Engagée par le Président de la République, en juin 2008, lors de la conférence nationale du handicap, cette réforme opère un renversement de la logique qui a prévalu jusqu'alors, qui consistait à mesurer le taux d'incapacité permanente des personnes handicapées plutôt que d'identifier leurs facultés à exercer une activité professionnelle. Cette nouvelle approche souhaite favoriser l'emploi des personnes handicapées qui sont en mesure de travailler et garantir un niveau de revenu digne à celles qui sont durablement éloignées de l'emploi. Plusieurs mesures devaient y contribuer : la revalorisation de l'AAH de 25 % d'ici à 2012 ; l'évaluation systématique des capacités professionnelles de la personne handicapée à l'occasion d'une première demande d'AAH ou d'un renouvellement et l'obligation pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) d'assortir toute reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) d'une décision d'orientation professionnelle ; la suppression de la condition d'inactivité préalable d'un an pour l'attribution de l'AAH aux personnes ayant un taux d'invalidité compris entre 50 % et 80 %, ce qui permet aux bénéficiaires potentiels de percevoir l'AAH dès leur premier jour d'inactivité et les incite à accepter des missions temporaires de courte durée, ce dont on ne peut que se féliciter ; la suppression de la limite d'âge de trente ans opposable aux travailleurs handicapés pour accéder aux contrats d'apprentissage ; enfin, la révision trimestrielle du montant de l'allocation et la mise en place d'un taux de cumul plus avantageux des revenus d'activité avec l'AAH.
Si nous nous réjouissons que les engagements en faveur de la revalorisation de l'AAH aient finalement pu être tenus malgré un contexte budgétaire très contraint, nous devons déplorer en revanche que les mesures susceptibles de favoriser l'insertion professionnelle des bénéficiaires de l'AAH n'aient toujours pas été mises en oeuvre, faute des dispositions réglementaires et des financements nécessaires. Ainsi, dans l'attente de ce décret, l'application des nouvelles modalités de cumul des revenus d'activité avec l'AAH et la mise en place de la déclaration trimestrielle de ressources pour les quelque 80 000 allocataires travaillant dans le milieu ordinaire a été repoussée au 1er janvier 2011.
Nous vous proposerons de renoncer, dans l'immédiat, à mettre en oeuvre cette seconde mesure, très contraignante pour les personnes handicapées et qui suscite une forte réticence des associations. De plus, sa faible portée - elle ne concerne pour l'instant qu'à peine 10 % des allocataires - et les coûts de gestion qui en résultent minorent les économies que l'on pouvait en attendre.
Par ailleurs, les MDPH et le service public de l'emploi ne disposent pas des moyens nécessaires pour s'acquitter des nouvelles missions qui leur ont été confiées, c'est-à-dire l'évaluation des capacités et des compétences professionnelles des nouveaux demandeurs de l'AAH et leur accompagnement vers l'emploi. D'abord, il n'existe aucun outil opérationnel d'évaluation : les experts chargés de construire une grille d'appréciation objective de l'employabilité ont conclu à l'impossibilité d'élaborer un guide barème semblable à celui qui existe pour déterminer le taux d'incapacité. Ensuite, les moyens humains ont été diversement estimés : les personnels nécessaires aux MDPH pour l'évaluation des capacités professionnelles des demandeurs et leur orientation s'élèveraient à 30 équivalents temps plein (ETP), en conservant la méthode actuelle et en ciblant les mesures sur les seuls primo-demandeurs, mais à 429 ETP, en faisant le choix d'entretiens individuels approfondis pour tous les demandeurs. Pour 2011, le Gouvernement a pris le parti de réserver le bénéfice de l'accompagnement vers l'emploi aux primo-demandeurs, tout en prévoyant d'expérimenter de nouvelles modalités d'évaluation et d'orientation dans une quinzaine de départements. Dans le contexte budgétaire actuel, le choix d'une mise en oeuvre progressive de la réforme nous paraît sage. Mais il nous semblerait plus judicieux de la financer en puisant dans les réserves de trésorerie des deux fonds collecteurs que sont l'Agefiph et le Fonds d'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (le FIPHFP), plutôt que de solliciter les moyens déjà insuffisants des MDPH.
Il convient également de créer les conditions d'un meilleur accueil des personnes handicapées sur le marché du travail, en mobilisant de façon plus incitative les entreprises de moins de vingt salariés non assujetties à l'obligation d'emploi et en développant la mise en place de partenariats d'insertion et de formation entre les grands groupes, l'Agefiph et les organismes de placement spécialisés.
En même temps, il est indispensable d'expliciter les notions d' « employabilité faible » ou de « restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi ». Ce critère, qui figure à l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale et qui conditionne l'attribution de l'AAH aux demandeurs dont le taux d'incapacité est compris entre 50 % et 79 %, aurait dû faire l'objet d'un décret précisant son contenu et ses modalités d'application. Or il n'est toujours pas paru. Cette carence explique en grande partie les divergences de pratiques observées d'un département à l'autre et conduit à des disparités importantes dans les taux d'attribution des demandes.
Afin de garantir une meilleure équité de traitement des demandes d'AAH, vos rapporteurs recommandent de renforcer les mesures d'harmonisation, d'évaluation et de contrôle des procédures mises en oeuvre par les MDPH. Cela suppose, d'une part, d'intensifier les actions de formation des membres des équipes pluridisciplinaires et des commissions des droits et de l'autonomie ; d'autre part, de renforcer le contrôle de l'État dans la prise de décision en autorisant ses représentants à la CDAPH à demander le réexamen d'un dossier qu'ils considéreraient comme problématique.
A terme, si nous voulons tirer toutes les conséquences de la réforme voulue par le Président de la République, nous n'échapperons pas à une remise à plat de l'actuel régime juridique de l'AAH, qui se caractérise par trop d'incohérences et d'ambiguïtés. Nous pourrions alors abandonner la distinction entre les deux régimes d'AAH fondée sur le seul taux d'incapacité en privilégiant une différenciation des publics selon leur capacité ou non à exercer une activité professionnelle.
Dans ce schéma, l'éligibilité à l'AAH serait conditionnée à un taux d'incapacité supérieur à 50 % et à la nécessité de justifier d'une faible employabilité. Ainsi, ceux qui seraient en mesure de travailler bénéficieraient d'un accompagnement adapté vers l'emploi, tandis que ceux dont la capacité de travail serait jugée trop faible percevraient un complément d'AAH afin de leur assurer une vie digne. Nous devons garder cet objectif à l'esprit même si nous savons que, faute de disposer de travaux préparatoires suffisants, il n'est pas réalisable à court terme.
La réforme de l'AAH n'est donc pas achevée, loin s'en faut. Il convient dès à présent de préparer la prochaine étape, en veillant à ce que les nouvelles règles conditionnant l'attribution de cette prestation gagnent en cohérence et en clarté et ne se traduisent pas par une augmentation non maîtrisée de la dépense et des disparités territoriales grandissantes. Cela suppose que l'État reprenne toute sa place dans l'élaboration des procédures d'évaluation des demandes et qu'il se donne les moyens d'en assurer le contrôle permanent ainsi qu'une évaluation régulière.