Avant de traiter de la lancinante question des retards dans la réalisation du programme national de rénovation urbaine (PNRU) et de ses causes, je souhaite revenir, dans un premier temps, sur la présentation de l'an dernier consacrée au pilotage de la politique de la ville, sujet pleinement d'actualité,
Il y a un an, la Délégation interministérielle à la ville (DIV), jusqu'alors principal instrument de pilotage de la politique de la ville, était sous le feu des critiques. Dans un rapport réalisé en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la Cour des comptes et notre commission avaient formulé des observations sévères sur la dispersion de son action et ses lacunes en termes de mesure de la performance. Nous estimions, en conséquence, que la DIV négligeait son rôle d'animation de la politique de la ville qui est par nature interministérielle et nécessite une action vigoureuse, tant il apparait malheureusement que les ministères concernés n'ont pas naturellement tendance à « jouer le jeu ».
Rappelons également que dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le conseil de la modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008 s'était prononcé pour un recentrage de la DIV sur des missions de coordination et sur le secrétariat général du comité interministériel des villes (CIV).
Je vous avais fait part également de ma conviction qu'il était peu probable que le nouveau secrétariat général puisse mener à bien tous les objectifs qui lui étaient assignés et en particulier la révision de la géographie prioritaire, imposée par la loi de finances pour 2008 ainsi que la renégociation des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS).
Un an après, malheureusement, les faits m'ont plutôt donné raison.
Le nouveau bilan d'étape de la RGPP, publié en février dernier, n'est pas plus positif que le précédent et critique toujours le manque d'efficacité de la politique de la ville, considérant que la concentration des moyens reste médiocre. Mais il met bien en évidence que cette « panne » n'est pas de la responsabilité de ses exécutants (administration et opérateurs) mais tient d'abord à une absence de décision politique qui a d'ailleurs suscité, depuis quelques semaines, des initiatives assez étonnantes comme la lettre publique de la secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville au Premier ministre.
Il en résulte une accumulation de reports et de retards : l'absence de réunion, depuis janvier 2009, du CIV, qui devait se tenir tous les six mois ; la non-révision de la géographie prioritaire, qui reste à venir malgré la publication d'un livre vert, les réunions de concertation sur le terrain et le rapport parlementaire de nos collègues Gérard Hamel et Pierre André. Le Premier ministre a repoussé toute décision à un projet de loi qui serait déposé en 2011. Les CUCS, qui ont déjà été prorogés d'une année en 2010, devront l'être pour une année supplémentaire. De même, il n'y aura pas de réforme de la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour 2011, malgré la nécessité d'en revoir les critères d'attribution. Quant à l'avenir des zones franches urbaines au-delà de 2011, le Premier ministre a simplement indiqué en « examiner les modalités de sortie ».
La seconde conséquence est l'absence de directives politiques précises données aux opérateurs de la politique de la ville ce qui les conduit parfois à prendre des positions contradictoires.
Certes, le bilan est plutôt positif concernant l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSE), qui ont maintenant trouvé leur rythme de croisière, améliorant constamment leurs procédures après une période de démarrage parfois chaotique.
Pour l'Etablissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA), le bilan est plus mitigé et son intervention dans les zones ANRU est à repenser compte tenu d'un modèle économique inadapté, fondé sur un débouclage des projets dans un délai maximum de quatre années.
Faute d'orientations précises sur des sujets aussi importants que la sortie des projets ANRU ou la géographie prioritaire, l'ANRU et l'ACSE prennent des initiatives en défendant leurs propres priorités, parfois en contradiction l'une avec l'autre.
L'ANRU, par exemple, souhaite faire jouer, par des avenants de clôture, un « droit de suivi » sur les quartiers qui sortent du PNRU en contrôlant principalement trois points : la qualité de l'accompagnement social, la politique d'attribution des logements sociaux et les suites de la dynamique urbaine ainsi créée. Elle s'estime pour cela, mieux placée que l'ACSE, ce qui est à mon sens tout à fait contestable.
Les conséquences concrètes de ce manque de pilotage politique sont illustrées par deux exemples dans lesquels le Parlement est intervenu récemment, ce qui justifiait un contrôle particulier : le dossier du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois, qui met notamment en cause l'EPARECA, et les crédits d'études du Comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU.
En décembre 2008, le projet de loi de finances rectificative comportait un article qui liquidait le Fonds pour le renouvellement urbain (FRU) géré par la Caisse des dépôts et consignations et prélevait une dotation de 3 millions d'euros destinée à l'EPARECA.
Lors des débats au Sénat, j'avais accepté, en urgence, de défendre un amendement « puisé à bonne source » modifiant le dispositif initial pour préciser expressément que ces 3 millions seraient affectés, non plus à l'EPARECA, mais à la Caisse des dépôts et consignations pour la réhabilitation du centre commercial du Chêne Pointu. On ne nous avait pas donné beaucoup plus de détail.
En contrôlant l'application de cette mesure, j'ai pu constater qu'elle était en fait le dernier avatar d'une longue série de péripéties de gestion qui illustrent assez bien le manque de décision politique, de la part de l'Etat et de ses opérateurs, dans un dossier « emblématique ».
Le centre commercial du Chêne Pointu, situé au coeur de Clichy-sous-Bois, a été inauguré en 1970 et il est tombé en désuétude vers la fin des années 80. Acheté par une société patrimoniale associant l'EPARECA, la Caisse des dépôts et consignations et des investisseurs privés, il a fait d'objet de lourds travaux de restructuration en 2000 pour un budget de 6 millions d'euros, dont 2,1 millions à la charge de l'Etat.
Ces investissements n'ont pas permis d'améliorer la situation et la société portant le centre commercial, dont la présidence était assurée par le directeur général de l'EPARECA, a connu très rapidement de graves difficultés, perdant plus de 700 000 euros entre 2000 et 2006.
Un second projet de reconfiguration, dont le coût avoisinait 10 millions d'euros, a été présenté en 2007 par l'EPARECA, sans être accepté. La dégradation de la situation a conduit le directeur général de cet établissement à saisir le tribunal de commerce de Lille pour faire nommer un administrateur provisoire.
Depuis lors, la Caisse des dépôts et consignations assure la présidence de la société qui porte le centre commercial. Elle a repris les parts de l'EPARECA pour l'euro symbolique et celui -ci a abandonné sa créance de 700 000 euros en compte courant, avec l'accord de sa tutelle.
Voilà comment s'explique l'amendement souhaité par le Gouvernement, qui avait en fait pour seul objet de prendre acte de la rupture entre la Caisse des dépôts et consignations et l'EPARECA, intervenue après des années d'errements sur un dossier sur lequel personne n'a jamais voulu trancher. Les 3 millions d'euros ont donc effectivement été versés à la Caisse des dépôts et consignations, qui continue, seule désormais, à couvrir les déficits d'un centre commercial, qui ne sera jamais rénové, puisque nous sommes dans l'attente d'une décision de reconstruction sur un autre site.
On a là un exemple assez illustratif du défaut de pilotage politique avec des opérateurs qui jouent parfois les uns contre les autres.
Le Sénat était également intervenu sur la gestion des crédits d'études et d'évaluation de la politique de la ville. Dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2010, avait été adopté un amendement réduisant de 300 000 euros les crédits du programme « politique de la ville » de la mission « ville et logement » en visant explicitement les dépenses d'étude et de communication du Comité d'évaluation et de suivi (CES) de l'ANRU.
Cet amendement avait reçu logiquement l'avis favorable du Gouvernement puisqu'il s'inscrivait dans le cadre de la rationalisation de l'ensemble des moyens d'expertise et d'évaluation de la politique de la ville qui doivent désormais être rassemblés autour de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), placé auprès du SG-CIV.
Malgré la réaction très excessive du président du CES et, par ailleurs, depuis 2008, Haut commissaire à la diversité auprès du Premier ministre, M. Yazid Sabeg, qui a été jusqu'à dénoncer, dans un communiqué, la « remise en cause » par le Sénat d'une « évaluation juste et indépendante », le secrétariat général du CIV a bien réduit, pour 2010, la dotation destinée à la subvention pour charge de service public de l'ANRU à hauteur de 300 000 euros.
J'ai cependant été informé, le 13 avril 2010, par le cabinet du Premier ministre, que ces crédits seraient finalement rétablis au profit du CES, trois appels d'offres ayant été lancés, début mars, par l'ANRU, pour la réalisation d'études concernant divers aspects de la rénovation urbaine pour un montant total estimé de 315 000 euros, et selon des modalités qui ne sont pas compatibles avec le fait que ce comité, simplement placé auprès du président du conseil d'administration de l'ANRU, ne dispose ni de la personnalité morale ni d'aucun budget spécifique.
A l'examen des divers documents justificatifs transmis à ma demande par le directeur général de l'ANRU, trois constatations peuvent être faites. En premier lieu, une augmentation très rapide des demandes de crédits d'études exprimées par le président du CES au conseil d'administration de l'ANRU. Elles sont passées de 140 000 euros en 2008 à 350 000 euros en 2010. Deuxième enseignement, nombre de rapports commandés par le CES n'ont que très peu de liens avec sa mission telle qu'elle a été définie par le décret qui l'a créé et leur qualité est souvent très inférieure à ce que laisse supposer leur coût. Une étude juridique intitulée « comment envisager la création d'une dotation spécifique pour les communes qui cumulent les handicaps sociaux et territoriaux ? » n'entre pas dans l'objet du CES. Enfin, il existe déjà beaucoup d'organismes qui produisent des rapports sur la politique de la ville, et ces études font souvent double emploi. C'est pourquoi, en application des décisions de la RGPP, l'ONZUS a été chargée d'en assurer la coordination, cette décision s'appliquant, bien entendu, à l'ensemble des études de l'ANRU y compris celles proposées par le CES, qui doit également se recentrer sur les objectifs qui lui ont été fixés et pour la réalisation desquels il dispose de deux équivalents temps plein.
Il s'agit bien, là encore d'une illustration des défauts de gouvernance de la politique de la ville qui peut conduire à des dépenses inutiles et parfois même au non respect des décisions prises par le Parlement.
Le second volet du contrôle budgétaire engagé concerne un point très particulier, mais non moins important : la réalité et les causes des retards dans la réalisation des projets ANRU.
Sur ce thème, on a entendu dire beaucoup de choses qui ont pu conduire certains, peu au fait de ces sujets, à penser que l'ANRU ne marchait pas et que tout cela c'était beaucoup d'argent dépensé pour pas grand-chose. Par ailleurs, la question du financement de l'ANRU a également contribué à brouiller les cartes, laissant parfois penser que les projets n'avançaient pas, faute de moyens, alors que jusqu'à aujourd'hui du moins, la trésorerie de l'ANRU était largement excédentaire.
Autre accusation souvent proférée à l'encontre de l'ANRU, celle d'avoir mis en place un système financier et comptable très complexe qui nuirait à la réalisation des programmes en retardant les paiements et donc en gênant les collectivités locales et les bailleurs sociaux.
Pour tenter de sortir de cette polémique, je me suis adressé directement aux porteurs de projets ANRU, maires ou présidents d'EPCI, en octobre dernier, par un questionnaire, afin de recueillir leurs appréciations sur ce sujet controversé. 155 porteurs de projets ont répondu, permettant ainsi de disposer d'un échantillon très représentatif de l'ensemble des projets ANRU puisque l'on compte environ 350 conventions signées.
Des réponses reçues et des explications fournies par l'ANRU, à laquelle j'ai demandé de réagir à ces résultats, je tire quatre observations.
La première est qu'il n'est pas contestable que la réalisation des projets ANRU a enregistré des retards, parfois importants. 46 % des porteurs de projet qui ont répondu au questionnaire ont déjà constaté un dépassement de délai de leur projet estimé entre un et deux ans, alors que selon les règles de l'ANRU, les projets sont censés durer cinq ans. 34 % estiment que leur projet aura, en définitive à l'arrivée, plus de deux ans de retard. Parmi ceux qui se plaignent le plus, on retrouve des villes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, La Seyne-sur-Mer et Marseille, des communes de l'Ile-de-France, Montfermeil, Bagneux, Montereau, mais aussi la ville de Tours.
L'ANRU elle-même confirme, dans ses rapports d'activité, qu'une réelle dégradation a bien eu lieu. Ainsi, le délai d'engagement moyen, qui sépare la date de démarrage contractuel, de la date d'attribution de subvention, est passé de douze mois en 2007 à un an et neuf mois en 2008.
La deuxième observation est que le processus comptable de l'ANRU a joué un rôle important dans les retards, s'il n'en est pas la cause principale.
Les porteurs de projet qui s'estiment le plus en retard désignent en effet comme premier obstacle à la réalisation de leur projet les difficultés de relogement sur site. Ne viennent qu'ensuite l'instabilité des règlements financiers de l'ANRU et seulement en troisième rang, la complexité des procédures ANRU. On peut aussi noter comme cause de dérapage des délais, citée par 12 % des réponses, les contraintes liées aux procédures administratives, enquêtes publiques ou déclassements par exemple.
Si l'on prend, en revanche, la totalité des réponses reçues, ce sont bien ces deux causes (instabilité et complexité des procédures) qui sont citées en premier.
En outre, même si les délais moyens de paiement de l'ANRU dans les trois cas de l'avance, de l'acompte et du règlement de solde, que nous avons demandés aux porteurs de projets de calculer selon leur propre méthode, ne semblent pas insupportables, certains dossiers ont suscité un très vif mécontentement. Les communes de Fameck, Saint-Priest, Cholet, Rennes et la communauté urbaine de Lyon, font état de retards très importants.
La troisième observation porte sur la responsabilité d'un système d'information comptable inadapté dont la remise à niveau, sur laquelle l'ANRU a commencé d'agir, a permis d'améliorer les délais.
L'application informatique « Agora » de gestion de suivi des projets ANRU a représenté au total un coût très élevé, de l'ordre de 8 millions d'euros, malgré un modèle de données finalement assez peu complexe. Elle a surtout été pénalisée par une conception initiale et une première mise en oeuvre effectuées en dehors de tous les standards en termes de gestion de projet. Par ailleurs, la montée en puissance des paiements ne s'est pas accompagnée d'une mise à niveau suffisamment rapide des effectifs de la direction financière de l'ANRU qui n'a eu lieu qu'en 2008. L'agence a sûrement perdu beaucoup d'énergie et de temps à rechercher les responsabilités du prestataire initial, malgré des chances très limitées d'obtenir raison et réparation, au lieu de les consacrer à l'amélioration du système.
J'ai constaté, enfin, une certaine négligence dans le suivi des porteurs de projets, que l'ANRU doit rectifier au plus vite.
L'enquête menée auprès des porteurs de projets leur demandait de « noter » leur préfecture et l'ANRU. Les résultats font apparaître une meilleure moyenne pour les préfectures mais aussi de très forts mécontentements de la part de certaines collectivités, dont le plus surprenant est que l'ANRU n'en avait pas conscience ou ne les avait pas identifiés. Parmi les porteurs de projets de cette nature figurent par exemple les villes de Montereau-Fault-Yonne, Lyon, Woippy ou Marseille. De fait, l'enquête a mis en évidence un suivi peu convaincant des réclamations par l'agence et une trop grande instabilité des correspondants chargés de suivre les dossiers.
Au total, cette enquête a eu le double mérite de réfuter totalement la thèse du « complot » selon laquelle les projets seraient retardés volontairement par manque de crédits et de mettre l'ANRU en face de ses responsabilités vis-à-vis des porteurs de projet, en l'incitant à mieux répondre à leurs attentes dans la phase de réalisation des projets.
En conclusion, nous disposons aujourd'hui, à quelques ajustements près, d'outils efficaces avec l'ANRU et l'ACSE. Il ne s'agit plus que de prendre les bonnes décisions politiques pour enfin concentrer les moyens en direction des villes les plus en difficulté, afin d'assurer le succès du PNRU, ce qui suppose que l'accompagnement social, éducatif, économique se poursuive et se renforce après la sortie des projets ANRU.