Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission défense programme 146 équipement des forces - examen du rapport pour avis

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, co-rapporteur pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaiterais, comme l'an dernier, ranger mes observations dans deux séries de considérations ; la première aura trait aux caractéristiques financières du projet de loi de finances, la seconde concernera plus spécifiquement les données physiques, c'est-à-dire les programmes d'équipement.

Concernant les données financières, ma première observation est que la programmation budgétaire ne sera pas intégralement respectée.

Le projet de loi de finances pour 2011 est le premier de la programmation triennale 2011-2013. Cette programmation fait apparaître que les ressources de la mission « défense » seront en retrait par rapport à celles fixées par la loi de programmation militaire.

Les crédits budgétaires devraient être inférieurs de 3,63 milliards d'euros aux prévisions de la LPM.

En contrepartie, le Gouvernement estime que les ressources exceptionnelles liées à la vente de l'immobilier de défense et à la mise aux enchères de fréquences satellitaires seront supérieures de 2,37 milliards aux prévisions.

Au total, il devrait manquer 1,25 milliard d'euros sur trois ans pour atteindre les objectifs de dépense de la LPM.

Pour mémoire, la réduction des ressources budgétaires affectera essentiellement les années 2012 et 2013.

Les crédits de la mission défense s'élèveront à 31,19 milliards d'euros en 2011, soit quasiment ce qui était prévu par la LPM (31,23 milliards) ; en revanche, ils ne seront que de 31,69 milliards en 2012 (- 380 millions d'euros/LPM) et de 32,09 milliards en 2013 (- 0,83), en supposant toutefois que les prévisions sur les recettes exceptionnelles s'avèreront exactes.

Les prévisions portant sur les seules ressources budgétaires font apparaître un manque de 500 millions d'euros pour 2011, de 1,34 milliard en 2012 et de 1,79 milliard en 2013.

Au sein des crédits de la mission défense, les crédits de paiement affectés au programme 146 pour l'équipement des forces diminueront de 5,78 % en 2011

Les crédits de paiement, hors fonds de concours, s'établissent à 10,7 milliards d'euros, en diminution de 5,79 % par rapport à 2010 et les autorisations d'engagement s'établissent à 13,243 milliards d'euros en augmentation de 13 %, le tout dans le cadre d'une « mission défense » elle-même en légère augmentation d'une année sur l'autre de 0,78 %.

Au sein du Programme 146, la part des équipements conventionnels (DGA comprise) par rapport à la dissuasion et aux programmes liés à la fonction commandement et maîtrise de l'information passe à 69 % pour les CP (66 % dans le PLF 2010) et descend à 57 % (62 % dans le PLF 2010) pour les AE, ce qui représente respectivement 7,45 et 7,57 Mds d'euros.

Cette réduction des crédits d'équipement va se traduire par le report d'un nombre limité de programmes.

Les économies sur les dépenses d'équipement résultent d'un décalage dans le temps de certaines opérations, sans remise en cause de programmes majeurs, la LPM devant, en tout état de cause, être actualisée en 2012. Ces reports de programmes sont complétés par des mesures financières, notamment de cadencement du versement des acomptes aux fournisseurs. Sont ainsi décalés : la rénovation des Mirage 2000D ; le programme d'avions ravitailleurs multirôle MRTT ; la quatrième étape du programme de surveillance de l'espace aérien et de commandement des opérations aériennes SCCOA ; certains programmes d'armement terrestre (futur blindé de reconnaissance, rénovation Leclerc, lance-roquette unitaire) ; le programme de satellite d'écoute Ceres qui devait entrer en service en 2016.

Au total, on peut dire, d'une part, qu'il est vrai que le budget de la défense a été relativement préservé.

L'application de la norme retenue pour l'ensemble du budget de l'Etat, c'est-à-dire la stabilisation des dépenses en valeur, sans ajustement à l'inflation, aurait conduit à une réduction des crédits du ministère de la défense de 4,8 milliards d'euros sur trois ans, par rapport à la LPM, alors que, dérogeant à cette norme, le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit une progression de 3 % en valeur d'ici 2013 au profit de la défense, ce qui limite la réduction des crédits budgétaires par rapport à la LPM à 3,6 milliards d'euros sur trois ans et que cette réduction s'imputera principalement sur les années 2012 et 2013.

D'autre part, et même si on le comprend, ce sont les équipements militaires qui font l'objet de cette déflation. Il eût été en effet difficile d'accroître encore la déflation des effectifs au-delà de ce qui était prévisible. En outre, la casse est pour ainsi dire limitée, puisque le gouvernement n'a pas décidé d'annuler purement et simplement des programmes, mais d'en reporter quelques uns. C'est un moindre mal, mais il pose la question de la cohérence globale de nos forces.

Ce qui m'amène précisément à ma deuxième série de considérations sur la mise en oeuvre des programmes.

Premièrement, je citerai, pour ce qui est des équipements conventionnels, deux sujets qui donnent des résultats.

Le premier est celui du sauvetage du programme d'avion de transport A400M. Après de longs mois de discussions, l'avenant au programme a été signé entre les Etats contractants et EADS. Cet avenant répartit les 5,2 milliards d'euros de surcoûts entre les Etats qui paieront 3,5 milliards d'euros de plus (dont 1,5 milliard d'euros en aides à l'exportation) et EADS qui a déjà dû provisionner 1,8 milliard d'euros dans ses comptes 2009. La commande totale est passée de 180 avions à 170. La cible de 50 avions pour la France reste inchangée. Evidemment, le coût unitaire de chaque avion, développement compris, est fortement réévalué, en dépit d'un contrat qui était initialement conçu pour éviter ce type de surcoût.

Le second est la mise à l'eau de la FREMM Aquitaine, le 4 mai 2010, qui a mis un terme aux tergiversations de ce programme initialement ciblé sur 17 frégates, mais sous-financé et désormais réduit à 11 unités pour la France. La seconde FREMM, destinée au Maroc est en cale sèche et la construction de la troisième, destinée à la Marine nationale, la « Normandie », a commencé depuis octobre 2009.

Enfin, je citerai la remise sur pied du programme successeur au missile Milan. Certes rien n'est encore décidé. Mais le refus du Milan ER pour les besoins des forces françaises déployées en Afghanistan aurait pu conduire à l'éviction du missilier européen MBDA de ce segment. L'achat de missiles américains Javelin, pour parer à toute rupture capacitaire et pour équiper nos forces en opérations extérieures, a permis à l'industriel de relancer une proposition plus en adéquation avec le besoin exprimé.

Au tout premier rang de mes sujets d'inquiétude, je citerai le report du programme de rénovation des Mirage 2000D. C'est un sujet agaçant. Le Livre blanc prévoyait que les forces aériennes reposeraient sur deux piliers : le Rafale et le Mirage 2000D, qui est un excellent avion et qui pourrait, sous réserve de la rénovation de ses systèmes d'armes, être opérationnel jusqu'en 2024. Le report de cette rénovation, si elle était confirmée l'an prochain, pourrait conduire à une obsolescence de ces appareils en 2014 et à réduire, dans des proportions considérables, le format de l'aviation de combat française. On peut comprendre les engagements pris par le Gouvernement vis-à-vis de Dassault, afin de lui assurer une production minimale de onze avions par an. Mais cet engagement contractuel prévoyait des contrats exports qui n'ont pas eu lieu et de ce fait nous aurons onze Rafale de plus, mais pas de Mirage 2000D. Or si le programme de rénovation est reporté trop longtemps, cela ne vaudra plus la peine de le faire et nous aurons donc quatre-vingt avions qui devront déclasser, ce qui diminuera d'autant l'aviation de combat française, par rapport au format du Livre blanc. Ce serait une perte de capacité considérable.

Je citerai également le report du programme MRRT (Multi-Role Transport and Tanker), destiné à pourvoir au remplacement de la flotte de ravitailleurs en vol actuellement composée de Boeing KC-135, qui va contraindre à trouver des solutions palliatives, toute rupture capacitaire étant de ce point de vue inacceptable, notamment pour les forces aériennes stratégiques.

En outre, je mentionnerai l'absence de décision concernant le drone MALE. Je sais bien que la succession du drone Harfang actuellement déployé en Afghanistan devrait se décider dans les semaines qui viennent. Le choix se fera entre l'acquisition de systèmes supplémentaires de ce drone ou bien l'achat de drones américains de type « Reaper ». Par ailleurs, le choix d'un drone plus lourd devrait également être effectué, soit sur la base du projet Talarion d'EADS, soit sur la base du projet britannique MANTIS, élargi, le cas échéant, à un ou plusieurs partenaires français. Quelle que soit la solution retenue in fine, je pense que nous avons collectivement perdu beaucoup de temps. L'industrie française disposait de toutes les technologies utiles pour être présente sur ce segment. Il serait utile de comprendre les causes de cette situation paradoxale afin d'en tirer les enseignements pour le futur.

Enfin, je mentionnerai le report du programme Scorpion, destiné à assurer la plus grande cohérence des matériels utilisés pour les équipements de l'armée de terre. C'est un programme intelligent. Les reports successifs depuis plusieurs années risquent fort d'engendrer des surcoûts.

En conclusion, je souhaiterais vous faire part de trois observations de portée générale qui dépassent les crédits du programme 146, mais y sont néanmoins étroitement liées. Les deux premières portent sur la base industrielle française et européenne de défense et la troisième sur la construction laborieuse de l'Europe de la défense.

La première est l'insuffisante restructuration de l'industrie navale européenne de défense : la décision prise à la fin de l'année 2009 par les dirigeants du groupe allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) de se rapprocher du groupe émirati d'Abou Dhabi MAR sonne le glas d'un possible EADS naval entre la France et l'Allemagne. Avant cela, le différend entre DNCS et son partenaire Navantia sur les sous-marins Scorpène, désormais porté devant les juridictions arbitrales, avait suspendu une coopération franco-espagnole pourtant prometteuse. Ce secteur dispose pourtant d'atouts solides avec des groupes présents sur tous les segments du marché, une modernisation réalisée à marche forcée au cours des dix dernières années et une recherche en développement de tout premier ordre. En une dizaine d'années, la France a su consentir les sacrifices nécessaires pour reconvertir ses arsenaux et forger, à travers DCNS, un remarquable outil capable de rivaliser avec les meilleures sociétés internationales. Ce dont souffre ce secteur, tout le monde en est conscient, c'est le morcellement des acteurs européens sur des marchés nationaux trop étroits. L'Europe navale militaire compte encore cinq acteurs majeurs et vingt chantiers navals alors que les Etats-Unis n'ont que deux groupes principaux et neuf chantiers de taille importante. Ces deux groupes réalisent ensemble plus de trente milliards de dollars de chiffre d'affaires par an alors que les acteurs européens parviennent à peine à dix milliards. En l'absence de programmes structurants et de tout projet d'alliance l'industrie navale de défense européenne a peu de chances de progresser dans les années à venir. Les acteurs s'observent, dans l'attente de savoir qui sera le premier à jeter l'éponge, et les logiques de court terme l'emportent sur une vision de long terme, dont on peine du reste à envisager les contours. Malgré tout, la concentration de l'industrie navale de défense européenne se fera. La question est de savoir combien de temps cela prendra et lequel survivra.

Ma seconde remarque porte sur l'insuffisante restructuration de l'industrie européenne des blindés : tout le monde en convient, le marché des industriels européens des blindés est trop fragmenté. Chaque Etat européen ayant encouragé ses propres industriels, aucun groupe n'a pu émerger à l'échelle européenne. Cette situation a favorisé le rachat par des groupes américains d'industriels européens, comme ce fut le cas en Suisse ou en Espagne. En France, trois producteurs, dont une société détenue entièrement par l'Etat, se partagent un marché étroit et semblent peu enthousiastes à l'idée d'un regroupement. Pourtant, lorsque les programme de véhicule blindé multirôle (VBMR), le successeur du VAB et EBRC (engin blindé de reconnaissance et de combat), le successeur de l'AMX 10-RC auront été choisis, il semble évident qu'un seul industriel restera en lice, surtout si ce dernier programme se faisait en coopération, totale ou partielle, avec les Britanniques. Je sais que la DGA ne dissuade pas les principaux acteurs de se rapprocher, tout au contraire. Je sais également que, sur les trois acteurs français, deux sont privés et que le rapprochement dépend, d'une part, de la bonne volonté des actionnaires et, d'autre part, des équipes de direction. Mais sans doute, dans le respect des prérogatives de chacun, il serait souhaitable qu'une concertation plus poussée soit menée afin qu'un ou des regroupements s'opèrent, sur une base nationale ou transnationale. Si nos amis allemands ne sont pas intéressés il nous faudra regarder ailleurs, en Italie ou en Angleterre.

Ma troisième et dernière observation porte sur les accords de Londres, venant après la réintégration de la France dans l'OTAN et avant la probable participation de la France à la défense anti-missile balistique de l'OTAN, qui marquent une inflexion notable de la stratégie française et le délitement du lien franco-allemand. La question qui se pose est de savoir si cette stratégie va se traduire, à terme, par la fin du projet européen en matière de défense ou, au contraire, par une renaissance. L'Europe monétaire s'est faite autour de l'Allemagne et de la France. L'Europe de la défense ne pourrait-elle pas se construire autour du Royaume-Uni et de la France ? C'est un pari hasardeux, en la réussite duquel j'ai personnellement un peu de mal à croire.

Au bénéfice de ces réserves et de ces observations, je suggère à la commission, en ma qualité de rapporteur, d'adopter les crédits du programme 146 équipement des forces et, à titre personnel, je m'abstiendrai.

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