Intervention de Henri Proglio

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 14 décembre 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Henri Proglio président-directeur général d'électricité de france

Henri Proglio, président-directeur général d'Électricité de France :

Je vous ai rencontré effectivement lors de ma candidature à ce poste, mais aussi lors de la préparation de la loi Nome, dont l'histoire, du reste, n'est pas définitivement écrite, et est sans cesse renouvelée...

EDF a construit un leadership mondial dans la gestion du service public de l'électricité et il est d'abord un opérateur public, fier de ses racines ; il s'est développé dans l'ensemble des composantes du secteur de l'énergie. Il est aujourd'hui le premier acteur mondial, fort de l'expérience acquise, de son expertise, de ses traditions, des qualités humaines qu'il a su intégrer et de ses ambitions, qui sont clairement internationales. Le 25 novembre 2009, j'ai pris la présidence de ce groupe. J'ai depuis lors tenté de structurer une stratégie industrielle, au demeurant fort simple et dont les piliers correspondent aux grands domaines d'expertise du groupe. En amont du cycle industriel, il y a la production sous toutes ses formes, nucléaire, hydroélectrique, thermique, énergies renouvelables. C'est un métier international, qui a vocation à rayonner dans le monde entier. J'ai confié à Hervé Machenaud la responsabilité de la production, quelle que soit l'énergie concernée, y compris donc la filière nucléaire.

L'aval du cycle est moins bien identifié à l'international. Nous l'appelons dans le jargon interne « l'optimisation » : comment optimiser les infrastructures de production, de transport, de distribution, lourdement capitalistiques, afin d'optimiser les investissements et le service ? Il y a aussi le commerce, la gestion des services clients et le trading, c'est-à-dire l'optimisation de l'alimentation en matières premières.

S'y ajoute une autre composante, qui pourrait paraître étrange, la gestion des tarifs. Il s'agit de savoir comment on peut, à équivalence de capacité, permettre à tous d'accéder à ce service public essentiel, grâce à une gestion tarifaire fine. Vous connaissez cette gestion, que les Français perçoivent plus ou moins bien car elle est complexe. Elle est aussi un élément essentiel de l'accessibilité et de la qualité du service offert. Cette expertise développée par notre groupe est rare, elle est très sollicitée dans de nombreux pays.

Entre les deux, il y a les réseaux de transport et de distribution, de plus en plus sophistiqués, dits « intelligents » parce que devant intégrer les nouvelles technologies. Ces trois piliers sont les trois axes de développement du groupe. On peut travailler, au plan international, dans l'amont ou dans l'aval, ou dans les réseaux ; on peut aussi connecter ces composantes afin d'offrir un service intégré, d'une efficacité absolue, qui représente l'idéal de ce que nous pouvons offrir. Mais chaque pilier a vocation à affirmer en lui-même une dimension internationale.

J'ai confié l'amont du cycle, je l'ai dit, à un grand professionnel, un grand industriel, qui a l'habitude de défendre les couleurs de la France ailleurs, en Chine notamment où il a passé quinze années. L'aval a été confié à M. Pierre Lederer, autre grand professionnel qui a passé onze ans de sa vie à construire les nouvelles composantes de l'énergie en Allemagne. Et c'est Mme Michèle Bellon, grande professionnelle également, qui s'occupe des réseaux. La vocation internationale du groupe est évidente. Je ne conçois pas l'identité d'EDF sans une priorité donnée à la conquête internationale - mais sans oublier nos origines ni nos ambitions légitimes ici : le meilleur service d'électricité, au service de la nation.

La conception et la construction d'unités de production n'ont pas le même horizon géographique que l'activité liée aux réseaux de distribution. Les diverses zones de développement, d'un axe industriel à l'autre, ne se confondent pas totalement. Le groupe réalise déjà 45 % de son chiffre d'affaires à l'étranger, ce pourcentage augmentera sensiblement dans les années à venir. Nous sommes le premier opérateur britannique, le deuxième italien, très présents en Europe centrale, y compris en Allemagne malgré la récente évolution... Le territoire européen est notre marché domestique, nous occupons la deuxième place en Belgique, mais nous sommes présents aussi en Asie, en Chine, où nous construisons le premier EPR ; nous sommes partenaires du premier programme nucléaire chinois. Nous sommes présents au Moyen-Orient, en Afrique où des développements sont prévus, en Amérique latine...

Au Laos, la semaine passée, j'ai inauguré le barrage de Nam Theun. C'est la plus belle réalisation hydroélectrique au monde : 1 070 mégawatts de production électrique ! Cet ouvrage induira à lui seul une augmentation de 3 % du PIB laotien. C'est la plus belle référence que l'on puisse présenter en matière de développement durable dans le secteur de l'énergie.

J'en viens au nucléaire. EDF est le premier exploitant mondial, et de très loin : notre capacité, principalement en France et au Royaume-Uni, atteint 74 gigawatts, trois fois plus que le second exploitant, l'opérateur russe, cinq fois plus que le premier exploitant américain, douze fois plus que l'exploitant belge Electrabel qui est la filiale de GDF-Suez. Dans la filière à eau pressurisée et sur le seul territoire français, nous bénéficions d'un retour d'expérience de 1 450 années-réacteur. Aucun autre acteur dans le monde ne possède une telle expérience et certainement pas les constructeurs. EDF n'est pas seulement exploitant mais aussi concepteur de centrales, dans la position d'architecte-ensemblier : l'ingénierie conçoit, passe les contrats de fabrication, supervise le montage sur site. Cette complémentarité est essentielle, elle est le fondement de notre stratégie, elle est au coeur du succès historique du nucléaire français.

EDF a construit en France 58 réacteurs à eau pressurisée (PWR), tranche après tranche, et profité chaque fois de l'expérience acquise lors de la construction et de l'exploitation. A l'international, nous avons construit la centrale de Daya Bay en Chine à la fin des années 1980 en tirant parti de l'expérience de Gravelines.

Les trois autres pays qui disposent encore d'une industrie nucléaire, la Corée du Sud, la Russie et la Chine, disposent comme nous d'une ingénierie performante, d'un tissu industriel dense, d'un marché important, de capitaux suffisants, mais nous sommes les seuls à bénéficier de longues années d'expérience, du moins dans le domaine de l'eau pressurisée. Sachons en tirer parti pour notre développement international.

EDF n'a ni les moyens financiers, ni la capacité industrielle d'inonder le marché mondial : elle peine déjà à financer les investissements nécessaires en France. Nous participons à la construction de seulement quatre réacteurs sur la cinquantaine actuellement en projet dans le monde. Ce que nous nous efforçons de faire est d'accompagner les pays qui ont fait le choix du nucléaire, par le biais d'alliances modulables. Notre vocation est avant tout industrielle et non financière. La France et l'Europe pourraient réfléchir à un mode de financement des projets à l'exportation, à l'instar des États-Unis : nous avons pu emprunter des capitaux chinois pour construire la centrale de Taishan, mais cela restera l'exception.

A l'étranger, nous pouvons intervenir en tant qu'assistants à la maîtrise d'ouvrage, en amont des projets, afin d'apporter nos conseils en ce qui concerne le cadre réglementaire, les sites propres à recevoir une centrale, les conditions socioéconomiques, la sécurisation de la gestion des déchets, l'intégration au réseau électrique et les ressources humaines. Aucun constructeur ne dispose de notre expertise, qui est celle de l'investisseur et de l'exploitant. C'est ainsi que nous travaillons en Italie avec Enel, en Pologne avec PGE, comme par le passé au Royaume-Uni. En gagnant la confiance de nos interlocuteurs, nous pouvons ensuite les accompagner dans leur projet nucléaire.

L'équipe constituée par EDF et ses partenaires français doit être adaptée à chaque situation, insérée dans un réseau d'alliances internationales plus large et conforme au droit de la concurrence. Le gouvernement italien a, par exemple, pour projet de développer une industrie nucléaire nationale, ce qui a conduit à un accord entre EDF, Areva, Ansaldo et Enel.

Nous travaillons avec Areva, Alstom, des PME et l'ensemble des constructeurs français et européens. EDF est un électricien, tandis qu'Areva est un fabricant de réacteurs et un prestataire de services dans le domaine du combustible. Les groupes qui réussissent sont ceux qui marient l'exploitation et l'ingénierie de conception. Aucun constructeur ne pourrait assumer seul les risques que présente la construction d'une centrale, sauf à renchérir considérablement son offre. La relation entre EDF, Areva et Alstom ne peut être exclusive : les équipementiers doivent pouvoir construire des centrales pour d'autres opérateurs, et nous devons être en mesure de travailler avec d'autres chaudiéristes, pour améliorer notre connaissance du tissu industriel. On pourrait ainsi imaginer qu'EDF aide à la rénovation d'un réacteur VVER russe.

L'entreprise, riche de l'expérience fournie par le premier parc électronucléaire mondial, a vocation à être le premier interlocuteur de nos partenaires étrangers. Il faut concevoir des réacteurs diversifiés, adaptés à la demande mondiale, et préparer le renouvellement du parc français. Nous projetons ainsi de développer un réacteur de 1 000 MW.

Je m'attarderai un instant sur le parc français existant, dont il ne faut pas oublier le vieillissement, alors que l'attention se focalise sur les projets internationaux et les rivalités qu'ils attisent. La moitié des tranches des réacteurs français aura bientôt trente ans : c'est l'âge du grand carénage, où les générateurs de vapeur, alternateurs et transformateurs doivent être renouvelés. La France a pris du retard, ce qui ne remet pas en cause la sûreté de ses installations, mais amoindrit leurs performances et nuit à l'image de l'industrie nationale. Le renouvellement du parc est une opportunité pour l'industrie française : plusieurs dizaines de milliards d'euros sont en jeu, bien plus qu'à l'international. Il faut réinventer la politique industrielle qui a réussi dans le passé, et trouver les financements indispensables : le prix auquel nous serons contraints de vendre une partie de notre production à nos concurrents, ainsi que les tarifs régulés, doivent donc être suffisants pour rembourser les investissements passés et financer ceux qui sont aujourd'hui nécessaires. Le nucléaire est une chance pour la France : c'est une industrie à forte valeur ajoutée, dont l'outil de production est sûr, les émissions de gaz à effet de serre faibles et l'exposition à la conjoncture macro-énergétique limitée.

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