L'apprentissage à quatorze ans est-il réalisable ?
Si l'avis des organisations syndicales de salariés est évident sur ce point - vous le connaissez, elles l'ont toutes donné -, celui des organisations patronales et des chefs d'entreprise - je vous ai fait part tout à l'heure de celui de M. Leclerc - n'est pas moins intéressant.
On comprend mieux, lorsqu'on lit les interviews qu'ils ont donné à la presse économique, votre réticence à entendre les partenaires sociaux, comme vous vous y étiez pourtant engagé lors du débat sur la loi dite « de cohésion sociale » de 2004. En fait, le débat ne vous semble utile que lorsqu'il vous permet d'entendre ce que vous souhaitez, non lorsque ceux qui vous soutiennent ou vous guident vous font part de leur étonnement et de leurs réticences !
Je vais maintenant vous livrer le point de vue de M. Pierre Perrin, président de l'Union professionnelle des artisans, l'UPA, qui n'est pas lui non plus, à ma connaissance, un redoutable gauchiste.
Que dit-il ?
« Divers arguments ont motivé les réserves de l'Union professionnelle artisanale (UPA) à l'égard des premières annonces gouvernementales en faveur de l'apprentissage à 14 ans.
« Sur le fond d'abord, les artisans, qui forment la moitié des apprentis en France, sont bien placés pour connaître les problèmes inhérents à l'embauche de jeunes qui n'ont pas atteint le niveau de la troisième. Bien que la plupart des activités artisanales soient aujourd'hui dénuées de pénibilité » - cela, c'est lui qui le dit ! - «, de nombreux jeunes qui n'ont pas atteint leur maturité physique peuvent éprouver des difficultés dans leur première approche du monde du travail » - cela, il me semble vous l'avoir dit ! - «, ne serait-ce qu'en raison de l'amplitude des journées. Plus profondément encore, les collégiens qui abandonneraient définitivement leur scolarité au profit de l'apprentissage seraient pénalisés toute leur vie par un déficit de savoirs aussi fondamentaux que la maîtrise de l'écriture, du langage et du calcul. Sans ces acquis, leurs chances de progresser professionnellement et de s'insérer socialement seraient compromises alors qu'il s'agit là des vertus premières de l'apprentissage.
« De surcroît, rappelons que les représentants de l'artisanat commencent à peine à récolter les fruits d'une communication visant à améliorer l'image de l'apprentissage et à élever le niveau d'entrée dans cette filière, et que la déclaration du Premier ministre a laissé croire en quelques minutes que ce mode de formation en alternance pouvait être la réponse pour les jeunes en situation d'échec scolaire. »
Si j'ai, à ce sujet, fait une remarque un peu provocante cet après-midi, c'est parce nous avons commencé à évoquer l'apprentissage à quatorze ans immédiatement après avoir parlé des banlieues !
M. le président de l'UPA poursuit : « L'apprentissage, qu'on semble parer aujourd'hui de toutes les vertus pour gérer des jeunes en voie d'exclusion, ne saurait se substituer à l'éducation nationale pour ce qui constitue l'enseignement des savoirs fondamentaux que sont le calcul, l'écriture et la lecture. »
Ce qu'il dit ensuite est très intéressant : « Le temps où l'artisan apprenait les gestes du métier à son commis, tandis que sa femme lui inculquait les savoirs de base, est révolu. Les artisans, comme le reste des entreprises, évoluent dans un environnement qui exige de la performance économique, une adaptabilité au progrès technique et une évolution des métiers comme des pratiques professionnelles. » ; il me semble vous l'avoir déjà dit ! « En cela, ils sont plus que jamais en attente de salariés qualifiés. » Ces salariés doivent être de plus en plus qualifiés afin de pouvoir continuer à se former au cours de leur vie professionnelle.
Le président de l'UPA note également que les apprentis de seize ans font déjà l'objet de dispositions spécifiques de protection et que la présence de jeunes dès quatorze ans ne va pas faciliter les choses.
Enfin, il déclare, ce que vous n'avez manifestement pas voulu entendre : « En tout état de cause, les jeunes de moins de seize ans doivent rester sous statut scolaire. »