitaux la totalité des fonctions au détriment des autres établissements.
Pour parvenir à concilier proximité et qualité, il est souhaitable d'utiliser à la fois les structures de coopération entre établissements publics et les groupements de coopération sanitaire (GCS) avec des établissements privés. En l'état de la réflexion, ces coopérations soulèvent plusieurs interrogations :
- les rivalités entre villes voisines et la peur des petits établissements de se voir défavorisés peuvent-elles être surmontées pour créer de véritables pôles hospitaliers dotés d'équipes médicales réellement communes et apporter une réponse aux problèmes posés par les déplacements des patients et de leurs familles ?
- La formule du GCS « établissement de santé », qui est une structure d'intégration, ne fera-t-elle pas hésiter les établissements potentiellement intéressés, notamment certains Ehpad, qui ne veulent pas perdre leur statut privé ?
- Comment traiter la question des territoires les moins peuplés, sachant que le déficit d'activité pour les équipes médicales hospitalières se double généralement de problèmes aigus pour le recrutement des médecins généralistes ?
- Comment les rapprochements public-privé peuvent-ils s'articuler avec la constitution de groupes de cliniques dont plusieurs s'appuient sur des fonds d'investissement ?
Le comité s'intéressera également aux relations entre directeurs généraux d'hôpitaux et ARS, qui seront naturellement très différentes selon que l'établissement de santé est un CHU ou un hôpital plus modeste. Cette question se posera de manière particulièrement sensible pour l'AP-HP à Paris et pour les établissements de Lyon et Marseille. Les organisations hospitalières de Paris, Lyon et Marseille sont celles qui accusent les déficits les plus importants, ce qui peut s'expliquer par de nombreux facteurs, tels que leur taille, leur attractivité, l'absence jusqu'il y a peu de facturation des consultations externes.
Beaucoup d'autres questions devront être abordées et le comité a été informé des difficultés d'application des nouvelles possibilités d'exercice médical, qu'il s'agisse des contrats des praticiens cliniciens ou du recours à des praticiens libéraux dans les hôpitaux publics. Sur des sujets tels que celui-ci, le comité aura une approche plus qualitative que quantitative, compte tenu des délais qui lui sont donnés pour travailler. Certains décrets d'application ne sont en effet pas encore pris et il est possible que certains ne soient jamais pris, par exemple sur les missions de service public, dans la mesure où la loi apparaît finalement suffisamment explicite.
Tel est l'état des travaux du comité. La mise en place d'une telle structure susceptible de recueillir l'avis des professionnels et de faciliter la mise en oeuvre de la loi est une initiative particulièrement intéressante. Le comité a déjà procédé à une vingtaine d'auditions et a notamment entendu les directeurs de l'école des hautes études en santé publique et de l'école nationale de la sécurité sociale, les fédérations hospitalières, l'agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (Anap), les directions concernées du ministère de la santé et la Cnam.
Trois éléments essentiels ressortent des premières auditions :
- sur la gouvernance, les rapports entre directeurs d'hôpitaux et présidents de CME sont bien meilleurs qu'on ne le dit parfois ; en outre, en ce qui concerne les personnels médicaux, et notamment les cadres infirmiers, la mise en place de la réforme se passe dans de bonnes conditions, avec une inquiétude relative au partage des responsabilités entre président du directoire et chefs de pôle ; enfin, la mise en place des conseils de surveillance méritera d'être observée avec attention : qui seront les personnalités qualifiées désignées ? Qui présidera ces conseils ?
- le mouvement de regroupement et de coopération est engagé et il conviendra d'évaluer la manière dont il se développe ;
- il est trop tôt pour conclure sur l'évolution des rapports public-privé et l'organisation du maillage complet de l'offre de soins, intégrant les médecins de ville, est encore un objectif à moyen terme.