Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission défense programme 178 préparation et emploi des forces - examen du rapport pour avis

Photo de André DulaitAndré Dulait, co-rapporteur pour avis :

Comme vous le savez, le programme « Préparation et emploi des forces » regroupe la majeure partie des dépenses de personnel et de fonctionnement des armées. Avec 22 milliards, ce programme est le plus important en volume de la mission Défense.

J'exposerai, pour ma part, les dépenses de personnels, laissant à notre collègue, Jean-Louis Carrère, le soin de traiter des dépenses de fonctionnement et de maintien en condition opérationnelle.

Le programme 178 rassemble 88 % des effectifs du ministère de la défense, soit 265 000 Equivalents temps plein travaillés (ETPT). Il s'agit, à 83 % de militaires et à 17 % de civils. Ce programme concentre donc toutes les problématiques de la gestion des ressources humaines des armées. Il constitue aujourd'hui le coeur de ce que l'on appelle « la grande manoeuvre des ressources humaines » en cours.

Aussi, je voudrais, tout d'abord, évoquer la poursuite de cette réforme de notre outil de défense en matière de ressources humaines. J'aborderai ensuite les crédits du titre 2 du programme 178 pour 2011.

Le projet de budget pour 2011 s'inscrit dans le cadre fixé par la LPM. Je ne vais pas revenir sur la LPM, mais je rappellerai juste qu'avec une suppression programmée de 54 000 postes, la diminution du format d'ici 2014 est sans précédent : il s'agit là d'une réduction de plus de 20 % de nos effectifs. Mais plus encore que la déflation des effectifs, c'est la réorganisation des méthodes avec :

- la mutualisation et la rationalisation du soutien commun et le transfert de plus de 25 000 personnes des armées vers la sphère interarmées ;

- les restructurations territoriales, avec 27 fermetures en 2009 et plus de 100 unités restructurées en 2010 et 123 opérations de restructuration à réaliser en 2011 ;

- la poursuite du mouvement de création des bases de défenses : En 2011, la France devrait disposer de 60 bases de défense opérationnelle, 51 en métropole et 9 en outre-mer ou à l'étranger.

- et enfin la poursuite des expérimentations d'externalisation.

Toutes ces réformes menées de front constituent autant de défis pour les armées qui sont en train de procéder à une transformation inédite par son ampleur. Nos armées entreprennent un processus de transformation considérable.

D'un point de vue budgétaire, les économies directement liées à la réduction des effectifs sont sur le triennum, de l'ordre de 213 millions pour 2011, 225 en 2012 et 228 en 2013 : soit 666 millions sur la période 2011-2013. Ces économies devaient être entièrement réinvesties dans l'outil de défense, d'abord sur la condition militaire, ensuite sur les équipements.

La marge nette des économies générées par la réforme pour financer des équipements est pour l'instant limitée en raison des dépenses liées à :

- l'accompagnement social des restructurations ;

- aux mesures catégorielles de revalorisation de la condition militaire ;

- des dépenses imprévues, que j'évoquerai dans un instant.

Sur l'ensemble de la mission, ces gains nets, c'est-à-dire une fois prélevées toutes ces dépenses, ont été de seulement 10 millions en 2010, pour une masse salariale de 9 milliards. Ils seront de 125 millions l'année prochaine.

Les gains sont donc en grande partie absorbés par les mesures de revalorisation de la condition militaire.

Sur le plan des effectifs : il est prévu que la déflation porte à 75 % sur les soutiens. Elle devra respecter une proportion de 25/75 % entre civils et militaires.

Les opportunités que présente cette réforme, tout à fait nécessaire, sont réelles. Une organisation rationalisée et mutualisée devrait être mise au service de notre outil opérationnel. C'est l'enjeu de la réforme : les économies de personnels doivent provenir des réorganisations et des mutualisations. Si l'on diminue les effectifs sans réformer l'organisation en profondeur, c'est l'outil militaire dans sa globalité qui est mis en péril.

La difficulté, c'est que les deux opérations sont menées de front : des objectifs de baisse d'effectifs ont été définis ; il faut qu'ils soient en phase avec le calendrier des restructurations.

Sur la période 2011-2013, le ministère prévoit en moyenne une baisse de 8 000 emplois nets par an, par régulation des flux, reclassement dans la fonction publique ou attribution de pécule.

En 2010, la déflation s'est poursuivie au même rythme que 2009, mais compte tenu de l'avance prise, la réduction est de l'ordre de quelque 3 400 postes supplémentaires par rapport aux réductions prévues.

En ces temps de baisse d'effectifs, recrutement et fidélisation restent plus que jamais les priorités. Si la déflation d'effectifs se fait en resserrant trop les recrutements, cela se traduira par :

- le vieillissement des armées,

- un déséquilibre de la pyramide des grades,

- un embouteillage des carrières,

- et vraisemblablement un gonflement des soutiens.

Ces évolutions, à l'opposé de ce que nous recherchons, se traduiraient par une désorganisation des structures opérationnelles.

Pour l'instant le seul volet de la manoeuvre qui ne fonctionne pas c'est le volet reclassement des militaires vers la fonction publique, mais il fallait s'y attendre : Seulement la moitié de l'objectif a été atteint : toutes les administrations réduisent leurs effectifs et n'accueillent donc pas nos militaires à bras ouvert.

J'en viens aux crédits du titre 2 du programme 178 pour 2011. Je ne vais pas vous assommer de chiffres, mais il en faut pour comprendre l'évolution des grandes masses. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour ce qui est de l'évolution en détail de chaque ligne budgétaire.

Le projet de loi de finances pour 2011 traduit la reconnaissance de la sous-dotation du titre 2 de la mission Défense que nous avions soulignée l'année dernière.

Pour le programme 178, les principales mesures seront :

- un abondement à hauteur de 113 millions dit de « resoclage » pour compenser les dépenses non programmées en LPM ;

- un GVT (glissement vieillesse-technicité) solde négatif de 57 millions ;

- des mesures d'économies : notamment pas de revalorisation du bordereau de salaire ouvrier, une accélération de la déflation OME et étranger ;

- le financement de mesures catégorielles pour 72 millions d'euros.

L'une des difficultés de la « manoeuvre » tient dans la concordance entre le cadrage financier retenu pour l'évolution de la masse salariale et les objectifs en matière d'effectifs.

Par rapport à la LPM, plusieurs évolutions ont conduit à une augmentation de la masse salariale alors même que les effectifs diminuent :

- l'intégration dans l'OTAN. La participation pleine et entière à l'OTAN se monte pour 2010 à près de 26 millions d'euros au Titre 2. A terme, les surcoûts OTAN seront de près de 56 millions d'euros par an qui n'avaient pas été anticipés au niveau de la LPM ;

- le doublement des effectifs à Abou Dhabi. La montée en puissance des effectifs de 254 en 2009 à 560 en 2011 s'accompagnera d'une dépense de la masse salariale croissante, passant de 6,7 millions d'euros en 2009 à 19,4 millions d'euros en 2011.

D'autres dépenses ont été subies : le désamiantage -95 millions d'euros- ou encore l'augmentation du coût de l'indemnisation chômage des militaires, plus de 100 millions d'euros depuis 2009.

Le montant de l'indemnisation chômage, qui atteint des records, montre l'impérieuse nécessité de réussir la reconversion des militaires. Nous aurons d'ailleurs prochainement à nous pencher sur un projet de loi relatif à ce sujet.

L'autre difficulté est de parvenir à faire coïncider - dans le temps et selon les types d'emplois - les départs naturels et les besoins en réduction de postes.

De ce point de vue, deux points me préoccupent.

Le premier concerne la fidélisation des militaires du rang. L'âge moyen de départ des militaires du rang de l'armée de terre ne cesse de baisser. Il est aujourd'hui en dessous de 7 ans, c'est-à-dire en dessous de la période minimale qui permettrait de rentabiliser l'effort de recrutement et de formation. Plus que jamais la fidélisation devient un enjeu de la qualité de notre outil de défense. Sans doute les restructurations en cours ont un impact. Il faut bien voir que sur 125 000 terriens en 2010, 95 000 ont été concernés par des mesures de mobilité. Comme l'a dit le CEMAT « ce n'est plus de la mobilité, c'est de la bougeotte ». Mais il y a aussi des causes plus structurelles.

Le second concerne l'impact de la réforme des retraites. La réforme se traduira globalement par un décalage de 2 ans des limites d'âge, une augmentation du taux de cotisation, et un décalage du minimum garanti à 15 ans de service, à 19,5 ans.

Ce dernier point est un sujet de préoccupation pour les armées car cela risque de dissuader les contractuels, qui font des carrières courtes, de renouveler leur contrat après dix ans puisqu'ils devront désormais faire 19,5 ans au lieu de 15 ans pour obtenir une pension mensuelle entre 500 et 600 euros.

L'autre point qui préoccupe les armées est l'incidence de la réforme des retraites sur la déflation des effectifs. Naturellement, le prolongement des carrières va à l'encontre de la réduction du format qui repose en partie sur les départs naturels. Par rapport au schéma initial, la réforme des retraites impose sans doute le renforcement et la pérennisation de la politique d'aide au départ.

Ces tensions ne se cumulent pas avec les difficultés attendues sur les OPEX. En effet, avec 630 millions d'euros pour 2011 contre 570 pour 2010, la dotation allouée aux surcoûts des opérations extérieures progresse. Nous n'en sommes pas à une budgétisation intégrale, mais nous nous en approchons. Je rappelle que pour 2010, les besoins s'élèvent à 867 millions d'euros. Mais, et c'est là la différence avec les années antérieures à 2009, conformément à la loi de programmation militaire, le financement résiduel des OPEX ne reposera pas sur les crédits d'équipement de la Défense, mais sur la réserve de précaution interministérielle.

Les OPEX appartiennent désormais au fonctionnement ordinaire de nos armées. Elles ne sont plus ni imprévisibles, ni ponctuelles. Elles doivent donc être prévues en construction budgétaire dès la loi de finances initiale.

Un dernier mot, mais je ne voudrais pas être trop long, pour évoquer le budget des réserves militaires qui reste très en deçà des montants qui permettraient aux armées d'atteindre les objectifs qu'elles se sont fixés en matière de recrutement.

Dans un contexte de réduction des formats des armées qui est aujourd'hui calculé au plus juste, les réserves jouent un rôle d'appoint de plus en plus important pour absorber les pics d'activité. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en parler en décembre avec le rapport de nos collègues Garriaud-Maylam et Boutant sur l'utilisation des réserves en cas de crise majeure.

Sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption des crédits de la mission Défense.

Je vous remercie.

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