Intervention de Rama Yade

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 mars 2011 : 1ère réunion
Convention sur la diversité culturelle de l'unesco — Audition de Mme Rama Yade ambassadrice déléguée permanente de la france auprès de l'unesco

Rama Yade, ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l'Unesco :

En 2005, penchés sur le berceau de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, les sceptiques ne lui donnaient aucun avenir : elle ne pèserait jamais au niveau international ; d'essence anti-américaine, elle serait vite marginalisée ; ses principes ne seraient pas reconnus et, dépourvue de moyens, elle n'aurait aucun résultat tangible. Un tel scepticisme n'est pas de mauvais augure : il accompagne souvent de grandes initiatives diplomatiques ! De fait, les partisans de l'immobilisme sont toujours les plus nombreux...

Or cette Convention est en soi un succès. Elle représente en effet une avancée majeure sur les principes : elle a renouvelé la conception de la culture dans le champ international. Jusqu'alors, la culture était partagée entre une conception patrimoniale - sites naturels et architecturaux, avec la Convention sur le patrimoine mondial de 1972, patrimoine culturel immatériel dans le cadre de la Convention de 2003 - et une acception anthropologique, avec l'idée de valoriser les cultures du monde et l'égale dignité entre les cultures. Désormais, plus personne ne conteste le fait de parler de biens et de services culturels, ni d'appréhender la culture à travers eux. Le temps est passé, où l'on s'interrogeait sur la légitimité de la notion « d'économie de la culture ».

Les apports de cette Convention sont cependant plus profonds, et ils sont à ce point passés dans le sens commun que l'on en oublie que c'est elle qui les a gravés sur les tables de la loi internationale. Les biens et services culturels ne peuvent être considérés comme de simples marchandises - c'est ce à quoi renvoie maladroitement la formule d'exception culturelle. Les États ont donc le droit de conduire des politiques culturelles publiques, le marché ne garantissant pas l'allocation optimale des ressources dans le secteur de la culture.

La Convention, et c'est la clef de son succès, établit ensuite un lien entre la diversité des expressions culturelles et le développement, ce qui a créé un cadre de solidarité, un partenariat Nord-Sud. Aujourd'hui, l'approche de la culture dans le champ international porte la marque indélébile de ce texte : il y a un « avant » et un « après » Convention.

Plusieurs États, les États-Unis en particulier, craignaient qu'elle ne serve de prétexte pour relativiser la portée universelle des droits de l'homme. Sacraliser la diversité culturelle dans un texte international aurait, selon eux, pu conduire à légitimer l'excision des jeunes filles ou les interdits au nom de coutumes locales ou de religions. Il n'en a rien été. Les prétextes fallacieux pour relativiser la portée des droits de l'homme ont été trouvés ailleurs. Le péril était mince, du reste, car toutes les précautions avaient été prises : son objet n'est pas la diversité des cultures, mais bien la diversité des expressions culturelles, et la précision n'est pas anodine, qui établit une référence non aux cultures en tant que telles, mais aux produits de la culture.

L'article 2 de la Convention est clair : « nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée ».

Je n'évoquerai pas le rôle de la francophonie dans la genèse du texte, M. Legendre le ferait mieux que moi. Je me bornerai à rappeler que tous les amendements, projets de décision, avis examinés par le comité intergouvernemental de la Convention, auquel la France a été réélue en 2009 pour un mandat de quatre ans, émanent du groupe francophone. La voix francophone prédomine et donne le ton aux débats. Les États non-membres de la famille francophone réagissent à nos propositions, nous « faisons » l'agenda.

Cas unique et remarquable, les grands pays émergents n'ont qu'une marge de manoeuvre minime, contrainte par la mécanique de la coordination francophone. Cela n'est pas, parfois, sans créer des tiraillements, y compris avec les pays membres de l'Union européenne non membres du groupe francophone, puisque la coordination francophone dépasse en précision et en qualité la coordination européenne. Il nous revient ainsi de faire le pont, d'assurer le lien.

Enfin, la francophonie est le moyen de dépasser les clivages Nord-Sud car elle brise les schémas géopolitiques préétablis, qui présentent comme irréconciliables les intérêts des pays développés et ceux des pays en développement.

Nous voulons parachever le mouvement de ratification de la Convention. L'adhésion internationale est particulièrement rapide, puisqu'en six ans, 116 États ont ratifié, et que ce mouvement sans guère d'équivalent se poursuit. Au sein de l'Union européenne, depuis la ratification de la République tchèque en 2010, seule la Belgique n'a pas ratifié la Convention, mais il n'y a plus de difficulté de principe. Les États-Unis sont toujours opposés à la ratification. Le Japon, en revanche, y réfléchit. Vous pouvez nous aider à convaincre nos partenaires : la diplomatie parlementaire est aussi un vecteur majeur d'influence.

La Convention de 2005 commence à se traduire par des actions sur le terrain, au bénéfice des pays en développement, qui déplorent de voir leurs créateurs émigrer vers les pays les plus riches, d'où le fruit de leurs créations leur revient cher et taxé. La Convention favorise la création d'industries et de réseaux culturels plus variés, face à une logique de concentration toujours plus grande.

Comment faire ? Entre 2005 et 2010, les États parties se sont livrés à un exercice long et nécessaire consistant à rédiger des directives opérationnelles, c'est-à-dire des décrets d'application de la Convention. Ce travail de bénédictin a laissé croire à une éclipse passagère de la Convention. Il n'en est rien. Ses mécanismes opérationnels en faveur des pays en développement sont maintenant en place et commencent à fonctionner. Les renforcer est prioritaire.

Grâce au Fonds international pour la diversité culturelle, 31 projets ont été sélectionnés lors de la dernière session du comité de la Convention, en décembre dernier, pour un montant de 1,55 million de dollars. Ils concernent des projets aussi divers que la constitution d'un pôle de formation aux métiers de la musique et des arts au Sénégal, la création d'une banque d'images au Cameroun, le soutien à un festival de théâtre à Niamey... Le Fonds bénéficie de financements encore modestes, mais il est attractif : la Norvège a annoncé en décembre 1,4 million de dollars, l'Union européenne 1 million d'euros. A titre bilatéral, nous y apportons 150 000 euros : c'est encore trop peu, je suis favorable à une augmentation de notre contribution volontaire comme à sa pérennisation, et votre aide sera précieuse à l'heure des choix budgétaires.

L'article 20 de la Convention a posé des principes clairs : « le soutien mutuel, la complémentarité et la non-subordination », cela en relation avec les autres instruments internationaux dont l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Je crois qu'il serait prématuré d'aller au-delà car les interprétations juridiques sont incertaines : nous ne savons pas comment serait arbitré un différend entre les règles de l'OMC et celles de la Convention. Certains pays sont parfois tentés, sous des pressions amicales, de renoncer à des droits qu'ils tiennent de la Convention sur la diversité des expressions culturelles lors de la conclusion d'accords bilatéraux de libre échange. Les enjeux ne se limitent pas à l'interprétation du droit, ils concernent aussi l'économie, en particulier dans le domaine des biens audiovisuels, et la Convention peut être contournée, c'est le risque majeur.

Pour y faire face, l'Union européenne et la France ont adopté leur propre stratégie. Dans nos accords de coopération ou d'échanges culturels, partout où cela est possible, nous faisons référence à la Convention de 2005 et déclinons ses principes et normes. Ce sont dans ces accords bilatéraux, plus ponctuels, que la Convention prend son sens.

La Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles continue de creuser son sillon. Elle s'est installée dans le paysage des grandes conventions internationales, le nombre de ratifications a atteint un niveau élevé et croît régulièrement, ses mécanismes en faveur du développement des industries culturelles dans les pays en développement entrent en application, les normes qu'elle véhicule font leur chemin. Encore jeune, elle n'a pas porté tous ses fruits, et elle est encore riche de potentialités importantes. Soyons patients, laissons le temps au temps. Mais restons très actifs, à travers la francophonie notamment, tant pour veiller à la bonne mise en oeuvre de la Convention que pour la renforcer face à d'autres instruments internationaux.

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