Je tiens au préalable à faire deux remarques : d'une part, gardons-nous de dresser un tableau apocalyptique de l'état du réseau ferroviaire français. Pensons à l'impact psychologique de tels propos sur les acteurs du monde ferroviaire, qui risquent de se sentir accablés par les critiques en tout genre. Nous devons trouver le ton juste. Nous avons eu de bons chiffres l'an dernier en termes de sécurité. Il n'y a eu aucune victime à cause des intempéries de neige en France ! Nous avons connu des difficultés sérieuses en 2010, mais nos voisins ont également été confrontés à des difficultés similaires. D'autre part, je pense que nous devons éviter les polémiques et les anathèmes. Nos concitoyens détestent cela. RFF s'est toujours montré solidaire de la SNCF quand elle était critiquée. Nous devons agir sereinement, dans la limite de nos compétences respectives. J'en viens à la question du fret. Fret SNCF doit réduire la voilure afin de résorber ses pertes de 500 à 600 millions d'euros par an. L'entreprise historique a arrêté rapidement de nombreux contrats de transport de marchandises, qui n'ont pas tous été repris par les concurrents privés. Du coup, le trafic total de fret ferroviaire n'a pas augmenté en 2010. Je crois qu'il était effectivement nécessaire d'assainir la situation du fret SNCF, et que nous observerons prochainement une reprise de la croissance de l'entreprise historique ainsi que la poursuite de la montée en puissance de ses concurrents. N'oublions pas que les concurrents du fret SNCF ont dépassé il y a un mois la barre de 20 % du trafic total de fret ferroviaire. Il existe des gisements de production importants. Pensez que seuls 10 % des marchandises du port du Havre sont acheminés par voie ferroviaire ! La qualité de nos sillons ? Elle n'est pas au rendez-vous. Et je l'assume. Nous sommes aujourd'hui en situation de crise. L'ARAF l'a pointé du doigt dans son avis du 2 février dernier, et l'École Polytechnique de Lausanne avait précédemment mis en exergue trois faiblesses dans la gestion de nos sillons : le cadencement n'était pas suffisamment développé, l'organisation des travaux était défaillante, et le travail des horairistes, partagés entre la SNCF et RFF, était perfectible.
S'agissant du cadencement des horaires, nous avons commencé ce vaste projet il y a maintenant 4 ans en Rhône-Alpes, afin de nous mettre au diapason du reste de l'Europe. Personne ne peut raisonnablement s'y opposer, mais comment le mettre en place concrètement ? Je pense que cette mise en place doit être progressive, on est aujourd'hui à mi-parcours. Nous avons 5 ans devant nous pour l'achever. Le réseau français ne sera jamais totalement cadencé, car un tel objectif serait hors de portée. D'ailleurs le cadencement n'aurait guère de sens sur les lignes à faible trafic. J'avoue que nous avons peut-être voulu, à RFF, aller un peu trop vite. Les régions ont demandé à avoir un peu plus de temps devant elles, d'autant que beaucoup de travaux sur les voies sont programmés. Quant à l'organisation des travaux, justement, nous devons davantage les anticiper, les rationaliser, choisir des dates opportunes et mieux informer les usagers. L'idée fondamentale est de regrouper, au moins un an à l'avance, tous les travaux sur une même ligne : par exemple les travaux d'entretien, le renouvellement des caténaires, du ballast, etc.
Par ailleurs, l'exemple suisse nous montre qu'il serait utile de regrouper les bureaux horaires de RFF et de la SNCF. La création, en à peine une année, de la DCF, qui regroupe 14 000 personnes, est un progrès indéniable. C'est pourquoi j'ai proposé, a minima, que les horairistes de la DCF et de RFF travaillent sur un même plateau. Il faut en outre veiller à l'indépendance de la DCF. Actuellement, RFF fait le plan général des horaires, en quelque sorte, tandis que la SNCF fait le plan de détail. Mais cette répartition des rôles est source de désaccords. D'autant plus que les outils informatiques utilisés par les uns et par les autres sont différents. Je suis convaincu que le simple rapprochement physique et informatique des personnels chargés de la conception des horaires apporterait un mieux. J'ai suggéré à la SNCF et à la DCF de procéder à ce regroupement.
Méfions-nous de la publicité donnée au débat académique sur les structures idéales en matière ferroviaire. En mettant en doute la pérennité des structures actuelles, on créé un risque de déstabilisation. Pour les personnels, il en résulte soit la peur, soit la tentation de l'inaction. Alors qu'il est certain que des progrès immédiats peuvent être réalisés sans modification des structures.
En ce qui concerne la régénération des voies, nous sommes remontés à un rythme de 1 000 kilomètres de voies par an après être tombés à 400 kilomètres. Est-ce suffisant ? Pas tout à fait. Le vieillissement du réseau est ralenti, mais il continue. Entre 2000 et 2007, l'âge moyen des voies s'est accru de cinq ans. Depuis 2007, il n'a augmenté que d'un an et demi. Notre objectif est d'arrêter ce vieillissement, puis d'engager le rajeunissement du réseau. L'effort de rénovation devrait permettre une stabilisation du vieillissement à l'horizon 2015, puis un rajeunissement à l'horizon 2020. Le coût d'entretien devrait diminuer en conséquence.
La question est de savoir si nous en aurons les moyens. En 2011, l'effort de rénovation a dépassé, pour la première fois dans l'histoire de RFF, les autres dépenses d'investissement : 1,8 milliard d'euros y ont été consacrés, sur un total de 3,2 milliards d'euros d'investissements. Toutefois, nous ne sommes pas certains de pouvoir continuer à ce rythme, car il manque un milliard d'euros par an, soit la différence entre 5,5 milliards d'euros de recettes et 6,5 milliards d'euros de coût total du réseau. L'alternative est simple : soit l'on réduit l'effort de rénovation, soit l'on s'endette. Ma position est qu'il ne faut surtout pas arrêter cet effort d'investissement, qui mérite d'être poursuivi pendant au moins dix ans. Nous avons réussi à abaisser le coût moyen de la rénovation à un million d'euros par kilomètre, à comparer à un coût de 15 à 20 millions d'euros par kilomètre pour la construction d'une ligne à grande vitesse.
RFF a réussi à traverser la crise financière internationale sans difficulté. Nous nous sommes adressés à d'autres établissements financiers que les banques. RFF est adossé à l'État, dans un pays où les infrastructures ont une bonne image internationale, et nous avons émis des obligations. C'est ce qui nous permet de bénéficier d'une notation triple A. Mais une dégradation demeure toujours possible, et la hausse des taux d'intérêt va s'accentuer. RFF dépense 1,2 milliard d'euros par an pour les intérêts de sa dette.. Alors que sa dette d'origine s'élevait, en 1997, à 20 milliards d'euros, la dette supplémentaire, qui s'élève à 8 milliards d'euros, a été consacrée au financement de projets rentables, qui doivent donc en permettre le remboursement. Le problème pour nous est la gestion de la dette historique.
Nous avons une collaboration croissante avec nos homologues allemands, qui savent particulièrement bien programmer leurs travaux. Nous avons des partenariats avec DB Netz, alors que nos contacts étaient quasi inexistants il y a deux ans encore. Peut-on aller au-delà ? Là aussi, je dirais que l'essentiel, dans un premier temps, n'est pas de mettre en avant les questions de structures, mais de mettre du lien entre les personnes.
S'agissant des lignes à grande vitesse, il ne revient pas à RFF de décider de l'opportunité des projets. S'il y avait toutefois un choix à faire, je souhaiterais que l'on donne la priorité à la rénovation plutôt qu'au développement du réseau. Il me paraît opportun de mixer les partenariats public-privé et les projets classiques. L'expérience des PPP peut faire évoluer la conception des projets. Comparons ensuite les résultats avec pragmatisme.