La navette législative se poursuit donc sur cette importante proposition de loi, qu'avaient déposée notre président, Jacques Legendre, et notre collègue Catherine Dumas. Il s'agit d'accompagner la mutation du secteur du livre, caractérisée par l'émergence du livre numérique. La régulation proposée par le texte a plusieurs objectifs : la promotion de la diversité culturelle et linguistique, notamment en application de la convention de l'Unesco, ce qui suppose le maintien de la richesse de l'offre éditoriale et de sa mise en valeur à l'égard des lecteurs. Deuxième objectif : le respect d'une concurrence loyale non susceptible de conduire à une concentration excessive du marché de la librairie numérique. A cette fin, les libraires physiques, qui contribuent au maillage culturel de notre territoire, doivent pouvoir aussi exister dans des conditions viables sur ce nouveau marché. Dernier objectif : le respect du droit d'auteur.
La propriété intellectuelle devant demeurer la clé de voûte de l'édition, les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix, comme le prévoit le texte qui applique ce principe au livre numérique dit « homothétique ». D'autres types d'oeuvres numériques fleuriront; mais les règles de concurrence ne semblent pas permettre, à ce stade, de les viser.
Après notre adoption du texte en première lecture le 26 octobre 2010, l'Assemblée nationale l'a examiné le 15 février. Elle a adopté des modifications de portée rédactionnelle à l'article premier qui définit le livre numérique et le champ d'application de la loi et à l'article 5 qui régit les relations commerciales entre éditeurs et détaillants. Elle a adopté conformes l'article 4 relatif aux ventes à primes, l'article 6 sur les sanctions et l'article 8 qui prévoit les modalités d'application du texte outre-mer. A l'article 2 relatif au principe de fixation du prix de vente par l'éditeur, elle est revenue à la rédaction initiale du premier alinéa, c'est-à-dire à l'application du texte aux seuls éditeurs établis en France. Au même article, elle a introduit un dispositif consensuel, qui n'avait pas pu être trouvé avec les professionnels à l'occasion de notre première lecture, afin d'instituer une exception au principe de la fixation du prix de vente par l'éditeur, applicable aux seuls livres numériques intégrés dans des offres composites spécifiques destinées à un usage collectif et dans un but de recherche ou d'enseignement supérieur. Nous soutenons cette disposition qui concerne notamment les éditeurs scientifiques.
A l'article 3, qui impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l'éditeur, les députés sont revenus au texte de la proposition initiale, en ne traitant que des libraires établis en France. L'extraterritorialité n'est donc plus visée. Ils ont complété l'article 7 qui prévoit un rapport annuel au Parlement, en prévoyant un comité de suivi et un développement spécifique dudit rapport sur le droit d'auteur. Il s'agit là d'une faible contrepartie à leur suppression de l'article 5 bis, que nous avions adopté, à l'unanimité, à l'initiative de notre collègue David Assouline en vue de garantir une rémunération des auteurs tenant compte de l'économie résultant du recours à l'édition numérique.
Enfin, l'Assemblée nationale a introduit un article 9, en adoptant deux amendements identiques de son rapporteur, M. Hervé Gaymard, et du groupe socialiste. Il s'agit d'une validation législative en faveur du mécénat culturel. Cette disposition concerne un permis de construire dans l'enceinte du Jardin d'acclimatation, à Paris, afin de permettre la poursuite de la construction du musée d'art contemporain édifié par une fondation d'entreprise. En effet, le motif d'annulation de ce permis de construire tient exclusivement à ce qu'une simple allée intérieure du jardin a été, bien que n'étant ni routière ni circulante, considérée comme une « voie », ce qu'elle n'est pas au sens des règlements d'urbanisme. Enfin, outre son caractère d'intérêt général, cet article est conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel en matière de validations législatives, pour des raisons que j'explicite dans mon rapport.
Depuis notre examen du texte, deux évènements sont intervenus : les avis circonstanciés de la Commission européenne, suite aux notifications par le Gouvernement, de la proposition de loi votée par le Sénat puis l'opération conduite chez certains éditeurs par les autorités européenne et française de la concurrence pour vérifier que leurs pratiques ne sont pas susceptibles de relever d'une entente. Cette démarche illustre la brutalité des rapports de force en présence sur le marché des oeuvres culturelles numériques, en particulier au sein de l'oligopole américain constitué d'Amazon, d'Apple et de Google, avec des méthodes trop souvent prédatrices. La Commission européenne a émis des réserves dans ses deux avis. Elle conclut de ses analyses que la proposition de loi pourrait restreindre la liberté d'établissement et la libre prestation de services et être également incompatible avec certaines dispositions de la directive services et de la directive e-commerce. Elle ajoute que, dans la mesure où un objectif de diversité culturelle pourrait justifier l'une des restrictions de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services potentiellement imposées par la proposition de loi, ces restrictions ne semblent pas appropriées pour atteindre des objectifs de diversité culturelle et ne sont pas proportionnelles à ces objectifs. Votre rapporteur relève cependant que la Commission européenne n'a pas « fermé la porte ». Elle a émis des réserves, certes fortes, mais a aussi posé au Gouvernement français une série de questions, certaines d'ordre général, d'autres relatives au droit de la concurrence, qui devraient permettre de les lever. Ceci suppose un volontarisme politique fort du Gouvernement, complémentaire de celui de notre Haute assemblée et une présentation complète et claire des objectifs du texte ainsi que l'apport des preuves et éclaircissements attendus par la Commission sur les différents points relevés, en particulier pour justifier le respect des principe de l'adéquation, de la nécessité et de la proportionnalité entre les objectifs de la proposition de loi et les moyens choisis pour les atteindre.
Comme nous l'avons encore constaté à l'occasion de la table ronde que nous avons organisée mercredi dernier avec différents acteurs de la filière, ce texte est très attendu par les professionnels. Les points de divergence avec nos collègues députés concernent les articles 2 et 3, et recouvrent deux questions : celle de l'adoption ou non d'une clause d'extraterritorialité concernant les éditeurs de livres numériques, à l'article 2, et les libraires, à l'article 3. Je vous proposerai, sur ces deux articles, des amendements tendant à revenir à la rédaction que nous avions adoptée à l'unanimité en première lecture sur la proposition de notre collègue Jean-Pierre Leleux. La seconde question concerne le droit d'auteur, en raison de la suppression de l'article 5 bis que nous avions introduit sur la proposition de notre collègue David Assouline. Nous aurons aussi un débat sur ce sujet car il me semble nécessaire de rétablir une rédaction de nature à mieux encadrer les négociations entre éditeurs et auteurs, ces derniers étant, souvent, dans un rapport de force défavorable pour obtenir une rémunération équitable en cas d'exploitation numérique de leur oeuvre.