Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 octobre 2010 : 1ère réunion
Application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président Mme Rolande Ruellan présidente de la 6e chambre Mm. Laurent Rabaté rapporteur général jean-pierre laboureix conseiller-maître et simon bertoux auditeur de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

C'est avec plaisir que je vous présente le rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale remis au début du mois de septembre. Cette année encore, il est abondant puisqu'il comprend dix-sept insertions regroupées en trois blocs, mais il s'agit de 450 milliards.

Rappelons d'abord la situation financière. Les tableaux d'équilibre font apparaître un déficit de 20,3 milliards pour le régime général, 1,4 milliard pour les autres régimes (essentiellement les retraites agricoles) et 3,2 milliards pour le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Le déficit cumulé atteint 25 milliards contre 11,9 milliards en 2008. Le régime général subit un effet de ciseau, ses charges augmentant de 4,3 % mais ses produits connaissant une quasi-stabilité (+ 1,1 %). Toutes les branches du régime général sont en déficit. A 10,5 milliards, celui de la branche maladie a doublé : les dépenses augmentent rapidement alors que les produits, notamment de la contribution sociale généralisée (CSG), ont diminué de 2,6 % ; le prélèvement à la source sur les dividendes a joué en 2008. Le déficit de la branche retraite s'est accru de 30 % malgré des recettes en légère progression. D'une manière générale, la dégradation des comptes de la sécurité sociale se poursuit en 2010 pour atteindre 29,2 milliards et le retour à la croissance ne suffira pas à compenser ce déséquilibre. Malgré des hypothèses optimistes et un Ondam contenu, le déficit resterait de 20 milliards en 2014. Le rapport décrit les solutions de trésorerie mises en oeuvre par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) en 2009 et 2010.

Le contexte sera modifié en 2011 : vous avez examiné le projet de reprise du déficit par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Philippe Séguin avait dit à plusieurs reprises qu'il faudrait relever la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), le Gouvernement a préféré affecter des ressources alternatives. Or, il ne suffit pas de transférer le déficit. L'équilibre est un impératif, y retourner constitue un objectif prioritaire. Cela suppose des efforts considérables car une croissance de 2 % ne suffira pas. Il sera difficile d'éviter une majoration des recettes...

La Cour a procédé à une enquête de suivi de ses recommandations de 2007 sur ce qu'on n'appelait pas encore les niches sociales - 178 dispositifs en 2009 ! Depuis 2007, plusieurs lois de financement ont comporté des mesures de taxation de certains revenus exonérés. Il importait de faire le point. Les réalisations sont insuffisantes. Il y a eu le forfait social, passé de 2 % à 4 % puis à 6 %, ainsi que la taxation des stock-options et des indemnités de départ en retraite, mais le coût de ces dispositifs s'est accru d'un milliard entre 2007 et 2010, la perte de recettes pour le régime général représentant 66,7 milliards en 2009, soit 23 % des recettes, contre 57,6 milliards et 22 % des recettes en 2005. Si ces chiffres sont supérieurs à ceux du Gouvernement, c'est que celui-ci sous-estime les mesures décidées sans véritable étude d'impact. La Cour demande donc une étude approfondie car il faut poursuivre et mener à bien l'action engagée. Si on intègre la compensation des exonérations de cotisations, la Cour estime que 15 milliards d'économies sont possibles. Le conseil des prélèvements obligatoires a confirmé ce diagnostic à propos des niches pour les entreprises. L'action doit être sélective et progressive. La généralité des prélèvements devrait être la règle pour la sécurité sociale, sauf à susciter des inégalités. Des recettes accrues ne peuvent dispenser d'un vigoureux effort d'économie.

Les constats et recommandations des années passées relatifs aux tarifs médicaux, à la biologie ou encore aux retraites, restent d'actualité. S'agissant de la gestion, les systèmes d'information de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ne sont pas efficaces, qui mobilisent 1 750 informaticiens sur cinquante sites et, dans les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), plus de 1 600 autres, aux tâches souvent redondantes. L'absentéisme est plus développé dans les caisses locales que dans les secteurs analogues, avec des pathologies telles que la dépression au travail ; il coûte plusieurs centaines d'emplois.

S'agissant des prestations, malgré les progrès accomplis, la fraude reste très importante. Les enjeux ne sont pas négligeables : la caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) évalue les fraudes à 1 % des prestations distribuées, mais jusqu'à 3 % pour le revenu minimum d'insertion (RMI) et le revenu de solidarité active (RSA). L'ordre de grandeur justifie une action plus énergique. Certaines dépenses croissent très fortement, qu'il s'agisse des soins infirmiers (9 %) ou des transports sanitaires (8 %).

Le rapport analyse la situation financière de quatre-vingt-cinq hôpitaux publics. Nous avons revu à la hausse le constat comptable des déficits car certains errements se poursuivent, ainsi pour les provisions et les reports de charges. Le déséquilibre, d'environ 700 millions, s'explique par la difficile adaptation à la tarification à l'activité (T2A). Les comptes des centres hospitaliers universitaires - centres hospitaliers régionaux (CHU-CHR) sont déficitaires, d'où un endettement croissant qui sert parfois à honorer des emprunts plus anciens voire à faire face à des dépenses courantes. Si tous les hôpitaux ne sont pas en déficit, chacun doit équilibrer ses comptes. Les contrôles demeurent vagues, peu contraignants, insuffisants et les économies indispensables exigent des mesures plus fermes.

Nous essayons de ne pas perdre de vue l'exigence de solidarité et de justice sociale. Assure-t-on un égal accès aux soins et l'égalité de traitement ? L'accès à l'imagerie médicale apparaît insuffisant : 2 % des victimes d'accident vasculaire cérébral (AVC) peuvent recourir en urgence à une imagerie par résonance magnétique (IRM) ; le taux d'utilisation des équipements est hétérogène ; trop généreux, les tarifs assurent des rentes de situation à des radiologues et encouragent des examens inutiles comme les radiographies du crâne.

Les soins dentaires représentent 10 milliards. Ils sont de moins en moins remboursés, la sécurité sociale n'en remboursant plus que le tiers, contre la moitié dans les années quatre-vingt. La participation des assureurs s'est accrue mais les ménages gardent à leur charge un quart de la dépense. C'est particulièrement vrai pour les prothèses. Le suivi est mal assuré par l'assurance maladie, notamment pour les implants, et la nomenclature est obsolète. La Cour formule des propositions pour que l'accès à ces soins ne devienne pas un problème de santé publique, à commencer par le développement de la transparence et de la concurrence : les prothèses sont 3,5 fois plus chères en France qu'aux Pays-Bas. Les dépassements tarifaires devraient être contenus ; il faudrait, à cet effet, modifier le code de la mutualité pour que les mutuelles diminuent le taux de remboursement si le praticien n'est pas conventionné.

Les prestations d'invalidité et de retraite pour inaptitude au travail représentent 10 milliards. La réglementation, qui a mal vieilli, apparaît trop complexe, alors que celle qui régit les handicapés a été aménagée. La Cour recommande une simplification par un rapprochement des prestations et un référentiel commun. Comment expliquer que la perte d'un oeil entraîne une invalidité à 30 % en cas d'accident de travail, de 42 % pour l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et de 65 % pour la pension militaire d'invalidité ? La retraite pour inaptitude pourrait être mieux exploitée.

La réforme des retraites a cherché à garantir l'objectif d'une liberté de choix des assurés. Les taux de la décote et de la surcote sont proches de la neutralité actuarielle. Cependant, la loi a entraîné des effets d'aubaine et l'unité des règles n'est encore qu'apparente. C'est ainsi que les fonctionnaires ont bénéficié immédiatement de la surcote alors que la décote ne s'applique à eux que progressivement. Cela souligne le caractère limité des mesures déjà prises.

Les décisions des commissions de recours amiable présentent une grande hétérogénéité, d'où des inégalités. La Cour souligne également que les paramètres des compensations entre régimes ont vieilli, de sorte que le principe de solidarité s'érode. Le régime général apporte chaque année 300 millions à la SNCF ; les employeurs des industries électriques et gazières (IEG) appliquent un taux de cotisation maladie dérogatoire sur une assiette définie en 1946 et cela sans titre pour les cotisations famille, d'où une perte annuelle de 200 millions pour le régime général, les pensions de retraite des IEG représentant un surcoût de 300 millions. L'adossement au régime général devait être neutre mais les transferts financiers ont été évalués en fonction de paramètres défavorables au régime général.

S'agissant des familles monoparentales, la Cour relève que les aides sociales et fiscales n'empêchent pas la concentration de la pauvreté : le quart de la dépense fiscale liée à la demi-part supplémentaire va aux 10 % les plus aisés. Elle pourrait être redéployée pour aider le retour à l'emploi des plus défavorisés ou la garde d'enfants.

La complexité des aspects internationaux de la sécurité sociale n'est pas de la seule responsabilité de la France. Néanmoins divers organismes interviennent : caisse des Français de l'étranger, centre national des soins à l'étranger, centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (Cleiss). On gagnerait à ce que leur coopération s'intensifie, de même que la lutte contre la fraude.

Sur le champ de la protection sanitaire et sociale, la Cour aborde des sujets d'actualité et d'autres, que l'on avait oubliés, pour vous aider à faire évoluer le système dans le respect de ses valeurs fondamentales.

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