La commission entend Mme Rama Yade, ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l'Unesco sur la Convention sur la diversité culturelle de l'Unesco.
Il est rare que nous entendions l'ambassadeur délégué permanent de la France auprès de l'Unesco, et c'est un plaisir de recevoir à ce titre Mme Rama Yade.
La diversité culturelle est au coeur des préoccupations de notre commission. Nous avons participé il y a cinq ans à la bataille que la France a menée, aux côtés du Canada, pour la diversité des expressions culturelles et qui a conduit à la Convention de 2005, votée par l'Unesco à l'unanimité moins deux voix, celles des États-Unis et d'Israël. J'ai récemment participé à Québec à un colloque de l'Assemblée parlementaire francophone consacré à cette Convention et les parties signataires doivent prochainement se réunir : il est donc bien naturel que nous vous interrogions, madame l'Ambassadeur, sur le bilan que vous faites de cette Convention et sur la stratégie poursuivie par l'Unesco pour promouvoir et protéger la diversité des expressions culturelles. Ne nous y trompons pas, nous sommes en pleine actualité, puisque nous avons à propos du prix unique du livre numérique quelques petits problèmes avec la Commission européenne, alors que nous mettons en avant la Convention que tous les États membres, exception faite de la Belgique, ont ratifiée. Comment comptez-vous conférer toute sa portée à cette Convention ?
En 2005, penchés sur le berceau de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, les sceptiques ne lui donnaient aucun avenir : elle ne pèserait jamais au niveau international ; d'essence anti-américaine, elle serait vite marginalisée ; ses principes ne seraient pas reconnus et, dépourvue de moyens, elle n'aurait aucun résultat tangible. Un tel scepticisme n'est pas de mauvais augure : il accompagne souvent de grandes initiatives diplomatiques ! De fait, les partisans de l'immobilisme sont toujours les plus nombreux...
Or cette Convention est en soi un succès. Elle représente en effet une avancée majeure sur les principes : elle a renouvelé la conception de la culture dans le champ international. Jusqu'alors, la culture était partagée entre une conception patrimoniale - sites naturels et architecturaux, avec la Convention sur le patrimoine mondial de 1972, patrimoine culturel immatériel dans le cadre de la Convention de 2003 - et une acception anthropologique, avec l'idée de valoriser les cultures du monde et l'égale dignité entre les cultures. Désormais, plus personne ne conteste le fait de parler de biens et de services culturels, ni d'appréhender la culture à travers eux. Le temps est passé, où l'on s'interrogeait sur la légitimité de la notion « d'économie de la culture ».
Les apports de cette Convention sont cependant plus profonds, et ils sont à ce point passés dans le sens commun que l'on en oublie que c'est elle qui les a gravés sur les tables de la loi internationale. Les biens et services culturels ne peuvent être considérés comme de simples marchandises - c'est ce à quoi renvoie maladroitement la formule d'exception culturelle. Les États ont donc le droit de conduire des politiques culturelles publiques, le marché ne garantissant pas l'allocation optimale des ressources dans le secteur de la culture.
La Convention, et c'est la clef de son succès, établit ensuite un lien entre la diversité des expressions culturelles et le développement, ce qui a créé un cadre de solidarité, un partenariat Nord-Sud. Aujourd'hui, l'approche de la culture dans le champ international porte la marque indélébile de ce texte : il y a un « avant » et un « après » Convention.
Plusieurs États, les États-Unis en particulier, craignaient qu'elle ne serve de prétexte pour relativiser la portée universelle des droits de l'homme. Sacraliser la diversité culturelle dans un texte international aurait, selon eux, pu conduire à légitimer l'excision des jeunes filles ou les interdits au nom de coutumes locales ou de religions. Il n'en a rien été. Les prétextes fallacieux pour relativiser la portée des droits de l'homme ont été trouvés ailleurs. Le péril était mince, du reste, car toutes les précautions avaient été prises : son objet n'est pas la diversité des cultures, mais bien la diversité des expressions culturelles, et la précision n'est pas anodine, qui établit une référence non aux cultures en tant que telles, mais aux produits de la culture.
L'article 2 de la Convention est clair : « nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée ».
Je n'évoquerai pas le rôle de la francophonie dans la genèse du texte, M. Legendre le ferait mieux que moi. Je me bornerai à rappeler que tous les amendements, projets de décision, avis examinés par le comité intergouvernemental de la Convention, auquel la France a été réélue en 2009 pour un mandat de quatre ans, émanent du groupe francophone. La voix francophone prédomine et donne le ton aux débats. Les États non-membres de la famille francophone réagissent à nos propositions, nous « faisons » l'agenda.
Cas unique et remarquable, les grands pays émergents n'ont qu'une marge de manoeuvre minime, contrainte par la mécanique de la coordination francophone. Cela n'est pas, parfois, sans créer des tiraillements, y compris avec les pays membres de l'Union européenne non membres du groupe francophone, puisque la coordination francophone dépasse en précision et en qualité la coordination européenne. Il nous revient ainsi de faire le pont, d'assurer le lien.
Enfin, la francophonie est le moyen de dépasser les clivages Nord-Sud car elle brise les schémas géopolitiques préétablis, qui présentent comme irréconciliables les intérêts des pays développés et ceux des pays en développement.
Nous voulons parachever le mouvement de ratification de la Convention. L'adhésion internationale est particulièrement rapide, puisqu'en six ans, 116 États ont ratifié, et que ce mouvement sans guère d'équivalent se poursuit. Au sein de l'Union européenne, depuis la ratification de la République tchèque en 2010, seule la Belgique n'a pas ratifié la Convention, mais il n'y a plus de difficulté de principe. Les États-Unis sont toujours opposés à la ratification. Le Japon, en revanche, y réfléchit. Vous pouvez nous aider à convaincre nos partenaires : la diplomatie parlementaire est aussi un vecteur majeur d'influence.
La Convention de 2005 commence à se traduire par des actions sur le terrain, au bénéfice des pays en développement, qui déplorent de voir leurs créateurs émigrer vers les pays les plus riches, d'où le fruit de leurs créations leur revient cher et taxé. La Convention favorise la création d'industries et de réseaux culturels plus variés, face à une logique de concentration toujours plus grande.
Comment faire ? Entre 2005 et 2010, les États parties se sont livrés à un exercice long et nécessaire consistant à rédiger des directives opérationnelles, c'est-à-dire des décrets d'application de la Convention. Ce travail de bénédictin a laissé croire à une éclipse passagère de la Convention. Il n'en est rien. Ses mécanismes opérationnels en faveur des pays en développement sont maintenant en place et commencent à fonctionner. Les renforcer est prioritaire.
Grâce au Fonds international pour la diversité culturelle, 31 projets ont été sélectionnés lors de la dernière session du comité de la Convention, en décembre dernier, pour un montant de 1,55 million de dollars. Ils concernent des projets aussi divers que la constitution d'un pôle de formation aux métiers de la musique et des arts au Sénégal, la création d'une banque d'images au Cameroun, le soutien à un festival de théâtre à Niamey... Le Fonds bénéficie de financements encore modestes, mais il est attractif : la Norvège a annoncé en décembre 1,4 million de dollars, l'Union européenne 1 million d'euros. A titre bilatéral, nous y apportons 150 000 euros : c'est encore trop peu, je suis favorable à une augmentation de notre contribution volontaire comme à sa pérennisation, et votre aide sera précieuse à l'heure des choix budgétaires.
L'article 20 de la Convention a posé des principes clairs : « le soutien mutuel, la complémentarité et la non-subordination », cela en relation avec les autres instruments internationaux dont l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Je crois qu'il serait prématuré d'aller au-delà car les interprétations juridiques sont incertaines : nous ne savons pas comment serait arbitré un différend entre les règles de l'OMC et celles de la Convention. Certains pays sont parfois tentés, sous des pressions amicales, de renoncer à des droits qu'ils tiennent de la Convention sur la diversité des expressions culturelles lors de la conclusion d'accords bilatéraux de libre échange. Les enjeux ne se limitent pas à l'interprétation du droit, ils concernent aussi l'économie, en particulier dans le domaine des biens audiovisuels, et la Convention peut être contournée, c'est le risque majeur.
Pour y faire face, l'Union européenne et la France ont adopté leur propre stratégie. Dans nos accords de coopération ou d'échanges culturels, partout où cela est possible, nous faisons référence à la Convention de 2005 et déclinons ses principes et normes. Ce sont dans ces accords bilatéraux, plus ponctuels, que la Convention prend son sens.
La Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles continue de creuser son sillon. Elle s'est installée dans le paysage des grandes conventions internationales, le nombre de ratifications a atteint un niveau élevé et croît régulièrement, ses mécanismes en faveur du développement des industries culturelles dans les pays en développement entrent en application, les normes qu'elle véhicule font leur chemin. Encore jeune, elle n'a pas porté tous ses fruits, et elle est encore riche de potentialités importantes. Soyons patients, laissons le temps au temps. Mais restons très actifs, à travers la francophonie notamment, tant pour veiller à la bonne mise en oeuvre de la Convention que pour la renforcer face à d'autres instruments internationaux.
Je trouve votre propos bien pondéré, madame l'Ambassadeur, je déplore pour ma part que les choses n'avancent pas de façon satisfaisante. Pour obtenir la signature de la Convention de 2005, nous sommes allés chercher des voix, nous avons fait des promesses qu'avec notre très faible participation financière, nous ne paraissons pas tenir aujourd'hui.
Dans les conventions bilatérales, ensuite, les négociations sont difficiles, y compris avec le Canada, et l'on constate un « grignotage » du dispositif. Nous ne disposons pas, pour le défendre, des contreparties qu'autorise un marchandage global tel qu'il existe dans des enceintes comme l'OMC : nous sommes ici dans le cadre plus restreint de la culture. Je conviens parfaitement que nous avons notre rôle à jouer, comme parlementaires, nous devons être vigilants à toute remise en cause par des accords bilatéraux.
Il nous faut tenir nos engagements, pour promouvoir la diversité des expressions culturelles. La culture est partout en danger, nous le constatons régulièrement : le combat n'est pas terminé, en Europe même. De voir le ministère des affaires étrangères confié à M. Juppé nous met du baume au coeur, car il s'était montré très vigilant sur le sujet, de même que M. Toubon, mais nous savons aussi que le sujet requiert notre attention de tous les instants : comment comptez-vous honorer nos promesses ?
La Convention commence à avoir des effets concrets, le Fonds international pour la diversité culturelle vient de sélectionner 31 projets, sur 254, et il a vocation à monter en puissance. Les projets vont de 5 000 à plusieurs dizaines de milliers d'euros. La France y contribue pour 150 000 euros, les deux tiers proviennent des affaires étrangères et un tiers de la culture. Je suis favorable à un effort plus important. La promotion de la diversité des expressions culturelles passe aussi par la Coalition française pour la diversité culturelle, présidée par M. Pascal Rogard.
Assiste-t-on à un « grignotage » de la Convention de 2005 par les accords bilatéraux ? Je crois que cela se fait dans les deux sens, puisque, autant que faire se peut, nous introduisons ses principes dans les instruments touchant à la culture, d'où un mouvement de balancier. Nous restons vigilants, tandis que se diffusent les principes que concrétiseront les actions soutenues par le Fonds international.
Je suis membre du bureau de la Coalition. Depuis le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) et jusqu'à la conférence de Seattle, j'ai participé à la longue bataille pour faire reconnaître que la culture n'est pas une marchandise comme les autres. Je ne partage pas votre réticence envers l'exception culturelle, je crois même que l'idée n'a rien à envier à celle de diversité culturelle : je me souviens de Mme Trautmann entrée dans les négociations sous le drapeau de l'exception culturelle, pour en ressortir avec celui de la diversité culturelle, qui flotte moins haut. L'exception culturelle est plus efficace contre la marchandisation galopante de la culture, on s'en aperçoit partout en Afrique, en Asie et en Europe. En France, nous avions l'avantage que tous les politiques, de François Mitterrand à M. Toubon et à M. Juppé, tiraient dans le même sens ; je crois que ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui.
J'ai avec moi un document relatif aux droits et rémunérations des auteurs audiovisuels en Europe, la situation est grave : les auteurs de dix-sept pays nous alertent, le copyright à l'américaine prend le dessus, on ne mentionne plus même le droit d'auteur à la française ! Ce n'est du reste pas une surprise, tant on sait que les Américains n'ont accepté de signer la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, mais sans appliquer l'article 6 bis sur le droit moral de l'auteur !
Vous nous dites, madame l'Ambassadeur, que la France ne participe que pour 150 000 euros au Fonds international pour la diversité culturelle : ce chiffre même me fait honte ! La Convention de 2005 serait un succès en soi, alors qu'elle n'entraîne aucune obligation, qu'elle n'est assortie d'aucune sanction : la période est bien molle ! Et les États-Unis ne se privent pas de grignoter partout cette Convention déjà bien maigre... Un grand patron du cinéma américain l'avait dit au festival international du film policier de Beaune : une réglementation a minima sur le cinéma « traditionnel », et aucune pour les nouvelles technologies de l'information et de la communication, il a même qualifié le droit d'auteur de « bacille », avant de modérer, un peu, son propos.
L'Europe elle-même refuse notre conception du droit d'auteur, notre tentative raisonnable pour donner un prix unique au livre numérique. Elle paraît résolue à accepter que des entreprises comme Google ou Apple vendent les livres numériques au prix qu'elles veulent, alors que ces entreprises implantées de l'autre côté de nos frontières, échappent quasiment à tout impôt, à toute contrainte.
Nous avons fêté le cinquième anniversaire de la Convention de 2005, dans les anciens bâtiments de l'Imprimerie nationale, sous les auspices du ministère des Affaires étrangères. Nous n'y étions pas nombreux, 150 tout au plus, et je ne peux exprimer le contraste entre la tribune toute acquise au bilatéralisme, ne parlant que commerce et concurrence, et la salle, protestant avec véhémence : triste anniversaire ! Autre anniversaire, autre climat : celui de l'Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), où la salle, nombreuse, était vent debout contre les accords bilatéraux qui rognent toujours plus le droit d'auteur ! Il y a eu celui passé avec les Caraïbes, pour lesquelles la France a pensé faire un geste. Mais les enjeux sont bien plus importants pour la renégociation de l'accord avec la Corée du Sud, où les États-Unis sont parvenus à imposer un quota plancher pour la diffusion de films américains. Et cette renégociation importante est confiée au commissaire européen du commerce et de la concurrence ! Il en sera de même demain, pour négocier avec l'Inde, première puissance cinématographique mondiale !
Vous vous félicitez de l'article 20 de la Convention ? « Les Parties reconnaissent qu'elles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la présente Convention et de tous les autres traités auxquels elles sont parties. Ainsi, sans subordonner cette Convention aux autres traités : (a) elles encouragent le soutien mutuel entre cette Convention et les autres traités auxquels elles sont parties ; et (b) lorsqu'elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu'elles souscrivent à d'autres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention. Rien dans la présente Convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d'autres traités auxquels elles sont parties ». C'est un modèle d'ambiguïté ! Je peux le dire pour avoir participé à la négociation (les ONG étaient admises), nous n'en voulions pas. Le travail sera immense, nous devons nous aussi mobiliser toutes nos forces, et rencontrer M. Barnier, sinon la Convention de 2005 risque bien de n'être qu'un emplâtre sur la jambe de bois de la marchandisation triomphante !
Cet article 20 m'évoque la réponse de Robert Musil quand on lui demanda comment il définissait un quadrupède : « La chaise, l'équation du quatrième degré, la table et le chien ». Je vous citerai encore la poétesse russe Marina Tsvetaieva : « Le matériau des chaussures, le cuir peut être estimé, il est fini ; le matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit ne peut être estimé, il est infini. Il n'existe pas de chaussure pour toujours ; chaque vers de Sapho est donné une fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela n'existe pas. Tandis que des vers, ô combien ! ». Voilà la nourriture spirituelle de la Convention, qui n'est pas suffisamment prise en compte dans la pratique !
Nous attendons donc beaucoup de vous, d'autant que vous connaissez les continents où la situation est pire que la nôtre. L'on doit réguler le bilatéralisme car un petit contre un gros, c'est toujours un danger ! Je rends hommage au travail réalisé par M. Toubon, mais il faut aujourd'hui aller plus loin et nous comptons sur votre engagement dynamique !
Je note avec satisfaction le poids et l'influence du groupe francophone mais comment expliquez-vous cet engouement ?
En tant que vice-présidente du groupe francophone à l'Unesco, je suis bien sûr très sensible aux atouts de la francophonie. Celle-ci repose sur une solidarité, une communauté de culture, une approche spécifique et le souci de continuer à faire entendre cette voix singulière. Voilà un bien précieux à préserver, y compris en France, pour que les Français s'appuient sur la francophonie. L'on peut d'ailleurs s'enorgueillir d'une telle dynamique, ce qui n'exclut la vigilance.
L'article 20 est-il ambigu, monsieur Ralite ? Mais cela est volontaire, c'est le lot de la diplomatie, et je crois que chercher à modifier l'article, ce serait ouvrir la boîte de Pandore, au risque d'encourager les véritables opposants à l'expression de la diversité culturelle à revenir à la charge. Personne ne sait comment serait tranché un conflit entre les règles de l'OMC et la Convention de 2005. Il est vrai que des accords bilatéraux peuvent chercher à contourner celle-ci, c'est un défi à relever et c'est bien pourquoi l'Union européenne et la France poursuivent cette stratégie consistant à intégrer ses principes chaque fois que c'est possible. Nous sommes dans un rapport de forces géopolitique, mais nous ne sommes pas seuls, et nous pouvons compter, au-delà de l'Europe, sur les pays de la francophonie pour équilibrer le débat.
La période serait-elle molle ? Le temps a été mis à profit pour préciser l'application de la Convention. La période ne semble pas atone aux pays en voie de développement, qui sont les plus mobilisés. Quant à la participation budgétaire de la France, on peut en effet souhaiter une augmentation de notre contribution, à proportion du leadership auquel nous prétendons.
Madame l'ambassadeur, quelles sont vos priorités, et quelle est la stratégie de la France pour défendre cette vision ?
La grande avancée de la Convention est l'idée que la culture n'est pas une marchandise comme les autres. Sauf que l'on ne sait pas comment faire dans une économie numérique, sans frontière ni possibilité de construire des digues artificielles, et alors que les propriétaires de quasiment tous les réseaux se trouvent dans un seul pays, les États-Unis. Comment parvenir à un prix unique pour le livre numérique ? Nous saluons tous l'utilité du prix unique du livre, mis en place depuis 1985 et nous voulons suivre la même méthode pour le livre numérique. Cependant, la Commission européenne paraît disposée à accorder à Google ou à Amazon le droit de vendre les livres numériques au prix qu'elles veulent, ce qui casserait tout notre dispositif. Pour justifier le prix unique, nous nous référons à la Convention de 2005 pour exiger l'extraterritorialité. Donnez-nous votre point de vue : nous pourrons en faire état dans le débat parlementaire.
Notre proposition de loi sur le livre numérique vise effectivement à réguler le marché numérique tout en garantissant le maintien de la richesse éditoriale. La Commission européenne risque de contester la clause d'extraterritorialité, ce qui ruinerait nos espoirs de régulation. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps d'alléguer la clause d'exception culturelle ?
Nous parlons entre sachants. Or, si l'opinion publique connaît l'Unesco de nom, nos compatriotes seraient bien en peine pour dire quelles en sont les actions, alors même que les sujets dont nous parlons aujourd'hui sont très importants : par quelle communication comptez-vous faire mieux connaître votre institution ?
Lorsque nous nous étions saisis pour avis du projet de loi ratifiant la Convention de 2005, M. Musitelli nous avait dit combien le texte en avait été négocié, comment il avait fallu tenir compte des réticences pour parvenir à un compromis, pourquoi, en un mot, il avait fallu accepter d'affaiblir la Convention, plutôt que de devoir y renoncer. Si donc je regrette l'ambiguïté de l'article 20, je sais aussi que cette Convention a le mérite d'exister. Nous devons rester vigilants, et nous souvenir que les États-Unis avaient quitté l'Unesco, parce qu'ils refusaient de financer le quart du budget d'une organisation qu'ils ont réintégrée avec l'objectif d'empêcher la Convention de 2005 de voir le jour : les choses étaient donc loin d'être acquises.
Si l'on a, alors, beaucoup parlé d'exception culturelle, c'était par référence à une clause que le Canada avait obtenue dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain ALENA : en Amérique du nord, les biens culturels échappaient par exception à la libre circulation des marchandises, et c'était là une victoire obtenue de haute lutte par les Canadiens pour leur cinéma menacé par Hollywood. Nous voulions reprendre ce mécanisme dans le cadre du GATT, mais l'expression s'est alors révélée malheureuse, en accréditant l'idée que la France défendait sa « culture exceptionnelle »,...
Restait la question de savoir si l'on devait faire vivre ce principe par la voie de l'OMC ou de l'Unesco, qui a semblé plus favorable à nos thèses. Ce combat a été mené en liaison étroite avec le Canada - donc le Québec. Ce groupe francophone fort a eu un effet d'entraînement sur les autres pays européens, qui ont signé. M. Ralite était alors intervenu, comme je l'avais fait dans l'enceinte de l'Unesco.
Ce qui me préoccupe, et cela rejoint notre débat sur le livre numérique, c'est que bien que tous les pays européens - sauf la Belgique, pour les raisons internes que l'on connaît - aient ratifié la Convention, la Commission européenne n'a pas intégré cette volonté des États membres. Vous paraît-il envisageable, madame l'Ambassadrice, de s'appuyer sur la Convention pour pousser à une renégociation de la directive services ? Car aujourd'hui, la Commission européenne nous objecte que le livre numérique n'étant pas un bien concret, elle relève de la directive services. D'où nos difficultés à imposer le prix unique à des éditeurs hors territoire national. Moyennant quoi, Amazon a les mains libres... Allons-nous agir ? Nous sommes au coeur du débat : les États membres ont marqué leur souci de préserver la diversité culturelle, mais la Commission européenne, qui reste obnubilée par le principe de libre circulation des biens et des services, n'applique pas l'esprit de la Convention.
Les priorités de notre action, monsieur Bérit-Débat, sont définies par les ministères. Elles vont à la poursuite du mouvement de ratification, en encourageant les États non signataires, comme le Japon ou la Belgique ; au renforcement des mécanismes en place dans les pays en développement, d'où l'importance du Fonds international et de la question du traitement préférentiel. Cela témoigne bien de l'intérêt concret du texte, qui ne porte pas seulement des principes mais des actions. Autre priorité, faire du grignotage à rebours, en militant pour que les principes de la Convention soient intégrés dans nos accords bilatéraux, afin d'éviter que l'esprit, voire la lettre du texte ne soient détournés. Tout en travaillant à inspirer l'agenda culturel de l'Unesco, nous appelons l'Union européenne et les États à décliner les principes de la Convention : c'est un combat permanent, qui vise à faire essaimer l'esprit du texte en Europe, et à éveiller la vigilance.
Quoique fondamentale, la question du livre numérique, monsieur Assouline, madame Mélot, n'est pas abordée dans le cadre de la Convention. Elle relève de la problématique des langues et du patrimoine. L'Unesco fonctionne, en ce dernier domaine, de manière empirique, au cas par cas. La numérisation des contenus culturels est cependant pour elle un enjeu, sur lequel elle agit, conformément à l'objectif qui lui est assigné de contribuer à la paix, y compris par les moyens de l'information et de la communication. De cette question, la directrice générale, Mme Irina Bokova, entend faire une priorité de son mandat. C'est ainsi qu'elle a souhaité conforter la coopération entre l'Unesco et la France dans le cadre de la présidence du G20, afin que ce souci y rencontre un écho. Le ministre de la culture l'a invitée à participer cet automne, au forum d'Avignon pour le G8 élargi. Reste que les décisions de l'Unesco se prennent par consensus et requièrent l'accord de 193 États, d'où une certaine lenteur. Pour aller de l'avant, la directrice générale entend organiser en 2012 une conférence sur le sujet.
La politique de communication, monsieur Bodin ? L'Unesco, qui existe depuis l'après-guerre, se consacre pour beaucoup à la prospective et à la rédaction des normes internationales dans le champ de son activité. La directrice générale souhaite mettre en place un important travail de communication afin de faire mieux connaître l'institution. Son siège étant établi en France, elle mériterait d'être mieux connue de nos compatriotes. Nous avons un rôle particulier à jouer. Les commissions nationales sont adossées aux délégations, et les experts qui s'y impliquent représentent la société civile.
Reste que l'activité de l'Unesco est technique, et le fruit d'un long travail de dialogue, ce qui ne facilite pas la vulgarisation, même si la grande qualité de ses travaux justifie qu'ils soient mieux connus du grand public. Outre une bonne coopération avec le G20, une visite du Président de la République serait un bon moyen de faire connaître l'Unesco.
Mettre en cause la directive « Services » en s'appuyant sur la Convention, monsieur le Président ? Encore une fois, l'Unesco fonctionne beaucoup au cas par cas. Le chantier que vous appelez de vos voeux n'est pas ouvert aujourd'hui. Aux ministères d'y réfléchir.
Nous souhaitons que le Gouvernement français engage une réflexion sur les moyens de s'appuyer sur la Convention afin de reposer le problème de la directive « Services » qui, en l'état, nuit à l'objectif de préservation de la diversité culturelle. Tel est le message que nous aimerions vous voir relayer. Je suis sûr que notre ministre des affaires étrangères peut y être sensible, comme le ministre délégué aux affaires européennes. Le Président de la République lui-même, qui a récemment réuni les acteurs de l'Internet, ne devrait pas y être indifférent.
M. Bodin a fait preuve d'optimisme en nous qualifiant de « sachants » : nous aurions bien besoin de connaître de plus près l'institution de l'Unesco, et c'est pourquoi je reprends ici la suggestion de Mme Malovry de vous rendre visite.
Excellente idée. Mais vous savez la situation de l'édifice : vous ne manquerez pas de recevoir, à ce sujet, un message des délégations. Au vrai, l'Unesco est établie sur deux sites, celui de la place Fontenoy, dans le VIIe arrondissement, qui accueille les grandes conférences et, à proximité, l'immeuble du XVe qui abrite la plupart des délégations, sauf celles des États-Unis, du Japon et des Pays-Bas.
Je m'interroge sur la question des coopérations décentralisées. Il n'en est aucune qui n'intègre peu ou prou la culture. Et la diversité culturelle est toujours la règle. L'Unesco suit-elle ces actions ? Bien des collectivités territoriales y sont engagées, des plus importantes aux plus modestes - je puis citer le cas, dans ma région, d'une commune de 300 habitants qui mène une coopération exemplaire avec le Sénégal en faveur de la lecture publique. Alors que l'action de l'État n'est pas toujours à la hauteur, la coopération décentralisée fonctionne fort bien. Les petits ruisseaux, madame l'Ambassadrice, font les grandes rivières...
L'Unesco est une organisation intergouvernementale, mais ce peut en effet être un objectif que de s'ouvrir vers d'autres partenaires que les États : collectivités territoriales ou partenaires privés, avec leurs fondations. La directrice générale souhaite développer de tels partenariats. Quant aux collectivités, nous travaillons beaucoup avec elles, pour l'essentiel dans le cadre du classement au patrimoine mondial, pour lequel elles présentent des dossiers.
Je vous remercie, madame l'Ambassadrice, d'avoir aimablement répondu à notre invitation. Nous ne manquerons pas de vous rendre visite.