Puis la commission a entendu M. Michel Charasse, rapporteur spécial des crédits de la mission « Aide publique au développement », pour faire le point sur ses missions de contrôle budgétaire des crédits de coopération de la France au Maghreb et en Afrique de l'Est.
a précisé qu'il a réalisé ces deux missions en juillet 2008 et en mars 2009 dans six pays présentant des profils politiques, économiques et culturels distincts, respectivement au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) et en Afrique de l'est (République de Djibouti, Ethiopie et Kenya). Les crédits de coopération que la France consacre à ces pays sont également d'ampleur très variable. La dotation budgétaire des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) peut ainsi varier dans un rapport de 1 à 16.
Au titre de ses principales observations, qui appelleront des développements ultérieurs devant la commission, il a en premier lieu constaté que l'application des principes d'harmonisation, de complémentarité et de division du travail entre bailleurs se heurte encore à d'importantes limites, telles que l'absence de démarche volontariste en Tunisie, l'interprétation variable de la portée de la Déclaration de Paris de mars 2005, la non participation de bailleurs importants qui ne sont pas membres de l'OCDE, notamment les fonds arabes et la Chine, l'inégale appropriation par les autorités locales, ou la difficulté d'utiliser les circuits gouvernementaux sans prendre de risques financiers excessifs, par exemple au Kenya. Cette coordination pourrait être améliorée si elle était au moins acquise au niveau européen, ce qui n'est pas toujours le cas. Il a également porté une appréciation critique sur l'efficacité et la fiabilité des versements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et sur l'efficacité de la délégation de la Commission européenne à Alger.
Décrivant l'environnement institutionnel et économique, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a indiqué que les opérateurs économiques français sont confrontés en Afrique de l'Est à une forte concurrence de la Chine et de l'Inde, dont les pratiques commerciales ne sont pas toujours considérées comme loyales. La culture du moins-disant dans les marchés publics peut conduire à évincer des prestataires français, comme en Tunisie, en Algérie ou en République de Djibouti.
Les milieux d'affaires soulignent également certaines faiblesses de la maîtrise d'ouvrage, les difficultés d'accès au foncier et l'insécurité juridique au Maroc, le manque de formation des cadres et techniciens, la rigidité de la réglementation en matière d'exportations et d'investissements étrangers en Ethiopie, l'absence de convention bilatérale d'éviction de la double imposition en République de Djibouti, ou le manque de compétence des commissions techniques d'appels d'offres. La corruption des autorités publiques apparaît problématique au Kenya, où de récents scandales de grande ampleur n'ont guère fait l'objet de sanctions malgré la multiplication des autorités de lutte contre la corruption.
Concernant la stratégie de la coopération française, il a constaté que la concentration sectorielle prévue par les documents-cadres de partenariat est globalement respectée, mais que les engagements financiers à mi-parcours n'apparaissent plus guère crédibles, notamment en Ethiopie et en République de Djibouti. L'impact de la forte diminution en 2009 des crédits d'aide bilatérale imputés sur le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » a en effet été immédiat et sévère dans les trois pays de la Corne de l'Afrique. Les taux de décaissement sont satisfaisants, en particulier au Kenya, mais le niveau des crédits délégués est tel qu'ils ont atteint un étiage en deçà duquel le maintien des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) et de personnels pour des montants peu significatifs pourrait être sérieusement remis en question. Il a également exposé la situation particulière de l'Algérie, où la stratégie gouvernementale de désendettement et de refus de prêts prive la coopération française d'outils déterminants et peut conduire à s'interroger sur la pérennité de l'Agence française de développement (AFD) et sur les effectifs de la mission économique.
Il a relevé des incohérences dans la gestion de l'assistance technique, particulièrement en Ethiopie où la responsable d'un futur projet de développement urbain a été nommée alors que ledit projet était menacé, et où le conseiller régional santé serait maintenu en dépit de la demande contraire et réitérée de l'ambassade.
Abordant la mise en oeuvre de la LOLF, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a jugé que les nouveaux outils de gestion et indicateurs de performance représentent un progrès indéniable dans l'amélioration du pilotage et de l'efficience des crédits. Relevant que l'accent est opportunément mis sur les partenariats et l'effet de levier, par la mobilisation des financements externes, il a considéré que la France ne peut être présente dans tous les domaines mais doit préserver sa visibilité et sa crédibilité en assumant un rôle de chef de file ou de co-responsable dans des projets multi-bailleurs. L'appropriation de la démarche de performance et de contrôle de gestion par les postes est en revanche inégale : tardive au Maghreb en 2008, correcte en Ethiopie, encore limitée à Djibouti, et très satisfaisante au Kenya.
Le nouveau logiciel unique PRISME est également perçu comme une avancée significative et le recours à la fongibilité entre actions est entré dans les moeurs, mais la fongibilité asymétrique provoque une certaine réticence des gestionnaires. Il a cependant jugé nécessaire d'intéresser davantage ces derniers aux économies réalisées, en leur en rétrocédant une partie.
Concernant la mise en oeuvre des projets et les subventions des SCAC aux associations, M. Michel Charasse, rapporteur spécial, a souligné que le Fonds social de développement (FSD) est un instrument de coopération qui dispose de nombreux atouts mais peut encore être amélioré par de meilleures synergies avec l'AFD, la recherche de cofinancements, l'octroi d'une première tranche de crédits fixée à 50 ou 60 % du montant de la subvention, plutôt que 80 % comme c'est souvent le cas actuellement, et l'émission de titres de reversement en l'absence de service fait.
Il a déploré que certaines collectivités territoriales françaises, dans le cadre de la coopération décentralisée au Maroc, recourent parfois abusivement aux services du SCAC, au point d'en faire une « agence de voyage ». De même, il a relevé le maintien de subventions, selon lui injustifiées, dans certains pays privilégiés de la coopération française. Il a exposé que l'utilité du Haut conseil de coopération universitaire en Algérie n'est pas avérée et que le SCAC d'Alger a rationalisé ses programmes de bourses, notamment après que des boursiers ont été « perdus de vue ».
Les projets du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) en Afrique de l'Est pâtissent quant à eux des fortes incertitudes budgétaires, confortant une impression d'extinction progressive de cet instrument. Il a également considéré que le FSP tend à être décrédibilisé par la prolongation structurelle des projets, en particulier dans le domaine éducatif et pédagogique. Selon lui, cette situation tient autant à une incapacité budgétaire à tenir sur le long terme des engagements qui ont une portée politique qu'aux dysfonctionnements traditionnellement constatés : optimisme excessif lors de la conception, difficultés en cours d'exécution, rotation des assistants techniques, « paperasserie » de multiples conventions de financement...
Il a ajouté que l'opérateur Egide est très critiqué en Ethiopie et au Kenya, car perçu comme trop cher et parfois proche de l'amateurisme, et a exposé des difficultés relatives à trois projets financés par la Réserve pays émergents (RPE) en Tunisie.
a ensuite formulé des observations sur le positionnement et les projets de l'AFD. L'activité de l'agence connaît une forte croissance et une importante diversification dans la Corne de l'Afrique, qui peut avoir valeur de test pour sortir progressivement de la logique du « tout subvention » en Afrique subsaharienne. En revanche, les engagements de l'agence ont été plafonnés en 2008 au Maroc et en Tunisie afin de respecter le ratio bancaire de grands risques.
Il a relevé les dysfonctionnements et insuffisances de certains partenaires locaux, selon lui habituels (lenteur et complexité des appels d'offres, respect parfois approximatif des conventions, rotation des effectifs, lourdeurs du processus décisionnel, engorgement et incapacité à tenir les délais, implication insuffisante de la maîtrise d'ouvrage...) et qui provoquent des retards d'exécution des projets. Il a considéré que l'agence ne menace pas toujours suffisamment d'annuler les restes à verser mais est plus réactive que les SCAC de ce point de vue. Quelques dossiers font l'objet de contentieux pour impayés, notamment en République de Djibouti et en Tunisie.
Il a également formulé les remarques suivantes :
- ses interlocuteurs ont regretté l'hétérogénéité des mesures anti-blanchiment mises en oeuvre par les bailleurs de fonds au Maghreb. L'agence applique en effet les dispositions communautaires, en général plus strictes que la réglementation des banques multilatérales de développement ;
- l'Agence devrait appliquer à ses concours aux ONG françaises les mêmes règles que celles de l'ancienne Mission d'appui à l'action internationale des ONG (MAAIONG), concernant la participation minimale requise de l'association subventionnée ;
- dans certains pays, l'AFD recourt trop largement au système de la « caisse d'avance », qui fonctionne par renouvellement au fur et à mesure de la justification de 70 % des dépenses ;
- le maintien « en sommeil » de fonds d'études et de préparation de projets bloque inutilement des subventions budgétaires. Il serait préférable de les annuler après trois ans d'inactivité ou de mettre en place des fonds d'études à dimension régionale ;
- au Maghreb, Proparco, filiale de l'AFD, est trop positionnée sur l'intermédiation bancaire via des banques locales, au détriment des prêts directs aux PME.
a enfin abordé le domaine de la francophonie et de la coopération culturelle. Les alliances françaises et centres culturels visités en Afrique de l'Est sont confrontés en 2009 à une forte diminution de leurs subventions de fonctionnement. La situation financière des instituts de recherche est également tendue et contraint à accélérer la mobilisation des financements européens. Les alliances françaises d'Addis Abeba et de Nairobi ont cependant une valeur d'exemple, avec un taux d'autofinancement élevé (54 % en Ethiopie, près de 75 % au Kenya), des cours de langue attractifs et une réelle crédibilité auprès des autorités locales et des partenaires. Le centre culturel français de Djibouti affiche pour sa part un taux d'autofinancement insuffisant et une fréquentation disparate de ses événements culturels. De même, l'institut de Rabat a eu une programmation trop élitiste.
Il a considéré que la fusion du centre culturel français et de l'alliance française de Djibouti, dont les locaux se jouxtent, au sein d'un seul établissement à autonomie financière, serait logique et permettrait d'améliorer la lisibilité de l'offre française et les synergies de fréquentation. Il a cependant ajouté que la création des « Espaces France », établissements à autonomie financière procédant de la fusion des SCAC et centres culturels, met en question le positionnement des alliances françaises dans les pays, tels que l'Ethiopie ou le Kenya, où elles se substituent aux centres culturels.
Cet exposé a été suivi d'un large débat.