L'appréciation du déficit de l'assurance maladie doit se faire au regard de la situation des comptes de chacune des autres branches de la sécurité sociale. En 2009, les recettes de la branche maladie ont sensiblement baissé du fait de la crise, entraînant ainsi un déficit élevé qui, aujourd'hui, est devenu structurel. Cette situation sans précédent intervient dans un contexte de moyen terme de forte pression sur les dépenses d'assurance maladie et de santé dont la progression a été fortement ralentie depuis 2005 : avant 2004, leur progression était supérieure à 5 % par an ; entre 2005 et 2010, elle se situe entre 3 % et 4 % ; pour 2011 et 2012, l'objectif fixé par le Président de la République est une hausse de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam) inférieure à 3 %.
Sur les 150 milliards d'euros de dépenses remboursées par l'assurance maladie hors prestations en espèces, 35 milliards sont consacrés à la prise en charge des maladies cardiovasculaires, 11 milliards du diabète, 17 milliards du cancer, 16 milliards des affections psychiatriques et 7 milliards des maladies neurodégénératives, d'Alzheimer et de Parkinson. Il y a donc une forte concentration sur quelques pathologies, à la fois lourdes et coûteuses, qui connaissent les progressions d'effectifs et de dépenses les plus rapides. Cette concentration s'est même accrue au cours des dernières années : les 10 % de la population qui ont les dépenses de soins de ville les plus élevées représentaient 56,7 % des remboursements de l'assurance maladie en 2005 ; ils en représentent 60,1 % en 2009. En moyenne, la prise en charge du diabète s'élève annuellement à plus de 7 000 euros par patient et à plus de 10 000 euros pour un cancer. La dynamique de la progression de ces dépenses pose la question de leur soutenabilité. Ainsi, sur la période 2005-2008, 40 % de la croissance des dépenses d'assurance maladie sont dus aux maladies cardiovasculaires et au diabète, 12 % au cancer. Cette situation est le résultat d'un net accroissement des effectifs de patients traités : + 5 % par an entre 2005 et 2008 pour le cancer, le diabète et la maladie d'Alzheimer. Un autre phénomène s'ajoute : la bascule entre affection de longue durée (ALD) et non ALD pour les maladies chroniques notamment cardiovasculaires. Aussi, si l'effectif total de malades cardiovasculaires diminue légèrement au cours de cette même période, de 0,5 % par an, il augmente de 4,5 % pour les patients en ALD, ce qui aboutit à une augmentation du taux de prise en charge moyen. On constate en effet un accroissement du degré de lourdeur des pathologies prises en charge. Il en est de même pour le diabète où, malgré un meilleur dépistage et un meilleur suivi des patients, on observe une augmentation de la fréquence des complications.
Cette analyse conduit à penser qu'il ne faut pas se focaliser sur la question des prises en charge à 100 % car elle vient en aval du problème, aujourd'hui essentiel, de la formation du coût complet des soins. La maîtrise médicalisée doit se déployer sur ces pathologies lourdes ou chroniques en agissant en amont de la dépense, c'est-à-dire en intensifiant la prévention et en optimisant les processus de soins. Toute dépense médicale n'est pas forcément utile, comme le montrent les effets délétères d'interventions chirurgicales inutiles liées à un dépistage précoce et systématique du cancer de la prostate. Pour progresser sur l'efficience du système, il faut aussi rechercher une meilleure qualité des soins.
Il n'y a pas de solution miracle pour trouver 10 milliards d'économies, dont la moitié d'ailleurs devrait concerner les établissements de santé. Mais des marges de manoeuvre existent. Par exemple, la vaccination par des infirmières pour la grippe saisonnière a permis de baisser les coûts de cette vaccination de 13 % alors même que 20 % seulement des vaccins sont administrés par cette profession. Néanmoins pour parvenir à ce résultat, il a fallu une loi et deux décrets en Conseil d'Etat, ce qui montre la difficulté à faire évoluer rapidement les choses. On peut aussi citer comme exemple les imprimés de transport sanitaire qui nécessitent plusieurs mois pour être modifiés. Dans un autre ordre d'idées, la création de centres ambulatoires de la cataracte se heurte à des difficultés, alors même que de tels centres existent dans tous les pays européens. Les modalités d'évolution de l'organisation des systèmes de soins sont complexes ; elles devraient permettre 10 % d'économies mais elles nécessitent un travail préalable considérable d'analyse de très nombreux processus, de rapprochement des intérêts divergents des différents acteurs et de modification des textes de droit public. Au-delà même de cette modification se pose aussi la question de la correcte application des textes. Par exemple, la présentation, pourtant obligatoire, des différents modes de prise en charge des patients soumis à dialyse est inégale selon les régions et aboutit à des résultats très variables sur le nombre de personnes choisissant la dialyse à domicile. D'une manière générale, la mise en oeuvre des réformes d'organisation doit se faire au plus près du terrain et les politiques publiques doivent prévoir un continuum du niveau national au niveau régional puis local.
Un prochain conseil de la Cnam doit faire le point sur l'hétérogénéité des pratiques afin de mettre en évidence les marges de manoeuvre. La comparaison entre le recours aux soins dans la région Paca et dans la région Pays-de-Loire est par exemple très éclairante, indépendamment de la question des écarts tarifaires. On observe ainsi des écarts allant jusqu'à 40 % entre les régions pour les soins de ville et de 17 % pour les soins hospitaliers ; entre les départements, ces écarts vont même jusqu'à 50 % pour les soins de ville. Or, la corrélation entre l'état de santé et la dépense de santé n'est pas établie. Pour le diabète par exemple, il y a des régions où 10 % des traitements à l'insuline démarrent par une hospitalisation et d'autres où 30 % de ces traitements commencent à l'hôpital ; selon les régions, le recours aux infirmiers libéraux pour effectuer les injections peut aller de 45 % à 6 % seulement, comme c'est le cas en Ile-de-France où le nombre d'infirmiers libéraux est proportionnellement bien moindre. Autre exemple concernant le recours à la chirurgie : 60 % des établissements de santé ayant pratiqué une oesophagectomie en font moins de cinq par an. De même, en matière de prescriptions, on observe qu'une fois la composition de la patientèle neutralisée, environ 12 % des médecins effectuent des prescriptions supérieures de 15 % ou plus par rapport à la moyenne ; si ces surprescriptions étaient corrigées, on pourrait dégager 400 millions d'euros d'économies. Enfin, le taux d'occupation des établissements de soins de suite est très variable selon les régions et le statut des établissements ; il y a donc des marges à mobiliser. C'est une dynamique qu'il faut enclencher dans laquelle il est impératif que les ARS et l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) travaillent de manière coordonnée.