Intervention de Gérard César

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 14 décembre 2010 : 1ère réunion
Projet de décret relatif aux installations classées — Communication

Photo de Gérard CésarGérard César, rapporteur :

Le Premier ministre a transmis aux commissions compétentes des deux assemblées parlementaires le projet de décret sur l'allègement des procédures applicables en cas de regroupement ou de modernisation d'installations classées dans le domaine de l'élevage.

La procédure est originale : nous sommes associés au processus d'élaboration d'un décret d'application de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Dans le respect de la séparation des pouvoirs, nous ne serons pas appelés à voter sur ce projet de décret, simplement à formuler des observations. Le compte rendu de nos travaux sera transmis au Gouvernement, à qui il appartiendra d'en tirer les conséquences.

Le régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) concerne de très nombreuses activités, industrielles ou agricoles. Il vise à éviter le développement anarchique d'installations pouvant avoir un impact important sur l'environnement immédiat et sur le milieu naturel, en les soumettant au contrôle de l'administration et les subordonnant à une procédure de déclaration ou d'autorisation. On compte environ 18 000 installations classées dans le domaine agricole, essentiellement dans l'élevage ; 40 % des installations classées relèvent du secteur agricole.

Il existe trois types de procédure. La déclaration de l'activité suffit pour les petits élevages, qui se situent en dessous de seuils fixés par voie réglementaire. L'autorisation, procédure plus lourde comprenant une étude d'impact et une enquête publique, est requise pour les élevages à partir d'un certain seuil. Enfin, la procédure intermédiaire, dite d'enregistrement, a été créée par le Grenelle de l'environnement, mais elle ne s'applique pas aux élevages.

Les seuils d'entrée dans le régime d'autorisation sont fixés à des niveaux relativement bas en France, plus faibles que les seuils européens dits IPPC fixés par la directive de 2008 sur la prévention et la réduction intégrées de la pollution. Concernant les porcs, le seuil français est fixé à 450 places, une truie comptant pour trois places, contre un seuil européen de 750 animaux pour les truies et 2 000 pour les porcs. Compte tenu des différences dans le mode de calcul des seuils, ce niveau de 2 000 semble correspondre à 2 500 à 2 800 places dans la nomenclature française.

Concernant les volailles, le seuil français d'autorisation est situé à 30 000 places, contre 40 000 têtes au niveau européen. Quant aux bovins, les élevages doivent être déclarés à partir de 400 places pour la production de viande et 100 places pour les élevages laitiers, alors qu'il n'existe pas de seuil européen IPPC.

Lors de la discussion de la loi de modernisation, les députés, à l'initiative de M. Marc Le Fur, avaient souhaité relever substantiellement les seuils d'entrée dans le régime d'autorisation, pour les aligner sur la directive européenne. Un compromis avait été trouvé et l'article 28 prévoit simplement qu'un décret, pris avant le 31 décembre 2010, devra simplifier les procédures applicables aux regroupements et modernisations d'exploitation.

En effet, aujourd'hui, tout transfert ou toute modification substantielle - augmentation des effectifs ou encore changement des conditions d'exploitation - doit faire l'objet d'une nouvelle autorisation. Or la procédure d'autorisation est très lourde ; l'instruction des dossiers dure entre seize et dix-huit mois - contre six à dix mois en Allemagne. Le coût d'une enquête publique s'élèverait à 12 000 euros environ. Un allègement est d'autant plus justifié que le regroupement et la modernisation d'élevages peuvent avoir des effets bénéfiques sur l'environnement - par une meilleure gestion des cheptels sur le territoire, par exemple. Une nouvelle procédure avec étude d'impact et enquête publique apparaît dans ce cas tout à fait excessive.

Le décret instaure une exception pour les regroupements et la modernisation d'élevages, à condition qu'ils n'induisent pas d'atteintes notables à l'environnement et ne provoquent pas une augmentation globale de capacité. Ce texte va bien dans le sens prévu par l'article 28 de la loi, mais il est assez restrictif.

Tout d'abord, il prévoit une procédure spéciale pour l'accueil sur une installation classée soumise à autorisation d'animaux provenant d'une ou plusieurs autres exploitations. Ce régime simplifié consiste non pas en une nouvelle autorisation, comme c'est le cas aujourd'hui, mais en une déclaration de l'exploitant, mentionnant notamment les évolutions des effectifs sur les sites concernés et précisant les mesures prévues pour maîtriser les impacts, nuisances, pollutions et dangers. Il s'applique lorsque six conditions sont réunies : le regroupement ne concerne que des animaux d'une même rubrique ; il n'entraîne pas de dangers ni inconvénients en matière de qualité des eaux et de protection de l'environnement ; il ne provoque pas d'augmentation globale des effectifs - avec une marge de tolérance de 5 % ; il se traduit au plus par un doublement des effectifs sur le site de regroupement ; pour les élevages porcins, bovins et de volailles, l'augmentation de l'effectif global après regroupement n'excède pas deux fois le seuil national d'autorisation ; le regroupement n'entraîne pas de dépassement du seuil communautaire d'autorisation.

Le projet de décret prévoit aussi une procédure simplifiée lorsque le regroupement concerne une installation plus petite, soumise à déclaration. Lorsque le regroupement provoque un franchissement des seuils d'autorisation, une demande d'autorisation est exigée, légèrement simplifiée par rapport au droit actuel avec étude d'impact allégée et consultation du public et non enquête publique. Les conditions pour bénéficier de cette procédure allégée sont les mêmes que celles qui tendent à exonérer les regroupements de nouvelle autorisation.

Enfin, le projet de décret dispense de nouvelle déclaration les opérations de modernisation qui n'entraînent ni augmentation de capacité, ni dangers ou inconvénients pour l'eau ou l'environnement. Ces opérations recouvrent les mises aux normes, l'amélioration des conditions de travail des salariés mais aussi toute « démarche reconnue positive par les pouvoirs publics », notion qui manque certes de précision juridique, mais permettra, souhaitons-le, dans une interprétation large, d'exonérer de nouvelle autorisation certains investissements de productivité dans les élevages. Concernant les secteurs d'amélioration des conditions de travail, elles devraient concerner tous ceux qui travaillent sur l'exploitation, les salariés mais aussi l'exploitant. Le b. de l'article R. 515-54 pourrait être ainsi rédigé : « ou permettant une amélioration des conditions de travail sur l'exploitation ».

La procédure simplifiée d'autorisation applicable aux regroupements d'installations sous régime de déclaration, en cas de franchissement de seuil, paraît logique et satisfaisante.

En revanche pour le nouveau régime de déclaration des regroupements touchant des exploitations qui ont reçu une autorisation, il faut concilier l'objectif de protection de l'environnement et celui de compétitivité. La France s'est imposée des contraintes fortes en adoptant des seuils très inférieurs aux seuils européens, en particulier pour les élevages porcins. Ouvrir totalement les vannes n'est pas raisonnable - voyez les problèmes qu'a connus la Bretagne avec les algues vertes. Ne commettons plus les erreurs du passé. Le projet de décret pose deux garde-fous essentiels : le regroupement ne doit pas porter atteinte à l'environnement ou à la qualité des eaux ; il doit demeurer modeste, les capacités globales ne devant pas augmenter de plus de 5 %, l'effectif du site de regroupement devant au maximum doubler.

Les critères additionnels nous semblent cependant bien restrictifs ! L'exigence de non-dépassement du seuil d'autorisation communautaire est difficilement contournable, même si, en pratique, cette restriction ôte une bonne partie de son intérêt aux opérations de regroupement, par exemple dans le secteur des volailles où seuil national et seuil européen sont proches. La limitation de l'augmentation de l'effectif à deux fois le seuil national d'autorisation paraît excessive pour les élevages porcins, car les seuils nationaux sont très bas. Les producteurs de porc soulignent que la taille moyenne d'un élevage en France est aujourd'hui de l'ordre de 165 truies. Un naisseur-engraisseur dispose donc en principe de 1 400 à 1 500 places. Comme l'augmentation de l'effectif sur le site de regroupement est limitée à deux fois le seuil d'autorisation, soit 900 places, seuls de petits regroupements pourront être effectués. Dès lors, l'intérêt de ce dispositif devient très limité.

Nous pourrions suggérer d'assouplir le dispositif pour permettre des regroupements plus importants, mais encore dans les limites du raisonnable, conduisant à une augmentation des effectifs sur le site de regroupement au-delà de deux fois le seuil d'autorisation ; de sécuriser juridiquement les opérations de regroupement par un arrêté préfectoral constatant la déclaration de regroupement des éleveurs, pour clarifier les possibilités de recours des tiers ; d'étendre le régime aux lapins, qui sont bizarrement exclus du projet de décret ; de prévoir l'intervention du ministre de l'Agriculture dans la mise en oeuvre du décret. Le projet de décret est signé par le seul ministre de l'Environnement. Or, c'est le ministre de l'Agriculture qui a défendu la loi de modernisation de l'agriculture.

Sous réserve des assouplissements suggérés, ce projet de décret va dans le sens de l'article 28 de la loi de modernisation de l'agriculture. Cette faculté de regroupement et de modernisation des élevages sans nouvelle autorisation préfectorale sera-t-elle suffisante pour régler les difficultés des éleveurs, en particulier porcins ? Certainement pas. Car la concurrence intra-communautaire fait rage et cela continuera ! Il est évident que les durées d'instruction des dossiers sont trop longues. Il y a là un frein à la modernisation des élevages, un handicap pour notre compétitivité. Une action énergique devrait être menée pour accélérer les procédures, qui souvent découragent les meilleures volontés. La loi de modernisation a fait un premier pas dans ce sens.

Le projet de décret n'est pas un aboutissement mais le commencement d'un processus qui doit conduire à une harmonisation des normes européennes, afin que les éleveurs ne subissent pas une concurrence déloyale. L'harmonisation des seuils d'autorisation pour les élevages devra être recherchée, pour alléger les charges administratives et réglementaires qui pèsent sur nos agriculteurs. Ceci suppose à terme un relèvement des seuils nationaux d'entrée dans le régime d'autorisation des installations classées d'élevage.

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