Intervention de André Merlin

Mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver — Réunion du 1er février 2007 : 1ère réunion
Audition de M. André Merlin président du directoire de réseau de transport d'électricité rte

André Merlin, président du directoire de RTE :

En introduction, M. André Merlin, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE), a présenté le rôle et les missions de RTE.

Rappelant que cette entreprise s'inscrivait dans la nouvelle configuration du paysage électrique européen résultant de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, en application de la directive de 1996, il a souligné que la loi du 10 février 2000 avait réalisé une transposition « à la française » en donnant naissance, au sein de l'entreprise intégrée EDF, à un service chargé de la gestion du réseau d'électricité qui était totalement indépendant au plan comptable, financier et managérial. Evoquant ensuite la loi du 9 août 2004 ayant transposé les directives de 2003, il a rappelé que leurs dispositions exigeaient la séparation juridique de la gestion du réseau de transport d'électricité de celle des activités de production et de commercialisation d'électricité, ce qui avait conduit à la transformation de RTE en une société anonyme au capital détenu en totalité par des personnes publiques (en l'espèce, EDF à 100 %).

Puis, observant que RTE n'était pas seulement un transporteur d'électrons des lieux de leur production à ceux de leur consommation mais qu'il assurait aussi en permanence un équilibrage entre l'offre et la demande d'électricité à travers ses réseaux de transport, c'est-à-dire une régulation des flux, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a exposé les quatre missions de service public assignées à l'entreprise :

- garantir la sûreté du système électrique et la qualité de fourniture ;

- assurer à chaque acteur un traitement non discriminatoire ;

- faciliter l'accès au réseau et améliorer ses performances eu égard au droit de péage acquitté par les utilisateurs ;

- intégrer les ouvrages et les activités dans l'environnement.

Puis, après avoir rappelé que l'ouverture totale des marchés était prévue au 1er juillet 2007, il a estimé indispensable, compte tenu du fait que RTE est un monopole naturel gérant un passage obligé entre les producteurs et les consommateurs, de garantir un accès non discriminatoire aux réseaux, et souligné que, malgré cette situation monopolistique, le coût du kilowatt-heure (kWh) transporté avait baissé de 3 % par an depuis juillet 2000, date de la création de RTE.

a ensuite présenté les ouvrages de transport de RTE en précisant que les lignes haute tension (HT) et les lignes très haute tension (THT) représentaient 100 000 km de circuits sur le territoire national, que les lignes moyenne et basse tension étaient gérées par EDF Distribution et vingt-deux entreprises locales de distribution, et que RTE équipait actuellement les lignes THT de fibre optique afin de fournir en haut débit de nombreuses zones du territoire, faisant valoir que cette opération était plus économique que l'installation d'antennes.

Soulignant les relations étroites entretenues entre RTE et le régulateur, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), laquelle a pour triple mission de contrôler les règles d'accès et de procéder au règlement des litiges, d'assurer la régulation économique et financière du secteur et d'en contrôler la bonne gouvernance, il a noté l'absence de tout contentieux à l'heure actuelle et, surtout, souligné la spécificité française attribuant à la CRE et non pas EDF l'approbation annuelle du programme d'investissement de RTE. S'agissant enfin des relations entre l'Etat et RTE, il a insisté sur le rôle central dévolu en France au ministre chargé de l'énergie, qui vérifie le respect des obligations de mission de service public, fixe les tarifs d'accès au réseau de transport de l'électricité sur proposition de la CRE, approuve le schéma de développement du réseau et autorise les nouveaux ouvrages.

Puis M. André Merlin, président du directoire de RTE, a évoqué l'incident européen du 4 novembre 2006. Après avoir rappelé qu'en raison de l'interconnexion des réseaux européens, commencée dans les années 1950, la panne avait touché l'ensemble de l'Europe - ainsi que le Maghreb, interconnecté depuis Gibraltar -, il s'est attaché à en décrire les événements déclencheurs. Il a ainsi expliqué qu'elle résultait d'une erreur humaine lors d'une manoeuvre habituelle de mise hors tension d'une ligne THT pour permettre le passage d'un bateau sur l'Ems, en Allemagne. Programmée entre 1 heure et 6 heures du matin le 5 novembre 2006, cette manoeuvre a finalement eu lieu, à la demande du chantier naval, la veille, juste après 22 heures. A cet instant, si aucun pic de consommation n'a été constaté, les reports de charge, résultant de la mise hors tension, sur les lignes voisines ont rapproché celles-ci de leurs limites de capacité de transit et conduit à la surcharge de la ligne Wehrendorf-Landesbergen. Cet événement a entraîné le déclenchement automatique du système de protection ayant immédiatement mis la ligne hors tension, ce qui a créé en cascade, de la Baltique au sud de l'Europe, un phénomène quasi-instantané de décrochage de toutes les lignes surchargées. Ainsi, quelques secondes après 22h10, trois réseaux distincts se sont formés à la suite du déséquilibre énergétique résultant notamment d'un déficit de fourniture de 9 000 MW à la partie ouest de l'Europe, dont la fréquence est alors brutalement passée de 50 à 49 Hertz ; dans la zone des Balkans, le déséquilibre a été plus faible, avec une fréquence tombée à 49,7 Hertz, tandis que dans la zone est, il est intervenu dans l'autre sens, la fréquence ayant augmenté de 50 à 50,60 Hertz.

Expliquant qu'en cas d'incident, les automates réagissaient instantanément à travers les fréquences métriques de délestage, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a salué ce plan de défense du réseau européen qui a permis d'éviter un écroulement complet des réseaux et une rupture du système d'approvisionnement qui aurait privé d'électricité plusieurs dizaines de millions de personnes pour une durée beaucoup plus longue que celle de la panne du 4 novembre dernier. Il a toutefois indiqué que les contributions aux nécessaires délestages avaient été variables selon les pays européens, constatant que si la France avait contribué à hauteur de 12 %, l'Espagne à 10 % ou encore le Portugal à 19 %, d'autres pays avaient été moins solidaires, la Suisse marquant même une totale singularité (0,1 % seulement). Relevant que ces différences résultaient pour beaucoup de l'absence d'harmonisation des règles nationales, il a plaidé pour un renforcement de la coordination entre les opérateurs de systèmes de transmission. Par ailleurs, après avoir révélé qu'au total 17 000 MW avaient été coupés, dont environ 10 000 en raison des déconnexions automatiques sur les dispositifs de production éolienne et de cogénération, en application des règles de protection qui prévoient ces déconnexions dès que la fréquence atteint 49,5 Hertz, il a estimé nécessaire de revoir ces paramètres des systèmes décentralisés, dans la perspective de leur harmonisation avec ceux des systèmes centralisés.

a indiqué que, selon les éléments résultant de l'enquête menée par l'Union pour la coordination du transport d'électricité en Europe (UCTE), la panne du 4 novembre résulte, à son origine, d'une erreur humaine. Regrettant que l'opérateur allemand E.ON ne se soit pas conformé aux règles de sécurité essentielles qui auraient empêché l'écroulement en cascade des réseaux, il a considéré que cette omission provenait d'un déficit d'outils d'analyse permettant de signaler correctement les risques et d'un défaut de communication et de coordination entre les deux gestionnaires de réseau allemands concernés, E.ON et RWE. Mais au-delà, il a mis en lumière d'autres facteurs aggravants :

- la déconnexion du réseau de la production décentralisée ;

- la réaction inadaptée de certaines entreprises locales de distribution dans la mise en oeuvre des plans de défense et de restauration, notamment en France ;

- des directives insuffisantes données aux dispatchers des réseaux allemands en situation de crise ;

- l'insuffisante coordination des gestionnaires dans les procédures de resynchronisation des trois zones séparées.

Il a en outre souligné que la reconnexion automatique des moyens décentralisés en Allemagne avait conduit à des surtensions en Pologne, celles-ci ayant elles-mêmes failli provoquer une nouvelle panne.

Enfin, pour tirer les leçons de la panne du 4 novembre 2006, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a rappelé que la Commission européenne, au regard tant des enseignements de l'incident que de l'état d'avancement de l'ouverture du marché de l'électricité, a présenté le 10 janvier 2007 un paquet de mesures prévoyant :

- la mise en place de bilans prévisionnels pluriannuels ;

- un plan d'interconnexions prioritaires ;

- la création d'une structure européenne des gestionnaires de réseau de transport pour mieux coordonner la gestion de ces réseaux par des règles communes ;

- le renforcement de la séparation entre réseaux et production d'électricité (« l'unbundling ») ;

- l'amélioration de la régulation des marchés par une meilleure coordination des régulateurs nationaux ou par la création d'un organisme communautaire de régulation.

Commentant ces différentes propositions, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a tout d'abord souscrit à l'idée d'un renforcement de la coordination des réseaux européens par l'établissement de règles de sécurité communes. A cet effet, il a préconisé la création d'un groupe formel des gestionnaires de réseau, conçu sur le modèle du Groupe des régulateurs européens dans le domaine de l'électricité et du gaz (ERGEG). Il a relevé que si un tel groupe existait de façon informelle, la nouvelle structure envisagée devrait, dans le cadre de la « comitologie » existante, regrouper obligatoirement tous les gestionnaires et avoir le pouvoir de définir des règles communes comme d'en contrôler l'application de façon contraignante.

Il a ensuite proposé de créer un Centre européen de coordination des flux transfrontaliers pour améliorer l'action des centres nationaux dans le transport d'électricité, se félicitant au passage que cette suggestion ait été recommandée par la France à la Commission européenne en réponse à sa récente communication, et ce en dépit des réticences allemandes.

Il a également jugé nécessaire d'établir des bilans prévisionnels pluriannuels analysant les besoins en électricité ainsi que les capacités de production et de transport nécessaires. Estimant que cette idée progressait en Europe, puisqu'elle permettrait de prévoir les investissements nécessaires à la satisfaction de la demande alors que le marché n'anticipait pas toujours les besoins futurs, il a aussi plaidé pour un renforcement de l'interconnexion des réseaux, soulignant que cela répondait précisément aux exigences de sécurité d'approvisionnement.

Enfin, s'agissant de la séparation entre réseau de transport, d'une part, production et commercialisation de l'électricité, d'autre part, il a présenté l'alternative proposée par la Commission qui réside dans le choix entre, d'un côté, la séparation de propriété ou, de l'autre, la création d'un gestionnaire des flux indépendants (ISO) sur le modèle américain. Observant que la première option se traduirait en France par la fin de RTE comme filiale détenue à 100 % par EDF, il a estimé que l'option ISO n'assurerait pas de bonnes garanties de non discrimination et présenterait des risques pour la sécurité d'approvisionnement. Il a conclu son propos en faisant valoir que le modèle français de RTE fonctionnait bien et que le gouvernement restait favorable au maintien de la configuration actuelle, et donc opposé à la séparation de propriété des réseaux proposée par la Commission.

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