A titre liminaire, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a présenté le contexte où s'inscrivait aujourd'hui le marché de l'électricité. Il a tout d'abord relevé que les décisions étaient soumises à un jeu de contraintes contradictoires, puisqu'il s'agit, à la fois, de promouvoir :
- au plan national et à court terme, la compétitivité industrielle, qui suppose des prix de l'électricité et de l'émission de CO2 aussi bas que possible ;
- au plan européen et dans une optique de moyen terme, la sécurité d'approvisionnement, qui nécessite un prix de l'électricité élevé afin de favoriser les investissements de production et de transport ;
- au plan mondial et à long terme, la lutte en faveur de l'environnement, qui, elle aussi, impose un accroissement des prix de l'électricité et de l'émission de CO2.
Il a indiqué qu'en France, cette problématique était exacerbée par le fait que le tarif de l'électricité avait décroché de 24 % en dix ans par rapport au niveau de l'inflation, et de bien davantage encore par rapport aux prix du marché de l'électricité, contrairement par exemple à l'Allemagne, dont les tarifs réglementés, s'ils sont inférieurs aux prix du marché, ont toutefois connu des taux d'évolution similaires à ceux-ci. S'agissant précisément du marché organisé de l'électricité, dont il a rappelé qu'il résultait directement des directives communautaires ayant libéralisé les services du gaz et de l'électricité, M. Jean-François Conil-Lacoste a présenté les principales caractéristiques de Powernext SA, la bourse française de l'énergie et du CO2, créée en 2001 pour organiser la confrontation de l'offre et de la demande :
- un système multilatéral de négociation au capital de 11,5 millions d'euros, détenu par un actionnariat stable associant des gestionnaires de réseau, tels que le Réseau de transport de l'électricité (RTE) français ou le belge Elia, des producteurs d'énergie français et européens comme EDF, Total, Electrabel, Enel, Endesa etc., des banques (la Société générale et BNP Paribas), et enfin Euronext, l'une des grandes bourses de valeurs européennes, qui est l'actionnaire principal et qui assure la neutralité des opérations ;
- des modèles de marché performants et robustes, fournissant des références de prix sur le marché de l'électricité et de l'environnement européen soit à court terme, pour gérer le risque d'équilibrage ou du volume de marché de l'électricité au jour le jour (Powernext Day Ahead, pour un volume de 30 TWh en 2006, en progression de 50 % sur un an, qui, s'il ne représente que 6 % de la consommation électrique annuelle française, constitue cependant 23 % de l'activité « spot » quotidienne et permet ainsi de réguler l'ajustement de l'offre à la demande), soit à moyen terme, pour gérer le risque de prix de l'électricité d'un mois à trois ans (Powernext Futures, pour 83 TWh en 2006, qui est le deuxième marché européen, derrière le marché allemand), soit enfin sur les permis d'émission de CO2, afin de gérer les risques de non-conformité environnementale (Powernext Carbon qui, avec 32 millions de tonnes échangés en 2006, représente 75 % du marché communautaire) ;
- l'assurance d'un fonctionnement centralisé et transparent, avec un accès non discriminatoire, multilatéral et anonyme, encadré par une réglementation structurante reposant sur des règles de marché et une forte présence des autorités de régulation que sont la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'Autorité des marchés financiers (AMF), et garanti par des transactions sécurisées en ce qui concerne tant les engagements financiers que les engagements physiques.
Abordant plus précisément le fonctionnement de Powernext Day Ahead, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a tout d'abord souligné la présence de tous les grands acteurs européens du marché de l'électricité, au nombre aujourd'hui de 56, qu'il s'agisse des producteurs d'électricité, des fournisseurs d'électricité, d'institutions financières ou encore de sociétés de négoce. Il a ensuite expliqué qu'il s'agissait d'un système de cotation de contrats portant sur la livraison d'électricité sur le réseau haute tension français géré par RTE, assurée le lendemain de la négociation (J+1). L'offre et la demande d'électricité, heure par heure ou par blocs horaires, sont confrontées tous les jours à 11 heures par un mécanisme de fixage. Observant que l'électricité n'est pas stockable, il a considéré que cette organisation des échanges de MWh en J-1 et dans la transparence facilitait l'équilibrage du réseau par RTE et réduisait, toutes choses égales par ailleurs, les risques de délestage.
S'agissant de Powernext Futures, il a indiqué que ses 26 membres, tous acteurs également de Powernext Day-Ahead, avaient un intérêt spécifique sur le marché français, notamment pour la fourniture des besoins physiques de clients industriels. Expliquant qu'il s'agissait d'une cotation de contrats à terme portant sur la livraison physique d'électricité aux échéances soit des trois prochains mois, soit des quatre prochains trimestres, soit encore des trois prochaines années, et que la négociation s'effectuait en continu de 9 heures à 16 heures, il a insisté sur l'aspect physique des transactions, qui distingue ce marché de ses concurrents allemand (EEX) et scandinave (NordPool) sur lesquels sont réalisés des contrats à livraison financière. Après avoir ainsi indiqué qu'en 2006, 14 % des volumes échangés (soit 11,6 TWh) avaient été effectivement livrés, il a précisé que près de 1.000 TWh étaient négociés dans le cadre d'EEX, soit environ le quart du marché de gros allemand, faisant ainsi de ce marché le leader européen.
Dans ce contexte, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, s'est inquiété de l'avenir du marché à terme français, qui a été déstabilisé par la récente décision législative instituant le tarif de retour (TRTAM) pour les industriels n'ayant plus accès aux tarifs régulés. Il a ainsi indiqué qu'en raison de la mise en place d'un prix de vente fixe et d'un mécanisme de compensation non finalisé, le volume d'activité du marché avait brutalement chu de 50 % dès le mois de juin 2006, les fournisseurs historiques et alternatifs ayant eu une couverture beaucoup moins active tout au long du second semestre, malgré les efforts commerciaux de Powernext en fin d'année. Ainsi, la position ouverte, qui mesure l'encours en MWh des positions à terme tenues sur Powernext Futures, a diminué régulièrement quand, dans le même temps, celles d'EEX et d'Endex (Pays-bas) ont continué à augmenter. En outre, malgré les échanges, le marché n'a pas connu de création nette de position ouverte ni fin 2006, ni début 2007.
Après avoir réitéré ses inquiétudes sur l'avenir du marché à terme français au regard du dynamisme de ses concurrents européens, alimenté par l'importance des liquidités dont ils bénéficient en raison de leur organisation résolument financière, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a abordé les effets de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 sur le fonctionnement de Powernext Day Ahead.
Rappelant que, sur ce marché, la négociation était menée en J pour une livraison en J+1, il a souligné que, puisqu'il était impossible de prévoir la veille un incident technique de cette nature, les prix du 4 novembre n'avaient pas été affectés par la panne. Il a ainsi indiqué que l'heure 23 du 4 novembre (22 heures-23 heures) avait été cotée la veille à 43,007 €/MWh et l'heure 24 (23 heures-0 heure) à 39,008 €/MWh, alors qu'en moyenne, sur les samedis d'octobre, novembre et décembre, l'heure 23 s'était négociée à 39,911 €/MWh et l'heure 24 à 36,379 €/MWh. Il a expliqué que les prix du 4 novembre avaient été légèrement supérieurs à la moyenne en raison simplement du « coup de froid » enregistré au début du mois de novembre, qui contrastait avec la grande douceur des températures moyennes de cette fin d'année.
Il a ensuite observé qu'en revanche, les « fixages » des deux jours suivant la panne (le 5 novembre pour livraison le 6 et le 6 novembre pour livraison le 7), avaient enregistré un prix de la base bien supérieur à celui constaté les autres jours du mois (65 €/MWh les 6 et 7 novembre contre un prix moyen de 45,32 €/MWh en novembre et, sur l'heure 19, 198 €/MWh et 202 €/MWh respectivement les 6 et 7 novembre), de tels pics de prix ayant du reste également été enregistrés sur les autres marchés européens, notamment sur le marché allemand EEX. Considérant que le simple effet climatique semblait insuffisant pour expliquer un tel comportement des prix, dès lors que les températures étaient moins basses que les jours précédant la panne, lesquels n'avaient pas connu de pics de prix, et que les températures s'étaient rapidement réchauffées dès le 8 novembre, il a estimé que la panne avait sans doute eu un effet psychologique sur les marchés en introduisant de l'incertitude sur l'état des réseaux et sur la capacité de concertation des gestionnaires de réseau. Il a toutefois souligné le caractère extrêmement transitoire de cet effet, puisque les prix ont retrouvé leur comportement « attendu » dès le 8 novembre. Il a en outre observé que la panne n'avait en rien affecté le volume des transactions, qui a évolué entre 67 GWh et 92 GWh, fourchette conforme au volume quotidien moyen enregistré au cours de cette période (le niveau se situant aujourd'hui entre 100 et 130 GWh, soit un rythme de plus de 40 TWh par an).
Enfin, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a présenté le récent couplage trilatéral du marché qui, depuis le 21 novembre 2006, associe Powernext avec le marché hollandais APX et le marché belge Belpex, en concertation avec les gestionnaires de réseau. En application de ce couplage, l'offre d'achat au prix le plus élevé et l'offre de vente au prix le plus bas sont exécutées indépendamment du pays d'origine de l'ordre et dans la limite des capacités disponibles sur la frontière, lesquelles sont déterminées exclusivement par les gestionnaires des réseaux de transport. Dans ce cadre, les bourses effectuent un fixage donnant un prix et une position nette (d'import ou d'export) pour chaque bourse, ainsi qu'un flux transfrontalier pour chaque interconnexion. Dès lors, l'électricité circule de la zone la moins chère vers la zone la plus chère, ce qui présente comme avantage un accès aux marchés plus juste (utilisation de la capacité transfrontalière par les transactions qui lui accordent le plus de valeur et réduction des occasions d'exercice du pouvoir de marché) et plus facile (simplification des opérations quotidiennes et élimination du risque opérationnel).
En conclusion, M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext SA, a estimé que ce mécanisme de couplage contribuait à la sécurité d'approvisionnement du réseau, dès lors que :
- la livraison des transactions s'effectue en étroite coordination avec RTE (nomination des transactions dans le périmètre de responsable d'équilibre des membres et meilleur équilibrage des acteurs grâce aux outils de marché) ;
- les transactions sont assurées de manière optimale (utilisation de la totalité de la capacité disponible aux interconnexions et usage de la capacité de façon cohérente avec les signaux de prix) ;
- la liquidité des marchés est renforcée (amélioration de la résilience du marché et moindre volatilité des prix de l'électricité).
Au regard des avantages résultant du développement de l'efficacité collective, il a indiqué que ce dispositif de couplage avait vocation à s'étendre, d'abord à la zone scandinave grâce à la prochaine connexion du réseau batave avec la Norvège par un câble sous-marin, ensuite, aussi rapidement que possible, à l'Allemagne.