Après avoir rappelé que cette audition était ouverte aux membres de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères, ainsi qu'à la presse et salué la présence de M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, M. Jean Arthuis, président, a fait valoir que l'Institut du monde arabe (IMA) était une institution singulière :
- pour ses visiteurs, il est un centre culturel prestigieux, connu pour ses grandes expositions patrimoniales ;
- selon le Quai d'Orsay, qui supporte le paiement d'une subvention de fonctionnement de 12,3 millions d'euros, il s'agit d'une organisation internationale ;
- sur un plan juridique, l'Institut du monde arabe est une fondation de droit privé, au sein de laquelle siègent des ambassadeurs des Etats arabes, mais aucun représentant officiel de notre pays.
Il a jugé que ce caractère insaisissable lui donnait une originalité reconnue, mais était aussi à l'origine de dysfonctionnements qui avaient jalonné sa gestion depuis son ouverture en 1987. Il a rappelé que la Cour des comptes avait consacré pas moins de cinq contrôles à l'IMA qui l'avaient conduite à formuler des critiques persistantes soulignant son incapacité à empêcher une dérive tant stratégique que financière, et à parvenir « à déterminer ce que devait être sa place parmi les grandes institutions culturelles parisiennes ». Il a remarqué que le référé de la Cour des comptes relatif à la période 2003-2006, transmis au Premier ministre le 11 décembre 2007, sans réponse à ce jour et communiqué à la commission le 25 avril 2008, soulignait, une fois encore, la gravité des défaillances pour la période concernée. Selon ce document, le déficit d'exploitation cumulé atteignait, en 2006, 38,5 millions d'euros et il manquait toujours 34 millions d'euros de contributions des Etats fondateurs, dont 13,9 millions d'euros pour l'Irak et 12,5 millions d'euros pour la Libye.
Rappelant par ailleurs que la commission avait appris que l'IMA avait été autorisé en 2007 par l'Autorité des marchés financiers à bénéficier de donations au titre des « instruments de la purification de la part impure des dividendes », il a souhaité obtenir des précisions à ce sujet.
Il a jugé que les observations de la Cour étaient sévères, relevant une « gestion de la trésorerie laxiste et coûteuse », des « pratiques d'achats et de sous-traitance contestables », avec des surfacturations systématiques émanant d'une société qui entretenait des relations privilégiées avec l'ancien directeur du département du musée et des expositions, et enfin un inventaire des collections défaillant. Il a noté que la Cour des comptes souhaitait des clarifications sur des points importants : la rémunération, le rôle et le statut fiscal du directeur général, la stratégie du musée et de la bibliothèque, la valorisation des activités connexes et la recherche du mécénat.
Il a observé que la gravité de la situation de l'IMA aurait pu conduire la Cour des comptes à inscrire son contrôle dans son rapport public, puisque le référé évoquait « une spirale entraînant l'IMA vers une situation d'échec mettant en cause jusqu'à sa pérennité ». Il a indiqué que, si elle ne l'avait pas fait, c'était parce qu'elle avait considéré que son nouveau président, nommé fin 2006, s'était investi dans une opération de sauvetage, qui devait, selon la Cour des comptes, lui donner un élan nouveau.
Plus d'un an après cette nomination, il lui est apparu bienvenu de dresser un bilan d'étape de cette opération de sauvetage, d'autant que M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat » poursuivait un contrôle de l'IMA qui intégrerait les enseignements de la présente audition. Il s'est interrogé sur les réformes structurelles pouvant être apportées en termes de gouvernance, pour dissiper notamment les ambiguïtés du statut de l'IMA, permettre à la tutelle ministérielle de s'exercer et déterminer une véritable stratégie à travers un contrat d'objectifs et de moyens.
M. Alain Pichon, président de la 4e chambre de la Cour des comptes, a expliqué que si la Cour des comptes avait décidé de renoncer à un projet d'insertion de ses conclusions sur la gestion 2003-2006 de l'IMA au rapport public, c'était pour ne pas compromettre, par une communication publique prématurée, l'évolution positive résultant des premières initiatives du nouveau président. Il a précisé que cette ambition avait besoin de s'inscrire dans la durée afin d'entamer un redressement durable de l'Institut et devait bénéficier du soutien vigilant des autorités de l'Etat. La Cour des comptes n'a pas encore reçu de réponse officielle du Premier ministre à son référé, mais le ministère des affaires étrangères et des affaires européennes lui a transmis un projet de réponse officieux.
Il a ensuite formulé plusieurs recommandations. Il a, tout d'abord, souligné la nécessité d'effacer les ambiguïtés d'un statut qui n'avait plus sa raison d'être originelle, l'appelant à se doter d'un directeur général des services aux compétences et à l'expérience « manageriales » adaptées aux missions fondamentales de l'établissement. Il a regretté que les choix opérés jusqu'à présent par les ambassadeurs des pays arabes, pour cette fonction, aient davantage privilégié les critères d'ordre politique ou diplomatique que des qualités administratives. Il a recommandé que soit institué un comité d'audit financier et comptable auprès du conseil d'administration et que soit réuni, de manière régulière, le haut conseil auprès de l'IMA, dont le rôle avait été, jusqu'à présent, trop négligé.
Tout en reconnaissant que la notion de tutelle ne s'appliquait pas à un Institut qui, sur le plan juridique, était une fondation instituée par les représentants des 23 Etats de la Ligue arabe, il a montré que l'importance du concours financier de l'Etat français légitimait, au sein du conseil d'administration, une présence statutaire du ministère des affaires étrangères, sur le budget duquel était imputé la contribution annuelle de 12,3 millions d'euros, de même que celle d'autres départements ministériels concernés, notamment ceux de la culture et des finances.
Il a regretté que l'IMA n'ait jamais véritablement tranché entre certains débats de fond, relevant que :
- se maintenaient des orientations consistant à privilégier, dans le cadre de grandes expositions, les thèmes qui, pour être sans aucun doute attractifs, s'éloignaient sensiblement de la vocation « arabe » de l'établissement (expositions : Pharaon, les Phéniciens, les photographes arméniens...) ;
- s'ajoutait la volonté de M. Dominique Baudis d'impliquer fortement l'IMA dans la mise en oeuvre de la politique nationale d'intégration des populations françaises d'origine arabe, c'est-à-dire essentiellement maghrébines ;
- se posait la question de l'extension du champ d'action de l'établissement aux Etats islamiques non arabes.
Sans vouloir se substituer aux organes de décision de l'Institut et de l'Etat, il a indiqué que la Cour des comptes se devait de mettre en garde les pouvoirs publics sur les conséquences que ces deux dernières inflexions pourraient entraîner sur le plan diplomatique.
S'agissant des missions qu'auraient dû remplir tant le musée que la bibliothèque, il a expliqué qu'aucune définition explicite et cohérente n'avait jusqu'à présent été insufflée à ces deux départements majeurs, et qu'ils n'avaient jamais acquis dans le monde culturel, la reconnaissance à laquelle ils devraient prétendre. Il a notamment formulé les plus grandes réserves sur la gestion du musée, rappelant les faiblesses signalées au cours du contrôle en 2007 dans la conservation des oeuvres d'art.
Il a considéré que la structure financière était, en 2006, inapte à assurer l'équilibre de l'IMA, puisqu'il manquait 34 millions d'euros de contribution des Etats arabes. Il a indiqué que la défaillance des Etats arabes avait été compensée par la France qui avait versé, au cours de la décennie écoulée, 104 millions d'euros au titre de son fonctionnement. Dès lors, il a jugé que le développement des ressources propres n'avait pas permis d'éviter un déficit de gestion systématique.
Il a appelé à interrompre la spirale entraînant l'IMA vers une situation d'échec, soulignant que l'opération de sauvetage dans laquelle M. Dominique Baudis s'était particulièrement investi devait recevoir le soutien des pouvoirs publics de manière claire, formalisé dans un contrat d'objectifs et de moyens restant à finaliser.