Intervention de Frédéric Mitterrand

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Audition de M. Frédéric Mitterrand ministre de la culture et de la communication

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

« L'État culturel » : réalité parfois décriée, souvent caricaturée, trop rarement valorisée. Je suis toutefois persuadé, ainsi que l'a rappelé le Président de la République à l'occasion de l'inauguration du Centre Pompidou Metz, que l'offre culturelle est un élément déterminant de notre attractivité et de notre développement économique. Chacun mesure ici combien sont fortes les contraintes qui pèsent sur le budget de l'État.

C'est pourquoi je suis heureux - car tel n'est pas le cas chez bon nombre de nos voisins de l'Union européenne qui ont taillé à la serpe dans leurs budgets de la culture pour faire face à la crise de leurs finances publiques - de vous présenter un budget de la culture pour 2011 préservé, conforté, qui nous permet d'afficher notre ambition culturelle et de donner corps aux nouveaux terrains d'action de mon ministère. Un budget en hausse de 2,1 %, soit 154 millions d'euros de plus qu'en 2010. Les crédits de la mission culture augmentent de 1,1 % ; ceux des médias, du livre et des industries culturelles, de 2,8 % - y compris les recettes de la contribution à l'audiovisuel public, ex-redevance.

C'est la traduction d'engagements clairs et d'une ambition réaffirmée en faveur de notre patrimoine, de notre création et de nos médias. Développer l'offre numérique légale, valoriser les contenus culturels présents sur le net, favoriser la recherche et développement, c'est créer une filière économique culturelle, c'est développer l'emploi culturel de demain. Il est de ma responsabilité de répondre à ces évolutions de nos modes de vie et de nos pratiques culturelles, mais aussi d'anticiper, afin de promouvoir ce que j'appelle la « culture pour chacun » et d'accompagner les industries culturelles et les médias vers un avenir à trente ans.

Le programme « Patrimoines » connaîtra une hausse de 1,6 %, pour s'établir à 868 millions d'euros. L'accent a été mis, en vertu de leur capacité à mettre en valeur les territoires et à créer des emplois, sur les crédits déconcentrés en région.

Conformément à l'engagement du Président de la République, les monuments historiques bénéficient l'an prochain de moyens reconduits, à 375 millions, si l'on compte les 10 millions issus de la taxe sur les jeux en ligne affectés au Centre des monuments nationaux. Entretenir aujourd'hui, c'est aussi investir pour avoir moins à restaurer demain. L'effort se poursuit aussi en faveur des monuments historiques n'appartenant pas à l'État, pour atteindre 53 % des crédits dédiés aux monuments historiques. Autant de preuves d'un engagement fort et d'une ambition économique et touristique à l'intention des collectivités territoriales.

Même accent sur le développement des territoires avec le Plan musées, qui pourra compter sur 25 des 70 millions prévus sur trois ans. Il s'agit, par des projets de rénovation, d'extension, voire de construction de soixante-dix-neuf établissements de toute nature sur l'ensemble du territoire, de créer un effet levier favorable au développement de l'attractivité de nos régions.

Chantiers emblématiques, deux projets immobiliers apportent leur contribution à l'excellence architecturale de notre pays et représentent une vitrine et un vecteur de rayonnement pour la création contemporaine : le musée des civilisations d'Europe et de la méditerranée de Marseille (MuCEM), auquel 30 millions seront consacrés l'an prochain pour l'aménagement du site paysager du Fort Saint-Jean et la réalisation du projet architectural de Rudy Ricciotti ; la rénovation du Musée Picasso qui sera lancé en 2011.

À Paris, la Maison d'Histoire de France figure également parmi les grands projets culturels. Les crédits permettront notamment l'ouverture des jardins du quadrilatère de Rohan-Soubise au public et l'exposition de préfiguration à la fin de 2011. Non point un musée, mais bien une « maison », ouverte à la communauté des chercheurs et des historiens, en réseau avec les nombreux musées d'histoire présents en région et les musées européens à Berlin, Londres ou Turin. Cette Maison sera aussi lieu de diffusion des recherches et du savoir, en d'autres termes un pont entre l'Histoire et le grand public.

Le budget des archives nous permettra de respecter le calendrier de construction du centre des archives de Pierrefitte : la livraison du bâtiment de Massimiliano Fuksas est prévue pour la fin de l'année, avec une ouverture au public en 2013. Ce sera le centre d'archives le plus vaste et le plus moderne d'Europe. Un effort particulier a également été fait en faveur des centres d'archives en régions, qui bénéficient d'une enveloppe de 7,5 millions.

Le patrimoine n'est pas figé, il se façonne et se construit dans le présent. Du patrimoine rural - fontaines, halles, lavoirs - au patrimoine immobilier en passant par les grands sites industriels, mais aussi la langue française et les langues de France, les patrimoines sont une richesse vivante. Il nous revient de transmettre ce legs, qui a valeur universelle.

Le programme « Création » entend préserver la diversité et la qualité du spectacle vivant. Les crédits consacrés à la création, en hausse de 1,8 %, s'élèveront à 736 millions. Pour le spectacle vivant, la reconduction des crédits de fonctionnement en régions à hauteur de 276 millions représente une grande victoire, sachant qu'il y a quelques mois encore, il était question de les réduire de 10 %. C'est la marque d'un engagement maintenu de l'État en faveur de la création et de l'émergence de jeunes créateurs.

L'année 2011 sera essentielle pour la réforme du secteur du spectacle vivant. Les conclusions des Entretiens de Valois ont été tirées et mon ministère va procéder à la redéfinition du périmètre et des modalités d'intervention de l'État. Qu'il s'agisse des labels ou du fonctionnement des comités d'experts, accompagner la transformation est une nécessité à la fois pour l'État, pour les opérateurs et pour les établissements, dans le cadre d'un dialogue responsable. Dans un paysage européen en pleine évolution, ne pas transformer le panorama de la création aujourd'hui, ce serait mettre en péril les formes d'expression de demain.

L'enveloppe consacrée aux arts plastiques en forte progression, passe de 57 à 74 millions, essentiellement afin de pourvoir au lancement du chantier de rénovation des espaces inférieurs du Palais de Tokyo, qui seront totalement consacrés à l'art contemporain et ouvriront au public au printemps 2012. La création artistique bénéficiera ainsi d'un outil de niveau international qui lui permettra de couvrir l'ensemble de son spectre, des talents émergents aux artistes confirmés, notamment ceux issus de la scène française.

Ces crédits doivent aussi bénéficier à l'effort d'investissement des fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) qui vont s'installer dans de nouveaux locaux. C'est l'ensemble de « l'écosystème de l'art contemporain » qu'il faut à mon sens promouvoir, en appuyant le travail conjoint de l'ensemble des acteurs qui contribuent à sa vitalité en France.

La transmission des savoirs et la démocratisation de la culture sont au coeur de mes priorités : telle est mon ambition d'une « culture pour chacun ». Développer l'accès à la culture pour les publics qui en sont éloignés, redynamiser le lien social en développant les pratiques culturelles qui favorisent la mixité, former les futurs créateurs et les futurs artistes, c'est conforter la transmission, rendre sens à notre « vivre ensemble » et refonder, en culture, le pacte républicain. Telle est l'ambition du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont le budget 2011 s'élèvera à 433 millions hors crédits de personnel. Cette enveloppe nous permettra de préserver nos dispositifs en faveur des publics les plus éloignés de l'offre culturelle : quartiers défavorisés, personnes handicapées, ou encore les territoires ruraux qui feront l'objet d'un plan « culture en milieu rural ».

Il n'y a aucune diminution des crédits consacrés à l'action culturelle sur ce programme, il y aura même plus de trois millions d'euros supplémentaires en 2011 pour les régions au titre de l'action culturelle des directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Je veux pour preuve de cet engagement la préservation de nos moyens d'action dans le domaine de 1'enseignement supérieur. Qu'il s'agisse des écoles d'architectures, des écoles des beaux-arts ou encore de la Fémis (école nationale supérieure des métiers de l'image et du son), les dotations de fonctionnement pourront être actualisées et les crédits d'investissements seront revus à la hausse. Les travaux de rénovation de plusieurs établissements pourront se poursuivre. Quant aux emplois d'enseignants, ils sont sanctuarisés, puisque la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux ne s'appliquera pas dans ce secteur.

En matière d'éducation culturelle et artistique et d'action en faveur de l'accès à la culture, un cap a été franchi : on ne reviendra pas en arrière dans l'enseignement de l'histoire des arts à l'école. Éduquer, former et susciter la curiosité est une tâche sans cesse recommencée. J'ai voulu, comme vous le savez, donner une nouvelle dynamique à la démocratisation de la culture, en lançant notamment une consultation régionale et nationale consacrée à la « culture pour chacun ». Sur les 77 millions consacrés à cette ambition, des redéploiements internes vont nous permettre de dégager trois millions supplémentaires pour les régions, disponibles pour de nouveaux appels à projet.

Nos industries culturelles sont placées devant le défi de la concurrence mondiale et devant les enjeux technologiques liés au développement de la numérisation et de la circulation des contenus et des oeuvres sur Internet. C'est un continent immense, ce doit être aujourd'hui la « nouvelle frontière » de notre action, pour construire l'économie de la culture de demain.

La culture étant pleinement inscrite dans l'économie mondiale, mon ministère entend également réguler et soutenir le secteur des médias, favoriser la création et protéger la notion d'oeuvre qui reste et restera centrale. C'est toute l'ambition du programme « Presse, livre et industries culturelles » dont les crédits s'élèvent à 700 millions. Il s'agit de favoriser l'épanouissement de nos médias et de nos productions culturelles au travers d'une offre diversifiée et pluraliste. Dans le sillage des États généraux de la presse de 2009, j'ai décidé de confirmer l'aide exceptionnelle en faveur de la presse. Avec un budget de 420,5 millions, l'État confirme ses engagements contractuels à l'égard du secteur. Il n'y a aucun désengagement. Nous entendons accompagner les mutations d'un secteur profondément touché par la crise et garantir le pluralisme des idées, la vitalité du débat démocratique mais aussi la qualité des contenus et la spécificité du métier de journaliste.

Le budget 2011 confirme l'engagement en faveur de l'innovation et de l'investissement, notamment grâce au fonds d'aide aux services de presse en ligne, doté du même montant que celui affecté au développement industriel et au plan massif d'aide au développement du portage. J'entends également donner suite aux propositions du rapport Cardoso afin de promouvoir des entreprises d'information fortes et indépendantes, capables d'enrichir durablement le débat public, garantir la liberté de la presse et assurer sa transition vers un modèle pérenne.

De la même manière, la politique du livre, dotée d'un budget de 253 millions, doit préserver les secteurs traditionnels, notamment la librairie indépendante, tout en développant les nouveaux accès et les nouveaux usages à l'ère numérique.

La lecture reste un mode d'accès privilégié à la culture. L'action en faveur du développement de la lecture est essentielle. J'ai lancé, en mars dernier, quatorze propositions pour le développement de la lecture, dont j'espère voir collectivités territoriales et associations se saisir. J'ai eu l'occasion d'évoquer longuement la question de l'édition et du tournant numérique lors du récent Forum d'Avignon. Dans le domaine de l'écrit, au regard de la stratégie de numérisation lancée par Google, l'objectif est de faire une proposition nationale, légale et concertée. Ce projet est inscrit dans le cadre des investissements d'avenir, en lien avec la Bibliothèque nationale de France. Je fais partie de ceux qui voient dans le livre numérique la « nouvelle frontière » de l'édition : il sera demain un horizon partagé.

Dans cette perspective, le budget 2011 réaffirme le rôle du centre national du livre qui doit permettre aux éditeurs, quelle que soit leur taille, de bénéficier d'une nouvelle politique numérique tout en poursuivant son appui aux libraires traditionnels et aux libraires en ligne.

Le soutien à la librairie, vecteur essentiel de la diversité éditoriale, repose notamment sur la création du label « librairie indépendante de référence ». Plus de 400 librairies l'ont reçu, qui constituent autant de lieux de contacts et de rencontres entres auteurs.

Enfin, je veux réaffirmer mon attachement au prix unique du livre, loi de régulation fondamentale, qui a permis de préserver dans notre pays la diversité éditoriale et les librairies qui la font vivre. À votre initiative, monsieur le président, le Sénat a récemment voté une proposition de loi sur le prix du livre numérique : je m'en réjouis.

Mondialisation et tournant numérique sont aujourd'hui les deux mutations majeures auxquelles sont confrontées la création et les pratiques culturelles. Promouvoir la culture numérique et les industries culturelles sont de claires priorités de l'action de mon ministère.

Le dogme de la gratuité numérique, fruit de l'emballement de l'économie de l'immatériel, a enfin perdu de son lustre. La loi Hadopi, pour la mise en oeuvre de laquelle nous pouvons compter sur un budget de 12 millions, est désormais en ordre de marche. Elle repose sur un dispositif incitatif et pédagogique, une réponse graduée à travers des messages d'avertissements adressés aux internautes. Il ne s'agit pas de « surveiller et punir » mais bien de contrôler et de garantir. Les crédits alloués permettront de favoriser le développement de l'offre légale, de garantir la protection des oeuvres contre le téléchargement illégal mais également d'observer les usages licites et illicites. Car la pédagogie passe aussi par l'incitation et l'acculturation vers la légalité : telle est l'ambition de la « carte musique » pour les 12-25 ans lancée il y a quelques jours.

J'en viens au cinéma, en faveur duquel j'ai conduit une bataille, qui est aussi économique, dans le cadre de la discussion budgétaire sur les niches fiscales. L'arbitrage du Président de la République traduit une exigence forte : la préservation du système français de financement de la création cinématographique et audiovisuelle, partie prenante de l'exception culturelle française en Europe.

Les soutiens mis en oeuvre par le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) progressent. Les moyens alloués au fonds de soutien atteindront 750 millions.

La numérisation des salles de cinéma constitue un chantier stratégique et prioritaire. Un effort financier sans précédent de 125 millions sur trois ans sera consenti dans le cadre du plan de modernisation de notre parc en faveur de l'équipement des salles et des circuits itinérants. Cette aide au numérique s'ajoutera aux dispositifs d'aide à l'exploitation existants. C'est l'expression d'une volonté politique forte qui reconnaît le rôle du cinéma dans l'offre culturelle de notre pays.

Le soutien à l'audiovisuel public est, enfin, renouvelé. Son budget progresse de 3,4 % pour atteindre près de 4 milliards, dotation du budget général et ressources de la contribution à l'audiovisuel public confondus. Pour France Télévisions, un montant global de ressource publique de 2,5 milliards est prévu, dont 2,1 milliards issus de l'ex-redevance auxquels s'ajoute une dotation du budget général de 400 millions, qui vient compléter le financement des missions de service public du groupe. C'est certes une dotation révisée, au regard du plan d'affaires 2009-2012, du fait du dynamisme des recettes commerciales, mais cela ne remet nullement en cause les objectifs, parmi lesquels un haut niveau d'investissement dans la création.

La loi du 5 mars 2009 réformant l'audiovisuel public est à l'heure du bilan. L'attention de l'opinion s'est concentrée sur la suppression progressive de la publicité. La suppression après 20 heures est très bien accueillie par les téléspectateurs. Son élargissement est aujourd'hui entre les mains de la sagesse des Assemblées, compte tenu des contraintes imposées par le budget triennal de l'État. Sachez que le Gouvernement aborde cette question sereinement, avec pragmatisme et sans dogmatisme. Car au-delà de la question du moratoire, d'importants changements ont d'ores et déjà vu le jour. Un virage éditorial a été amorcé, favorisant une offre culturelle plus dense et plus créative. L'entreprise unique a permis de conjuguer les forces et de mutualiser les compétences. Au-delà de la réunion juridique, le nouveau président de France Télévisions entend désormais proposer une organisation moins centralisée et renforcer l'identité éditoriale des chaînes : il ne s'agit pas d'une remise en cause de la loi, mais bien d'un aménagement au service de la qualité et de la diversité.

Dans le cadre de cette ambition modernisatrice, 131 millions seront consacrés au passage à la TNT en vue de l'extinction progressive de la diffusion analogique des chaînes de télévision fin 2011. C'est une véritable « révolution de l'image » équivalente au passage à la couleur, que mon ministère entend accompagner.

Outre France Télévisions, les dotations 2011 destinées aux autres organismes de l'audiovisuel public - l'INA, Radio France, Arte et l'Audiovisuel extérieur de la France - sont en progression. Elles permettent de financer leurs orientations stratégiques tout en respectant les contrats d'objectifs et de moyens signés avec l'État.

Je n'oublie pas la place très particulière que les radios associatives occupent dans le paysage radiophonique français. Le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER), dont les aides bénéficient à plus de 600 radios, bénéficiera de 29 millions, soit 2 millions de plus qu'en 2009.

Qu'il s'agisse de la lecture, de la musique ou des arts visuels, c'est bien à une révolution des pratiques culturelles que l'on assiste aujourd'hui. L'individualisation et l'atomisation des pratiques en ligne du lecteur, de l'auditeur, du spectateur, sa solitude et son manque de repères parfois, s'accompagnent aussi d'une liberté nouvelle : l'accès à des contenus de tous horizons et du monde entier. Face à ce paysage instable et mouvant, restons, loin de tout dogmatisme, pascaliens : « l'esprit de finesse » doit l'emporter sur « l'esprit de géométrie ».

Ce budget, j'en suis convaincu, nous permettra de préserver pleinement l'ambition de la politique culturelle de l'État, tout en accentuant son action territoriale, à laquelle je sais le Sénat particulièrement attaché. Il nous donnera également les moyens de poursuivre les chantiers d'envergure, en même temps que d'ouvrir de nouvelles priorités, notamment dans le domaine de la démocratisation et de l'accès aux oeuvres. Toute mon ambition tend à la préservation du périmètre d'action du ministère de la culture, mais aussi à tenir compte de profondes évolutions dans l'accès aux oeuvres et à la création et à favoriser l'ouverture de nouveaux territoires pour nos artistes et nos créateurs.

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