La mission commune d'information a tout d'abord procédé à l'audition de M. André Merlin, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE), sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver.
En introduction, M. André Merlin, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE), a présenté le rôle et les missions de RTE.
Rappelant que cette entreprise s'inscrivait dans la nouvelle configuration du paysage électrique européen résultant de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, en application de la directive de 1996, il a souligné que la loi du 10 février 2000 avait réalisé une transposition « à la française » en donnant naissance, au sein de l'entreprise intégrée EDF, à un service chargé de la gestion du réseau d'électricité qui était totalement indépendant au plan comptable, financier et managérial. Evoquant ensuite la loi du 9 août 2004 ayant transposé les directives de 2003, il a rappelé que leurs dispositions exigeaient la séparation juridique de la gestion du réseau de transport d'électricité de celle des activités de production et de commercialisation d'électricité, ce qui avait conduit à la transformation de RTE en une société anonyme au capital détenu en totalité par des personnes publiques (en l'espèce, EDF à 100 %).
Puis, observant que RTE n'était pas seulement un transporteur d'électrons des lieux de leur production à ceux de leur consommation mais qu'il assurait aussi en permanence un équilibrage entre l'offre et la demande d'électricité à travers ses réseaux de transport, c'est-à-dire une régulation des flux, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a exposé les quatre missions de service public assignées à l'entreprise :
- garantir la sûreté du système électrique et la qualité de fourniture ;
- assurer à chaque acteur un traitement non discriminatoire ;
- faciliter l'accès au réseau et améliorer ses performances eu égard au droit de péage acquitté par les utilisateurs ;
- intégrer les ouvrages et les activités dans l'environnement.
Puis, après avoir rappelé que l'ouverture totale des marchés était prévue au 1er juillet 2007, il a estimé indispensable, compte tenu du fait que RTE est un monopole naturel gérant un passage obligé entre les producteurs et les consommateurs, de garantir un accès non discriminatoire aux réseaux, et souligné que, malgré cette situation monopolistique, le coût du kilowatt-heure (kWh) transporté avait baissé de 3 % par an depuis juillet 2000, date de la création de RTE.
a ensuite présenté les ouvrages de transport de RTE en précisant que les lignes haute tension (HT) et les lignes très haute tension (THT) représentaient 100 000 km de circuits sur le territoire national, que les lignes moyenne et basse tension étaient gérées par EDF Distribution et vingt-deux entreprises locales de distribution, et que RTE équipait actuellement les lignes THT de fibre optique afin de fournir en haut débit de nombreuses zones du territoire, faisant valoir que cette opération était plus économique que l'installation d'antennes.
Soulignant les relations étroites entretenues entre RTE et le régulateur, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), laquelle a pour triple mission de contrôler les règles d'accès et de procéder au règlement des litiges, d'assurer la régulation économique et financière du secteur et d'en contrôler la bonne gouvernance, il a noté l'absence de tout contentieux à l'heure actuelle et, surtout, souligné la spécificité française attribuant à la CRE et non pas EDF l'approbation annuelle du programme d'investissement de RTE. S'agissant enfin des relations entre l'Etat et RTE, il a insisté sur le rôle central dévolu en France au ministre chargé de l'énergie, qui vérifie le respect des obligations de mission de service public, fixe les tarifs d'accès au réseau de transport de l'électricité sur proposition de la CRE, approuve le schéma de développement du réseau et autorise les nouveaux ouvrages.
Puis M. André Merlin, président du directoire de RTE, a évoqué l'incident européen du 4 novembre 2006. Après avoir rappelé qu'en raison de l'interconnexion des réseaux européens, commencée dans les années 1950, la panne avait touché l'ensemble de l'Europe - ainsi que le Maghreb, interconnecté depuis Gibraltar -, il s'est attaché à en décrire les événements déclencheurs. Il a ainsi expliqué qu'elle résultait d'une erreur humaine lors d'une manoeuvre habituelle de mise hors tension d'une ligne THT pour permettre le passage d'un bateau sur l'Ems, en Allemagne. Programmée entre 1 heure et 6 heures du matin le 5 novembre 2006, cette manoeuvre a finalement eu lieu, à la demande du chantier naval, la veille, juste après 22 heures. A cet instant, si aucun pic de consommation n'a été constaté, les reports de charge, résultant de la mise hors tension, sur les lignes voisines ont rapproché celles-ci de leurs limites de capacité de transit et conduit à la surcharge de la ligne Wehrendorf-Landesbergen. Cet événement a entraîné le déclenchement automatique du système de protection ayant immédiatement mis la ligne hors tension, ce qui a créé en cascade, de la Baltique au sud de l'Europe, un phénomène quasi-instantané de décrochage de toutes les lignes surchargées. Ainsi, quelques secondes après 22h10, trois réseaux distincts se sont formés à la suite du déséquilibre énergétique résultant notamment d'un déficit de fourniture de 9 000 MW à la partie ouest de l'Europe, dont la fréquence est alors brutalement passée de 50 à 49 Hertz ; dans la zone des Balkans, le déséquilibre a été plus faible, avec une fréquence tombée à 49,7 Hertz, tandis que dans la zone est, il est intervenu dans l'autre sens, la fréquence ayant augmenté de 50 à 50,60 Hertz.
Expliquant qu'en cas d'incident, les automates réagissaient instantanément à travers les fréquences métriques de délestage, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a salué ce plan de défense du réseau européen qui a permis d'éviter un écroulement complet des réseaux et une rupture du système d'approvisionnement qui aurait privé d'électricité plusieurs dizaines de millions de personnes pour une durée beaucoup plus longue que celle de la panne du 4 novembre dernier. Il a toutefois indiqué que les contributions aux nécessaires délestages avaient été variables selon les pays européens, constatant que si la France avait contribué à hauteur de 12 %, l'Espagne à 10 % ou encore le Portugal à 19 %, d'autres pays avaient été moins solidaires, la Suisse marquant même une totale singularité (0,1 % seulement). Relevant que ces différences résultaient pour beaucoup de l'absence d'harmonisation des règles nationales, il a plaidé pour un renforcement de la coordination entre les opérateurs de systèmes de transmission. Par ailleurs, après avoir révélé qu'au total 17 000 MW avaient été coupés, dont environ 10 000 en raison des déconnexions automatiques sur les dispositifs de production éolienne et de cogénération, en application des règles de protection qui prévoient ces déconnexions dès que la fréquence atteint 49,5 Hertz, il a estimé nécessaire de revoir ces paramètres des systèmes décentralisés, dans la perspective de leur harmonisation avec ceux des systèmes centralisés.
a indiqué que, selon les éléments résultant de l'enquête menée par l'Union pour la coordination du transport d'électricité en Europe (UCTE), la panne du 4 novembre résulte, à son origine, d'une erreur humaine. Regrettant que l'opérateur allemand E.ON ne se soit pas conformé aux règles de sécurité essentielles qui auraient empêché l'écroulement en cascade des réseaux, il a considéré que cette omission provenait d'un déficit d'outils d'analyse permettant de signaler correctement les risques et d'un défaut de communication et de coordination entre les deux gestionnaires de réseau allemands concernés, E.ON et RWE. Mais au-delà, il a mis en lumière d'autres facteurs aggravants :
- la déconnexion du réseau de la production décentralisée ;
- la réaction inadaptée de certaines entreprises locales de distribution dans la mise en oeuvre des plans de défense et de restauration, notamment en France ;
- des directives insuffisantes données aux dispatchers des réseaux allemands en situation de crise ;
- l'insuffisante coordination des gestionnaires dans les procédures de resynchronisation des trois zones séparées.
Il a en outre souligné que la reconnexion automatique des moyens décentralisés en Allemagne avait conduit à des surtensions en Pologne, celles-ci ayant elles-mêmes failli provoquer une nouvelle panne.
Enfin, pour tirer les leçons de la panne du 4 novembre 2006, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a rappelé que la Commission européenne, au regard tant des enseignements de l'incident que de l'état d'avancement de l'ouverture du marché de l'électricité, a présenté le 10 janvier 2007 un paquet de mesures prévoyant :
- la mise en place de bilans prévisionnels pluriannuels ;
- un plan d'interconnexions prioritaires ;
- la création d'une structure européenne des gestionnaires de réseau de transport pour mieux coordonner la gestion de ces réseaux par des règles communes ;
- le renforcement de la séparation entre réseaux et production d'électricité (« l'unbundling ») ;
- l'amélioration de la régulation des marchés par une meilleure coordination des régulateurs nationaux ou par la création d'un organisme communautaire de régulation.
Commentant ces différentes propositions, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a tout d'abord souscrit à l'idée d'un renforcement de la coordination des réseaux européens par l'établissement de règles de sécurité communes. A cet effet, il a préconisé la création d'un groupe formel des gestionnaires de réseau, conçu sur le modèle du Groupe des régulateurs européens dans le domaine de l'électricité et du gaz (ERGEG). Il a relevé que si un tel groupe existait de façon informelle, la nouvelle structure envisagée devrait, dans le cadre de la « comitologie » existante, regrouper obligatoirement tous les gestionnaires et avoir le pouvoir de définir des règles communes comme d'en contrôler l'application de façon contraignante.
Il a ensuite proposé de créer un Centre européen de coordination des flux transfrontaliers pour améliorer l'action des centres nationaux dans le transport d'électricité, se félicitant au passage que cette suggestion ait été recommandée par la France à la Commission européenne en réponse à sa récente communication, et ce en dépit des réticences allemandes.
Il a également jugé nécessaire d'établir des bilans prévisionnels pluriannuels analysant les besoins en électricité ainsi que les capacités de production et de transport nécessaires. Estimant que cette idée progressait en Europe, puisqu'elle permettrait de prévoir les investissements nécessaires à la satisfaction de la demande alors que le marché n'anticipait pas toujours les besoins futurs, il a aussi plaidé pour un renforcement de l'interconnexion des réseaux, soulignant que cela répondait précisément aux exigences de sécurité d'approvisionnement.
Enfin, s'agissant de la séparation entre réseau de transport, d'une part, production et commercialisation de l'électricité, d'autre part, il a présenté l'alternative proposée par la Commission qui réside dans le choix entre, d'un côté, la séparation de propriété ou, de l'autre, la création d'un gestionnaire des flux indépendants (ISO) sur le modèle américain. Observant que la première option se traduirait en France par la fin de RTE comme filiale détenue à 100 % par EDF, il a estimé que l'option ISO n'assurerait pas de bonnes garanties de non discrimination et présenterait des risques pour la sécurité d'approvisionnement. Il a conclu son propos en faisant valoir que le modèle français de RTE fonctionnait bien et que le gouvernement restait favorable au maintien de la configuration actuelle, et donc opposé à la séparation de propriété des réseaux proposée par la Commission.
A l'issue de cette intervention, M. Bruno Sido, président, a demandé comment il était possible d'envisager une meilleure interconnexion des réseaux en Europe.
Reconnaissant des insuffisances au niveau européen, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a considéré que ces déficits d'interconnexion pouvaient être résorbés, estimant qu'il faudrait dans cette perspective envisager un renforcement de l'interconnexion avec l'Italie comme avec l'Angleterre de l'ordre de 1 000 MW pour chacun de ces pays, et avec l'Espagne d'environ 1 400 MW. S'agissant de l'Angleterre, il a précisé que la liaison actuelle était sous-marine et reposait sur un courant continu, qui nécessitait un rétablissement en courant alternatif renchérissant considérablement le coût de cette électricité. Mais il a précisé que la principale contrainte au renforcement des interconnexions transfrontalières n'était pas financière, puisqu'un plan d'investissement de 10 milliards d'euros d'ici 2020 était prévu, mais politique et sociétale, comme le démontraient les difficultés du dossier trans-pyrénéen.
Souhaitant élargir le débat à la question de la coopération industrielle et technique entre Etats européens, M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, a établi un parallèle avec la problématique de l'organisation multinationale d'EADS, se demandant si une harmonisation du fonctionnement des réseaux européens d'électricité était possible. Il a illustré son propos en décrivant les difficultés de l'avionneur européen lors de la construction du premier A 380, en raison de techniques différentes utilisées par les Français, les Anglais et les Allemands, notamment en matière informatique. Soulignant le paradoxe qu'en dépit d'un fonctionnement en réseau, chacun agissait avec ses propres règles, il s'est déclaré convaincu que cela fragilisait les Européens. Aussi, s'agissant de l'approvisionnement en électricité, il a demandé sur la base de quelles règles une harmonisation serait possible et quelle serait l'autorité qui pourrait décider d'une telle harmonisation. Par ailleurs, il s'est inquiété de la position « ultra-libérale » à ses yeux de la Commission européenne, qui préconise désormais une séparation stricte de propriété.
Jugeant pertinente l'analogie avec EADS faite par le rapporteur et souscrivant à son analyse, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a considéré qu'il était en effet nécessaire d'aller plus loin dans la coordination entre les pays européens, par la création d'un groupe formel des gestionnaires de réseau qui établirait des règles obligatoires et en contrôlerait strictement l'application. Il a également plaidé pour une prise de conscience généralisée en Europe autour de trois axes : la lutte contre le réchauffement climatique ; la sécurité d'approvisionnement énergétique au sens large, comprenant le pétrole et le gaz ; l'intégration plus forte des marchés. Il a enfin confirmé que le Gouvernement n'estimait pas nécessaire d'aller vers une séparation totale des activités comme le préconise la Commission européenne, une séparation managériale lui paraissant suffisante.
Evoquant le projet de ligne Boutre / Broc Carros, M. Claude Domeizel s'est interrogé sur son objet, l'irrigation en électricité de la région niçoise, notoirement déficitaire, ou la création d'un lien vers l'Italie afin de multiplier nos exportations d'électricité. Puis, faisant allusion à l'annulation par le Conseil d'État de la déclaration d'utilité publique de ce projet, il a souhaité connaître, d'une part, la faisabilité technique d'enfouissement de cette ligne et, d'autre part, la possibilité d'alimenter la région en créant une unité de production à Nice ou en Corse.
Affirmant que ce projet devait permettre de sécuriser non seulement la ville de Nice mais également toute la région PACA, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a souligné qu'il ne visait pas à l'accroissement des capacités d'échange avec l'Italie, faisant valoir à cet égard que le réseau italien à la connexion n'était de toute manière pas assez performant actuellement pour supporter un flux supplémentaire. Après avoir considéré que RTE avait conçu un projet respectant l'environnement des gorges du Verdon, il a fait observer que la décision du Conseil d'État allait conduire le réseau à doubler d'ici à 2009 les capacités de transit des deux lignes existantes de 400 000 volts. Pour autant, il a relevé que ce renforcement n'allait pas diminuer sensiblement les risques potentiels pesant sur la région, notamment lors des incendies de forêt qui, pour des raisons de sécurité, rendent nécessaire la mise hors tension de larges secteurs. Aussi, pour éviter des coupures totales répétitives dans la région, il convient de rechercher un nouveau tracé en dehors du parc du Verdon, d'autant que, outre qu'il est à l'heure actuelle techniquement impossible de réaliser un enfouissement des lignes sur de longues distances, les experts ont démontré que les dommages environnementaux sont plus importants avec cette technique. Enfin, s'il a souligné la difficulté de créer une unité de production à Nice, comme en Bretagne, faisant valoir que la ville était confrontée à un problème d'espace, il n'a cependant pas exclu la possibilité technique de créer plusieurs petites unités de production dans la région.
Puis, à la demande du Président Sido, qui a constaté que le grand intérêt suscité par cette audition se heurtait aux contraintes horaires initialement prévues, M. André Merlin, président du directoire de RTE, s'est engagé à répondre par écrit aux dernières questions des commissaires.
a demandé comment, dans un avenir proche, pouvait être envisagé un meilleur équilibrage géographique des projets d'investissement en production comme en transport au niveau national, et si la séparation totale entre producteurs et transporteur n'était pas de nature à faire naître des conflits dans les orientations stratégiques.
après s'être interrogé sur la manière de favoriser la création d'un centre européen de coordination tout en conservant une capacité de régulation au niveau national, a demandé quelle solution pouvait être apportée de manière pérenne à la situation particulière d'une entreprise en Dordogne ayant des difficultés d'accès au réseau.
s'est inquiété de l'appréciation du risque de piratage, qui lui a semblé aussi important que les risques de panne, avant de demander si l'équipement des infrastructures de transports en fibres optiques ne conduisait pas à complexifier la gestion des réseaux.
a souhaité connaître les raisons pour lesquelles l'opération de reconnexion automatique des réseaux en Allemagne avait elle-même engendré une nouvelle alerte de panne en Pologne, et savoir si la construction de lignes de 500 kV pouvait être envisagée pour remplacer celles de 400 kV et développer ainsi les capacités de transport.
En conclusion, M. André Merlin, président du directoire de RTE, a répondu favorablement à la suggestion de M. Bruno Sido, président, de faire visiter par une délégation de la mission d'information le Centre national d'exploitation des systèmes électriques (CNES) de Saint-Denis.
La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de MM. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et Michel Massoni, directeur de l'accès aux réseaux de la CRE.
Après avoir relevé que, dans les réflexions sur la sécurité d'approvisionnement en électricité, l'attention du grand public avait été essentiellement centrée sur la disponibilité des combustibles et de la production d'électricité, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a indiqué que cette problématique était tout autant une question de quantité d'énergie produite que de gestion optimale de ses flux dans l'espace et dans le temps, comme l'incident du 4 novembre 2006 venait de le rappeler.
Soulignant que l'électricité n'étant pas stockable pour l'instant, le gestionnaire de réseau était obligé de veiller, d'une part, à assurer constamment l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité et, d'autre part, à ce que le réseau soit toujours prêt à transporter la totalité de l'électricité produite, il a précisé que la sécurité d'approvisionnement consistait ainsi à garantir une double fiabilité, celle de la production et celle du réseau.
A cet égard, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a observé que, si la CRE n'était pas l'autorité garante de la sécurité d'approvisionnement d'électricité, ce rôle revenant au ministre chargé de l'énergie, elle disposait néanmoins d'une série de compétences qui étaient autant de leviers favorisant l'action des pouvoirs publics en la matière. Il a précisé, en particulier, que la CRE contribuait à assurer la prévention des risques de défaillance du réseau à court et long termes.
Pour illustrer son propos, il a abordé, en premier lieu, la prévention à court terme, qui relève de mécanismes d'ajustement.
A ce sujet, il a précisé que la sécurité d'approvisionnement reposait, à chaque instant, sur la nécessité pour le gestionnaire du réseau de trouver les marges de production disponibles sur le territoire national et chez nos voisins afin de pallier la survenue d'un aléa comme un incident de production, un incident de réseau ou des variations de consommation, et souligné que tel était l'objet du mécanisme d'ajustement, dont la loi a confié la responsabilité du fonctionnement à RTE et l'approbation préalable de ses règles à la CRE. Il a ajouté que celle-ci avait fait partager au groupe des régulateurs européens l'objectif de renforcement de la compatibilité des différents mécanismes appliqués en Europe.
Puis M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a évoqué le rôle de la commission en matière de prévention à long terme.
Il a rappelé, à cet égard, que la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité soumettait le programme d'investissement (PPI) du gestionnaire du réseau de transport, en l'occurrence RTE, à l'approbation de la CRE. Il a relevé qu'il s'agissait là d'une compétence majeure, puisque, concrètement, la CRE avait la charge de vérifier que le programme d'investissement de RTE lui permettait d'assurer, à la fois, le bon entretien et le développement des réseaux au regard des projets de raccordement des producteurs d'électricité et des prévisions d'évolution de la demande.
Il a souligné que l'élément essentiel de la capacité d'investissement du gestionnaire du réseau, les conditions d'utilisations du réseau, et notamment les tarifs d'accès aux réseaux, étaient élaborés par la CRE et proposés aux ministres compétents. Faisant observer que la CRE s'attachait à ce que le niveau de ces tarifs permette à RTE d'investir dans le développement et le renouvellement de son réseau, il a noté que tel était bien le cas aujourd'hui, avec la rémunération servie au capital investi (taux nominal de 7,25 %) qui permettrait à RTE d'investir 740,7 millions d'euros pour l'année 2007. Il a en outre considéré que cette compétence concernait tout autant le réseau national que les interconnexions aux frontières qui devaient être suffisantes afin, notamment, de pouvoir bénéficier des marges de production disponibles chez nos voisins.
Puis, abordant plus précisément la question de l'interconnexion des réseaux électriques européens, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a repoussé l'idée selon laquelle le choix de l'autonomie nationale des réseaux permettait de renforcer la sécurité d'approvisionnement. Il a estimé, au contraire, que, convenablement gérée, l'interconnexion des réseaux permettait de minimiser les conséquences d'une défaillance sur un point du réseau. Il a ainsi jugé que si, le 4 novembre 2006, la coordination des gestionnaires de réseaux européens n'avait pas été aussi approfondie que nécessaire, elle avait néanmoins permis d'éviter un effondrement total du réseau allemand, aux conséquences bien plus désastreuses que la panne subie. Il a relevé qu'elle pourrait également permettre de secourir le réseau français, si cela s'avérait un jour nécessaire.
a ensuite détaillé le fonctionnement des gestionnaires de réseaux européens.
Il a tout d'abord rappelé que, pendant de nombreuses années, les électriciens européens avaient utilisé un concept de « chemin contractuel » adapté aux échanges transfrontaliers stables à long terme entre opérateurs intégrés, pour lesquels l'analyse de la physique des échanges et le recouvrement précis des coûts de transport ne constituaient pas une priorité. Il a constaté que, dans de telles conditions, la gestion économique rationnelle des interconnexions, en tenant compte de la physique des échanges, n'était pas possible et que cela pouvait même engendrer des situations dangereuses. Il a cité, pour illustration, le quasi-incident du réseau belge du 14 juillet 1999, durant lequel les gestionnaires belge et français avaient dû faire face à des flux transfrontaliers non identifiés, dont l'analyse avait révélé ultérieurement qu'ils provenaient de modifications inopinées intervenues sur les réseaux allemands.
Il a déclaré que la prise en compte précise de la physique des échanges supposait une forte coordination du pilotage du réseau de la zone donnée et de ceux des réseaux voisins. Il a relevé que tel était le cas en France, citant l'exemple de la Bretagne, région déficitaire en production d'électricité, dont la sécurité d'approvisionnement dépendait largement de la fiabilité du réseau coordonné par RTE. Il a constaté, en revanche, que cela était moins vrai à l'échelle européenne, même si la sécurité de l'approvisionnement d'un pays comme l'Italie était dépendante de la disponibilité d'électricité dans les pays voisins.
a ensuite estimé que la sécurité globale pouvait être améliorée par la mise en commun des moyens des différents gestionnaires de réseau si cinq conditions étaient remplies :
- que les différentes zones soient interconnectées par des infrastructures de capacité suffisante ;
- que les règles de marchés soient homogènes pour assurer une répartition équitable entre zones de l'énergie produite sur l'ensemble du réseau interconnecté ;
- que le niveau d'information soit élevé et homogène entre les zones pour donner une visibilité suffisante aux investisseurs sur les besoins de chaque zone et leur évolution ; à cet égard, il a estimé que si la France remplissait à ce jour cette condition fondamentale, tel n'était pas le cas de ses partenaires, et ajouté que la Commission européenne envisageait de prendre des mesures contraignantes en la matière ;
- que les règles de mobilisation des réserves soient compatibles entre les zones ;
- que la coopération et la coordination entre les gestionnaires de réseau responsables du contrôle de chaque zone soient efficaces en termes de prévision des flux d'énergie, de gestion de ces flux et de définition de mesures d'urgence.
a ensuite abordé l'incident du 4 novembre 2006 et ses conséquences. Il a relevé que, compte tenu des conséquences subies par les consommateurs français, la CRE avait été largement à l'origine de la décision du Groupe des régulateurs européens dans le domaine de l'électricité et du gaz (ERGEG) d'entreprendre une analyse détaillée de cet incident. Il a indiqué que l'analyse de l'ERGEG s'était fondée sur des faits rapportés par les gestionnaires de réseau de transport d'électricité (GRT) soit directement aux autorités de réglementation nationales, soit par l'intermédiaire de documents qu'ils avaient publiés. Il a précisé que l'ERGEG avait aussi examiné les analogies de cet incident avec d'autres incidents et pannes à grande échelle récents, en particulier le « black out » italien de septembre 2003.
Il a déclaré que les recommandations présentées dans le rapport provisoire du 20 décembre 2006 s'articulaient autour de deux grands axes :
- la nécessité d'améliorer le cadre législatif et réglementaire à l'échelle de l'Europe pour minimiser les risques de pannes. Il a ainsi estimé qu'un réseau européen intégré requérait un cadre juridiquement contraignant fondé sur la mise en place effective du respect des règles, du contrôle de leur mise en oeuvre et de la coordination entre les GRT. Il a jugé qu'un tel cadre ne pouvait être que partiellement obtenu à partir du règlement européen 1228/2003, notant que la coopération et la collaboration entre GRT reposaient principalement sur des accords volontaires conclus sur des bases minimales, et donc insuffisantes. Il a jugé que, faute d'un tel renforcement, le choix serait entre la restriction des échanges ou une interconnexion par des moyens surabondants, ce qui se traduirait, dans les deux cas, par des surcoûts ;
- la nécessité que des mesures soient prises par les GRT eux-mêmes, avec une surveillance stricte des régulateurs, pour assurer une coordination et une coopération effectives entre eux. Il a ainsi estimé que des échanges d'informations plus efficaces entre les GRT étaient nécessaires à l'amélioration de leur appréciation de l'état du système, précisant que ces échanges devaient porter sur les informations pertinentes la veille pour le lendemain, à savoir les prévisions précises de production, de consommation, d'échanges transfrontaliers et la topologie du réseau, et viser tous les GRT susceptibles d'être concernés par les flux physiques engendrés par les échanges.
Se félicitant de la convergence des différentes analyses menées par l'Union de la coordination de la transmission de l'électricité (UCTE), l'ERGEG et la Commission européenne, M. Michel Massoni, directeur de l'accès aux réseaux de la CRE, a jugé que la prochaine étape devrait consister à en tirer toutes les conséquences.
Un débat s'est ensuite instauré.
après avoir constaté qu'il pouvait y avoir une contradiction entre les objectifs de sécurité de l'approvisionnement électrique et de modicité du coût de l'électricité, a souhaité savoir comment progresser d'un point de vue réglementaire, puisqu'il résultait de l'exposé que ce facteur était, en termes de sécurité, au moins aussi important que ceux de la production ou de la qualité du réseau de transport de l'électricité.
a relevé de forts points de convergence entre le rapport que venait de présenter l'UCTE et celui que l'ERGEG devrait adopter les 6 et 7 février 2007, estimant qu'il existait dès lors une base de consensus afin de prendre des mesures à caractère coercitif pour les GRT. Il a ajouté que le fait que les pays mis en cause à l'occasion de l'incident du 4 novembre 2006 avaient une forte tradition d'autorégulation en la matière plaidait également en ce sens.
s'est inquiété qu'à l'occasion d'une « banale erreur humaine », les Etats puissent être dessaisis de leurs compétences en matière d'électricité, pourtant fondamentales.
En réponse, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a précisé qu'il ne s'agissait que de définir, au niveau européen, des règles de fonctionnement dont la France s'était déjà dotées, insistant une nouvelle fois sur la nécessité de mieux coordonner les GRT européens. Puis, après avoir estimé que les procédures de certains gestionnaires de réseaux allemands n'étaient pas toutes satisfaisantes, il a indiqué que ce seraient ces entreprises, et non les Etats, qui se trouveraient dessaisies de certaines de leurs prérogatives si une réglementation devait être adoptée.
Puis M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, faisant le constat des grandes différences existant en termes pratiques et techniques entre des pays comme la France et l'Allemagne, s'est demandé s'il était souhaitable, et même possible, d'aller plus loin sur la voie d'une harmonisation européenne en matière d'électricité.
Evoquant en premier lieu le constat du rapporteur, M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, a noté que l'Allemagne avait été le dernier pays à se doter d'un régulateur pour le secteur de l'énergie. Il a estimé, dès lors, que ledit régulateur, la Bundesnetzagentur für Elektrizität, Gas, Telekommunikation, Post und Eisenbahnen, « prenait ses marques » et n'avait pas encore l'expérience de ses homologues. Puis, après avoir rappelé que l'Europe s'était construite dans le courant des années cinquante à partir d'une thématique énergétique, il a exprimé le souhait qu'elle continue d'avancer en ce domaine, jugeant surmontables les difficultés actuellement rencontrées.
Enfin, M. Michel Billout, rapporteur, après avoir salué l'efficacité de la coordination entre RTE et EDF à l'occasion de l'incident du 4 novembre 2006, a lié celle-ci au caractère encore récemment intégré de ces deux entreprises. Il a souhaité connaître, dans ce contexte, la position de la CRE sur la séparation totale entre les gestionnaires de réseaux et les entreprises chargées de la production, préconisée par la Commission européenne.
a tout d'abord rappelé que le gouvernement français était opposé à une telle séparation. Il a ensuite indiqué que la CRE, sans s'y opposer formellement, ne l'appuyait pas, relevant que le comportement de RTE n'était critiqué par aucun acteur du marché français de l'électricité et montrait une réelle indépendance par rapport à son actionnaire unique, EDF. Il a également estimé que la nécessité pour RTE de faire approuver son plan d'investissement par la CRE constituait une garantie de non-ingérence d'EDF dans l'établissement dudit plan et était donc de nature à éviter les situations de conflits d'intérêts. Il a cependant relevé que la situation de certains pays ayant des groupes intégrés était plus problématique, citant le cas de l'Allemagne, ce qui pourrait inciter la Commission européenne à avancer sur ce dossier.
La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA.
A titre liminaire, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a présenté le contexte où s'inscrivait aujourd'hui le marché de l'électricité. Il a tout d'abord relevé que les décisions étaient soumises à un jeu de contraintes contradictoires, puisqu'il s'agit, à la fois, de promouvoir :
- au plan national et à court terme, la compétitivité industrielle, qui suppose des prix de l'électricité et de l'émission de CO2 aussi bas que possible ;
- au plan européen et dans une optique de moyen terme, la sécurité d'approvisionnement, qui nécessite un prix de l'électricité élevé afin de favoriser les investissements de production et de transport ;
- au plan mondial et à long terme, la lutte en faveur de l'environnement, qui, elle aussi, impose un accroissement des prix de l'électricité et de l'émission de CO2.
Il a indiqué qu'en France, cette problématique était exacerbée par le fait que le tarif de l'électricité avait décroché de 24 % en dix ans par rapport au niveau de l'inflation, et de bien davantage encore par rapport aux prix du marché de l'électricité, contrairement par exemple à l'Allemagne, dont les tarifs réglementés, s'ils sont inférieurs aux prix du marché, ont toutefois connu des taux d'évolution similaires à ceux-ci. S'agissant précisément du marché organisé de l'électricité, dont il a rappelé qu'il résultait directement des directives communautaires ayant libéralisé les services du gaz et de l'électricité, M. Jean-François Conil-Lacoste a présenté les principales caractéristiques de Powernext SA, la bourse française de l'énergie et du CO2, créée en 2001 pour organiser la confrontation de l'offre et de la demande :
- un système multilatéral de négociation au capital de 11,5 millions d'euros, détenu par un actionnariat stable associant des gestionnaires de réseau, tels que le Réseau de transport de l'électricité (RTE) français ou le belge Elia, des producteurs d'énergie français et européens comme EDF, Total, Electrabel, Enel, Endesa etc., des banques (la Société générale et BNP Paribas), et enfin Euronext, l'une des grandes bourses de valeurs européennes, qui est l'actionnaire principal et qui assure la neutralité des opérations ;
- des modèles de marché performants et robustes, fournissant des références de prix sur le marché de l'électricité et de l'environnement européen soit à court terme, pour gérer le risque d'équilibrage ou du volume de marché de l'électricité au jour le jour (Powernext Day Ahead, pour un volume de 30 TWh en 2006, en progression de 50 % sur un an, qui, s'il ne représente que 6 % de la consommation électrique annuelle française, constitue cependant 23 % de l'activité « spot » quotidienne et permet ainsi de réguler l'ajustement de l'offre à la demande), soit à moyen terme, pour gérer le risque de prix de l'électricité d'un mois à trois ans (Powernext Futures, pour 83 TWh en 2006, qui est le deuxième marché européen, derrière le marché allemand), soit enfin sur les permis d'émission de CO2, afin de gérer les risques de non-conformité environnementale (Powernext Carbon qui, avec 32 millions de tonnes échangés en 2006, représente 75 % du marché communautaire) ;
- l'assurance d'un fonctionnement centralisé et transparent, avec un accès non discriminatoire, multilatéral et anonyme, encadré par une réglementation structurante reposant sur des règles de marché et une forte présence des autorités de régulation que sont la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'Autorité des marchés financiers (AMF), et garanti par des transactions sécurisées en ce qui concerne tant les engagements financiers que les engagements physiques.
Abordant plus précisément le fonctionnement de Powernext Day Ahead, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a tout d'abord souligné la présence de tous les grands acteurs européens du marché de l'électricité, au nombre aujourd'hui de 56, qu'il s'agisse des producteurs d'électricité, des fournisseurs d'électricité, d'institutions financières ou encore de sociétés de négoce. Il a ensuite expliqué qu'il s'agissait d'un système de cotation de contrats portant sur la livraison d'électricité sur le réseau haute tension français géré par RTE, assurée le lendemain de la négociation (J+1). L'offre et la demande d'électricité, heure par heure ou par blocs horaires, sont confrontées tous les jours à 11 heures par un mécanisme de fixage. Observant que l'électricité n'est pas stockable, il a considéré que cette organisation des échanges de MWh en J-1 et dans la transparence facilitait l'équilibrage du réseau par RTE et réduisait, toutes choses égales par ailleurs, les risques de délestage.
S'agissant de Powernext Futures, il a indiqué que ses 26 membres, tous acteurs également de Powernext Day-Ahead, avaient un intérêt spécifique sur le marché français, notamment pour la fourniture des besoins physiques de clients industriels. Expliquant qu'il s'agissait d'une cotation de contrats à terme portant sur la livraison physique d'électricité aux échéances soit des trois prochains mois, soit des quatre prochains trimestres, soit encore des trois prochaines années, et que la négociation s'effectuait en continu de 9 heures à 16 heures, il a insisté sur l'aspect physique des transactions, qui distingue ce marché de ses concurrents allemand (EEX) et scandinave (NordPool) sur lesquels sont réalisés des contrats à livraison financière. Après avoir ainsi indiqué qu'en 2006, 14 % des volumes échangés (soit 11,6 TWh) avaient été effectivement livrés, il a précisé que près de 1.000 TWh étaient négociés dans le cadre d'EEX, soit environ le quart du marché de gros allemand, faisant ainsi de ce marché le leader européen.
Dans ce contexte, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, s'est inquiété de l'avenir du marché à terme français, qui a été déstabilisé par la récente décision législative instituant le tarif de retour (TRTAM) pour les industriels n'ayant plus accès aux tarifs régulés. Il a ainsi indiqué qu'en raison de la mise en place d'un prix de vente fixe et d'un mécanisme de compensation non finalisé, le volume d'activité du marché avait brutalement chu de 50 % dès le mois de juin 2006, les fournisseurs historiques et alternatifs ayant eu une couverture beaucoup moins active tout au long du second semestre, malgré les efforts commerciaux de Powernext en fin d'année. Ainsi, la position ouverte, qui mesure l'encours en MWh des positions à terme tenues sur Powernext Futures, a diminué régulièrement quand, dans le même temps, celles d'EEX et d'Endex (Pays-bas) ont continué à augmenter. En outre, malgré les échanges, le marché n'a pas connu de création nette de position ouverte ni fin 2006, ni début 2007.
Après avoir réitéré ses inquiétudes sur l'avenir du marché à terme français au regard du dynamisme de ses concurrents européens, alimenté par l'importance des liquidités dont ils bénéficient en raison de leur organisation résolument financière, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a abordé les effets de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 sur le fonctionnement de Powernext Day Ahead.
Rappelant que, sur ce marché, la négociation était menée en J pour une livraison en J+1, il a souligné que, puisqu'il était impossible de prévoir la veille un incident technique de cette nature, les prix du 4 novembre n'avaient pas été affectés par la panne. Il a ainsi indiqué que l'heure 23 du 4 novembre (22 heures-23 heures) avait été cotée la veille à 43,007 €/MWh et l'heure 24 (23 heures-0 heure) à 39,008 €/MWh, alors qu'en moyenne, sur les samedis d'octobre, novembre et décembre, l'heure 23 s'était négociée à 39,911 €/MWh et l'heure 24 à 36,379 €/MWh. Il a expliqué que les prix du 4 novembre avaient été légèrement supérieurs à la moyenne en raison simplement du « coup de froid » enregistré au début du mois de novembre, qui contrastait avec la grande douceur des températures moyennes de cette fin d'année.
Il a ensuite observé qu'en revanche, les « fixages » des deux jours suivant la panne (le 5 novembre pour livraison le 6 et le 6 novembre pour livraison le 7), avaient enregistré un prix de la base bien supérieur à celui constaté les autres jours du mois (65 €/MWh les 6 et 7 novembre contre un prix moyen de 45,32 €/MWh en novembre et, sur l'heure 19, 198 €/MWh et 202 €/MWh respectivement les 6 et 7 novembre), de tels pics de prix ayant du reste également été enregistrés sur les autres marchés européens, notamment sur le marché allemand EEX. Considérant que le simple effet climatique semblait insuffisant pour expliquer un tel comportement des prix, dès lors que les températures étaient moins basses que les jours précédant la panne, lesquels n'avaient pas connu de pics de prix, et que les températures s'étaient rapidement réchauffées dès le 8 novembre, il a estimé que la panne avait sans doute eu un effet psychologique sur les marchés en introduisant de l'incertitude sur l'état des réseaux et sur la capacité de concertation des gestionnaires de réseau. Il a toutefois souligné le caractère extrêmement transitoire de cet effet, puisque les prix ont retrouvé leur comportement « attendu » dès le 8 novembre. Il a en outre observé que la panne n'avait en rien affecté le volume des transactions, qui a évolué entre 67 GWh et 92 GWh, fourchette conforme au volume quotidien moyen enregistré au cours de cette période (le niveau se situant aujourd'hui entre 100 et 130 GWh, soit un rythme de plus de 40 TWh par an).
Enfin, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a présenté le récent couplage trilatéral du marché qui, depuis le 21 novembre 2006, associe Powernext avec le marché hollandais APX et le marché belge Belpex, en concertation avec les gestionnaires de réseau. En application de ce couplage, l'offre d'achat au prix le plus élevé et l'offre de vente au prix le plus bas sont exécutées indépendamment du pays d'origine de l'ordre et dans la limite des capacités disponibles sur la frontière, lesquelles sont déterminées exclusivement par les gestionnaires des réseaux de transport. Dans ce cadre, les bourses effectuent un fixage donnant un prix et une position nette (d'import ou d'export) pour chaque bourse, ainsi qu'un flux transfrontalier pour chaque interconnexion. Dès lors, l'électricité circule de la zone la moins chère vers la zone la plus chère, ce qui présente comme avantage un accès aux marchés plus juste (utilisation de la capacité transfrontalière par les transactions qui lui accordent le plus de valeur et réduction des occasions d'exercice du pouvoir de marché) et plus facile (simplification des opérations quotidiennes et élimination du risque opérationnel).
En conclusion, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a estimé que ce mécanisme de couplage contribuait à la sécurité d'approvisionnement du réseau, dès lors que :
- la livraison des transactions s'effectue en étroite coordination avec RTE (nomination des transactions dans le périmètre de responsable d'équilibre des membres et meilleur équilibrage des acteurs grâce aux outils de marché) ;
- les transactions sont assurées de manière optimale (utilisation de la totalité de la capacité disponible aux interconnexions et usage de la capacité de façon cohérente avec les signaux de prix) ;
- la liquidité des marchés est renforcée (amélioration de la résilience du marché et moindre volatilité des prix de l'électricité).
Au regard des avantages résultant du développement de l'efficacité collective, il a indiqué que ce dispositif de couplage avait vocation à s'étendre, d'abord à la zone scandinave grâce à la prochaine connexion du réseau batave avec la Norvège par un câble sous-marin, ensuite, aussi rapidement que possible, à l'Allemagne.
A l'issue de cette intervention, M. Bruno Sido, président, a souhaité savoir si, au-delà de la récente mise en oeuvre du couplage, l'existence de bourses telles que Powernext en France ou EEX en Allemagne était réellement de nature à renforcer la sécurité de l'approvisionnement électrique. En particulier, il s'est interrogé sur l'existence d'activités purement spéculatives, qui pourraient déstabiliser les marchés et affecter l'approvisionnement de la France en électricité.
Contestant tout risque de « boursicotage », M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a indiqué que l'activité « spot » de Powernext Day Ahead rendait structurellement impossible toute spéculation, car, outre que l'électricité est un bien qui ne se conserve pas, la transaction au jour le jour sur des livraisons physiques réelles, en liaison étroite avec RTE, n'offrait aucune perspective à des comportements spéculatifs. Au contraire, il a estimé que l'existence d'un forum quotidien, anonyme, transparent et simple était un précieux outil pour garantir la réalisation d'un équilibre entre offre et demande d'électricité et assurer la sécurité quotidienne du réseau. A cet égard, il a pris comme exemple probant la gestion de la canicule en 2003, durant laquelle les capacités marginales nécessaires avaient pu être mobilisées, en association avec les gestionnaires des réseaux, à des prix qui, pour être exceptionnellement élevés pour les plus marginaux d'entre eux (de 1.000 à 3.000 € le MWh), n'étaient pour autant pas spéculatifs, puisqu'ils concernaient des livraisons physiques effectivement réalisées le lendemain.
S'agissant de Powernext Futures et des échanges à moyen terme, il a rappelé que l'une des caractéristiques du marché français était précisément l'aspect « physique » des transactions. Soulignant l'optimisation des capacités de production et de transport qu'autorisait le mécanisme de marché, il a relevé que l'alternative à celui-ci était le maintien des échanges de gré à gré, qui sont totalement opaques, et sur lesquels les autorités de régulation telles que la CRE ne peuvent enquêter. A cet égard, il a indiqué que sur les 4.000 TWh négociés chaque année en Allemagne, 400 seulement l'étaient de manière totalement transparente et que 1.700 TWh faisaient l'objet d'une transaction de gré à gré transitant par une chambre de compensation, ce qui signifiait que près de la moitié de l'activité était encore totalement opaque. Enfin, tout en rappelant que les marchés à terme avaient pour objet de permettre aux fournisseurs et aux industriels de gérer correctement leurs contraintes grâce au dynamisme et à la flexibilité apportés par les mécanismes de marché, il a estimé que ceux-ci ne pouvaient fonctionner efficacement sans une petite dose de spéculation, qui constitue « l'huile » permettant aux rouages, c'est-à-dire à l'ajustement optimum de l'offre et de la demande à terme, de fonctionner.
Enfin, considérant que le couplage des marchés constituait une optimisation de la sécurité d'approvisionnement des pays concernés, il a estimé envisageable que se constitue dans l'avenir une bourse européenne de l'électricité, détenue notamment par les gestionnaires de réseau.
Puis, à M. Michel Billout, rapporteur, qui observait que l'institution d'un tarif de retour était probablement préjudiciable au développement de la bourse française de l'électricité, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a répondu que le TRTAM créait en effet de sérieuses difficultés à Euronext. Il a ajouté que, de son point de vue, la réponse au décrochage important entre les prix du marché et les tarifs régulés, qui avait créé un problème compétitif majeur entre les industriels ayant renoncé aux tarifs régulés et les autres, aurait dû être organisée d'une manière plus concertée, et dans une perspective de plus long terme visant à rapprocher, comme le font les partenaires de la France, la progression des tarifs régulés sur celle des prix de marché. Il a conclu en observant que le niveau de ces prix libérés résultait pour beaucoup du fait que les quantités qu'EDF avait été autorisée à mettre sur le marché étaient insuffisantes (130 TWh) pour permettre à l'entreprise de gérer sa marge et que celle-ci, en toute logique économique, avait donc été contrainte de mettre sur le marché une électricité achetée aux coûts les plus élevés, c'est-à-dire notamment aux prix allemands.