Monsieur le président, mes chers collègues, au sein du programme 146, je suis plus particulièrement chargé des deux actions «dissuasion» et «commandement et maîtrise de l'information».
La dissuasion tout d'abord. Les dotations qui lui sont consacrées en 2011 sur l'ensemble du budget de la défense, tous programmes confondus, sont de l'ordre de 3,3 milliards d'euros pour les autorisations d'engagement, soit une baisse de 13 %, et de 3,4 milliards d'euros pour les crédits de paiement, en baisse quant à eux de 3,5 %. Plus de 80 % des crédits relèvent du programme 146, les études-amont, le MCO et les infrastructures figurant sur d'autres programmes.
Cette diminution des dotations traduit l'état d'avancement normal des programmes et les variations des besoins financiers d'une année sur l'autre. Elle n'appelle pas de commentaires particuliers.
Il faut surtout retenir que l'année 2010 marque une étape très importante pour la modernisation de nos capacités nucléaires, avec l'entrée en service, à quelques mois d'intervalle, de l'ASMP/A dans la composante aéroportée et du M51 sur le 4ème et dernier SNLE-NG, le Terrible, dans la composante océanique. La direction des applications militaires du CEA va, pour sa part, réceptionner le calculateur Tera 100, 20 fois plus puissant que le calculateur actuel, dans le cadre du programme simulation. Enfin, deux opérations importantes ont été lancées l'été dernier : l'adaptation d'un de nos trois SNLE-NG en service -le Vigilant- pour qu'il puisse être équipé du M51 en 2013 et le développement de la version dite « M51.2 » du missile balistique, c'est-à-dire celle qui emportera la future tête nucléaire océanique -TNO- conçue à partir du concept de charge « robuste », et dont la fiabilité et la sûreté pourront être validées sans essais.
Nous franchissons donc un jalon très important dans la concrétisation de nos objectifs, à un moment où la question du nucléaire militaire revient au devant de la scène internationale, avec la conférence d'examen du TNP, le nouveau traité START et le débat sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN.
Il me semble que cette séquence internationale conforte plutôt la vision réaliste de la France. La conférence d'examen a abouti à un document consensuel, ce qui n'avait pas été le cas en 2005. Il correspond globalement à notre approche équilibrée entre les trois piliers du traité : la non-prolifération, le désarmement et le développement responsable du nucléaire civil.
Nous voyons aussi, comme l'a toujours souligné la France, qu'il faut s'attacher aux actes et aux réalités, davantage qu'aux discours. On nous a parfois reproché de ne pas nous monter suffisamment enthousiastes sur la vision du président Obama d'un «monde sans armes nucléaires». Nous constatons aujourd'hui, comme nous l'avait très bien expliqué Jean-Pierre Chevènement dans son rapport sur le désarmement :
- que le nouveau traité START prévoit une réduction assez limitée du nombre d'armes déployées par les Etats-Unis et la Russie sur une période de 7 ans, et qu'il ne dit rien sur l'élimination des armes en réserve ou en attente de démantèlement ;
- que la ratification de ce traité par le Sénat américain n'est toujours pas acquise ;
- que plus personne ne semble envisager une ratification, par ce même Sénat, du traité d'interdiction des essais nucléaires, alors qu'il s'agissait d'un engagement fort du président Obama dans son discours de Prague ;
- que la Chine a refusé à New York tout engagement sur un moratoire sur la production de matières fissiles militaires, le Pakistan bloquant, pour sa part, l'ouverture des négociations sur un futur traité à ce sujet à la Conférence du désarmement ;
- qu'aucun progrès n'a été accompli sur les deux crises de prolifération, nord-coréenne et iranienne.
C'est pour cela que nous insistons, avec l'appui des Américains, des Britanniques, d'autres alliés et de M. Rasmussen, pour que le futur concept stratégique de l'OTAN réaffirme que la stratégie de dissuasion devra continuer à jouer un rôle central tant que des armes nucléaires subsisteront. Comme vous le savez, l'Allemagne, appuyée par la Belgique, les Pays-Bas et la Norvège notamment, souhaite, au contraire, un signal dans le sens d'une atténuation du rôle du nucléaire, signal qui ne nous paraît pas en phase avec la réalité de l'environnement international.
Un mot sur l'autre puissance nucléaire d'Europe occidentale.
Dans la Strategic Defence Review publiée le 19 octobre dernier, le Royaume-Uni réaffirme sa doctrine de « dissuasion minimale », très proche de ce que nous appelons la « stricte suffisance ».
En ce qui concerne le format des forces nucléaires britanniques, qui repose sur une composante unique, la composante sous-marine, il faut retenir trois décisions importantes :
- les sous-marins actuels de classe Vanguard seront prolongés ; ce n'est qu'en 2016 que sera décidé si la prochaine génération, dont le premier exemplaire entrera en service en 2028, comptera quatre ou trois SNLE ;
- ces futurs sous-marins seront conçus pour n'emporter que 8 missiles, au lieu de 16 sur les Vanguard ; d'ores et déjà, le nombre de missiles Trident opérationnels sur les Vanguard sera ramené à 8 au maximum ;
- le volume total de l'arsenal nucléaire britannique, qui s'élevait à 225 têtes nucléaires, sera ramené à 180 têtes maximum ; le nombre de têtes nucléaires opérationnelles sera réduit de 160 à 120 et il n'y aura pas plus de 40 têtes nucléaires par SNLE.
Les Britanniques s'orientent donc vers une nouvelle réduction du format de leurs forces nucléaires.
Dans le même temps, vous le savez, la France et le Royaume-Uni ont signé à Londres, le 2 novembre 2010, un important traité relatif à des « installations radiographiques et hydrodynamiques communes ». Dans le préambule du traité, nos deux pays réaffirment leur détermination à maintenir «une capacité nucléaire minimale crédible» et considèrent que leurs forces nucléaires «contribuent à la sécurité de l'Europe dans leur ensemble».
La coopération porte sur l'un des volets du programme simulation, le volet expérimental. On parle souvent du laser mégajoule, dédié à l'étude des phénomènes thermonucléaires ; on connaît moins la machine radiographique Airix, en service depuis 2000 au camp de Moronviliers près de Reims. Elle est, quant à elle, destinée à l'étude des phénomènes non nucléaires du fonctionnement de l'arme, c'est-à-dire le fonctionnement de l'amorce. Cette machine doit être transférée au centre de Valduc, en Côte d'Or. L'installation sera complétée par l'ajout de deux autres machines, ce qui permettra d'avoir une vue plus précise du comportement des matériaux.
C'est sur ce projet que porte la coopération franco-britannique. Baptisée « Epure », cette installation sera commune aux deux pays, mais exploitée séparément. Chaque pays effectuera de manière indépendante ses propres essais et restera détenteur de leurs résultats. La France et le Royaume-Uni vont en revanche partager à parts égales tous les coûts de construction et de fonctionnement à compter de 2015. Nous allons donc pouvoir réduire de moitié l'effort que nous envisagions de consacrer à ce projet. Sur l'ensemble de la durée de vie de l'équipement, l'économie pour la France pourrait atteindre 500 millions d'euros.
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce traité qui sera présenté au Parlement. Outre les incidences financières, qui ne seront pas immédiates, sa dimension politique est évidente. Cette coopération, comme celle qui est prévue par la déclaration de Londres sur des équipements et des technologies pour les sous-marins nucléaires, sont les signes d'un haut degré de confiance entre les deux pays et touchent aux aspects les plus stratégiques de notre politique de défense.
J'en reviens aux aspects plus directement budgétaires avec la seconde action qui relève de mon rapport : l'action «commandement et maîtrise de l'information ».
Première remarque : comme les années précédentes, il est prévu de financer une partie des programmes concernés, à hauteur de 750 millions d'euros, par des ressources extrabudgétaires du compte d'affectation spéciale « fréquences hertziennes ».
En 2009 et en 2010, ce compte n'a encaissé aucune recette. Par conséquent, il a fallu trouver des mesures palliatives en consommant les crédits de reports.
Un point positif pour 2011 : le calendrier de vente des fréquences est établi, avec une échéance en mars 2011 pour Rubis et en juillet pour FELIN. Il reste à voir si le résultat des appels d'offres sera à la hauteur des attentes du ministère de la défense et si les sommes pourront effectivement être versées en 2011, étant donné la possibilité de recours.
Autre élément positif, la consultation des industriels vient enfin d'être lancée pour l'externalisation de l'exploitation du satellite de télécommunications Syracuse III. Cette opération est incluse dans les recettes exceptionnelles prévues en 2011, à hauteur de 400 millions d'euros, mais si elle se réalise, il est probable que ce sera plutôt sur 2012.
En résumé, les perspectives de recettes sur le compte «fréquences hertziennes» sont plus tangibles que ces deux dernières années, mais l'aléa n'est pas totalement levé, avec un risque de report de charges, puisque l'on ne pourra plus faire appel à des crédits de report, aujourd'hui presque entièrement consommés.
Au sujet de Syracuse III, je rappelle que les armées conserveraient environ 90 % des capacités du système, l'opérateur pouvant louer à d'autres clients les 10 % restants. Il s'agit d'inciter les armées à être plus sélectives dans l'usage des liaisons hautement protégées qui devraient être réservées aux communications le justifiant véritablement, et de diminuer le coût d'exploitation du système. Toutefois, plus le temps passe, moins l'opération présentera d'intérêt pour l'opérateur et pour les armées, car on se rapprochera de la fin de vie des satellites, prévue en 2016 pour le premier et 2018 pour le second.
Je précise que les télécommunications par satellites sont mentionnées dans la déclaration de Londres du 2 novembre. La France et le Royaume-Uni vont lancer l'an prochain une étude de concept commune pour les futurs satellites qui entreront en service entre 2018 et 2022. Les Britanniques ont déjà externalisé leurs télécommunications satellitaires avec le système Paradigm, exploité par Astrium.
Je souhaiterais maintenant évoquer de manière plus globale les programmes spatiaux.
D'après les indications qui m'ont été données par le délégué général à l'armement, la programmation triennale n'a pas remis en cause l'enveloppe attribuée à l'espace par la LPM. Il s'agissait, vous le savez, d'une des priorités du Livre blanc.
A l'intérieur de cette enveloppe, les crédits destinés aux satellites d'observation Musis ont été majorés, afin de pouvoir lancer le programme sur une base nationale, sans attendre le cofinancement par des partenaires européens. La commande de 2 satellites doit intervenir d'ici la fin de l'année, avec une mise en service prévue en 2016 pour le premier et 2017 pour le second. La continuité devrait ainsi être garantie avec Helios II. Plusieurs pays européens devraient à terme rejoindre ce programme et apporter une contribution financière.
En revanche, le lancement du programme de satellites de renseignement électromagnétique Ceres est décalé. La mise en orbite, initialement envisagée en 2016, pourrait être reportée jusqu'en 2020. L'écoute spatiale présente un double intérêt : détecter les signaux radars adverses en cas d'opération, intercepter les communications. Nous avons déjà effectué, sur ce plan, des réalisations expérimentales, avec des démonstrateurs. C'est le cas des quatre micro-satellites Essaim, dédiés à l'interception des communications, qui ont été lancés fin 2004 mais dont l'exploitation se termine cette année. Fin 2011 ou début 2012 sera lancé le démonstrateur Elisa, dédié à la détection des signaux radar. Le report du programme Ceres va créer un « trou » entre ces démonstrateurs, qui ont fourni du renseignement intéressant, et une capacité opérationnelle pérenne.
Enfin, toujours dans le domaine spatial, la réalisation d'un satellite d'alerte avancée pour la détection des tirs de missiles balistiques, pourrait être légèrement décalée, avec une mise en service en 2020 au lieu de 2019. Ce satellite bénéficiera des enseignements tirés du démonstrateur spatial Spirale, lancé début 2009, et dont l'exploitation donne, semble-t-il, d'excellents résultats. C'est, par ailleurs, en 2011 que doit être lancé un programme de démonstrateur pour un radar de surveillance très longue portée. Le radar lui-même doit être lancé en 2015 pour une mise en service en 2018.
Comme l'a indiqué le président de Rohan, la semaine dernière, il s'agit d'un programme particulièrement stratégique dans le cadre du débat sur la défense anti-missile.
Je terminerai par les drones.
C'est un domaine dans lequel nous avons déploré à la fois l'insuffisance des moyens et le flou des perspectives.
L'insuffisance des moyens est liée aux retards et déboires de nos programmes. Lorsque nous avons voté la LPM 2003-2008, nous attendions l'entrée en service du système intérimaire en 2003 et la livraison de 12 drones Euromale, réalisés en coopération européenne, en 2009. Comme vous le savez, le système intérimaire Harfang n'est entré en service que fin 2008-début 2009, avec 5 ans de retard. Nous avons trois drones en Afghanistan et un quatrième sur la base de Cognac. Le programme Euromale n'a, quant à lui, jamais vu le jour et a été réorienté en Advanced UAV. L'étude de levée de risque effectuée sur ce projet ne semble pas concluante et l'échéance de mise en service serait en tout état de cause tardive.
Sur les perspectives, je me réjouis de la coopération qui s'engage avec les Britanniques sur les drones MALE. Une évaluation va être lancée en commun en 2011. L'objectif est de disposer à l'horizon 2020 d'un système de drones de haute capacité.
Le DGA nous a indiqué que, pour attendre le système futur, nous avons le choix entre la pérennisation du système Harfang et l'achat sur étagère du Predator B américain, le « Reaper ».
D'après les indications dont je dispose, les performances des deux systèmes ne sont pas comparables. Plus puissant, plus rapide, volant à plus haute altitude, le Reaper possède 36 heures d'autonomie contre 24 pour le Harfang. De conception ancienne, les capteurs optiques du Harfang permettent tout au plus de détecter une activité suspecte, mais pas de l'identifier très précisément, comme peuvent le faire ceux du Reaper. Pour des raisons analogues, le calculateur du Harfang n'autorise guère d'évolution, par exemple de couplage entre capteurs optroniques et électromagnétiques, ce qui n'est pas le cas pour le Reaper. Enfin, l'effet de série bénéficie au Reaper, produit à 200 exemplaires, son coût à l'heure de vol étant bien inférieur à celui du Harfang.
On voit donc bien dans quel sens penche la balance et, sur le plan de l'autonomie stratégique, il n'apparaît pas, par exemple, que les Italiens soient en quoi que ce soit limités par le fait d'être équipés en drones américains.
Des éléments complémentaires sur la possibilité de prolonger le Harfang sont en cours d'examen et la question sera soumise au nouveau ministre de la défense. Pour ma part, j'estime que la priorité est de renforcer rapidement l'équipement des forces sans obérer les ressources financières permettant de nous doter d'une capacité pérenne à l'horizon 2020, si possible en coopération franco-britannique.
En conclusion, je porte une appréciation positive sur les actions qui relèvent de mon rapport :
- la dissuasion, avec un déroulement très satisfaisant des programmes et la coopération franco-britannique qui s'engage ;
- les programmes liés à la fonction connaissance et anticipation, notamment les programmes spatiaux qui, en dépit de quelques glissements, sont globalement maintenus dans la nouvelle programmation financière.
Je réitère mes préoccupations sur les recettes exceptionnelles, tout en constatant que les procédures sont désormais bien enclenchées et que l'on devrait disposer d'éléments plus tangibles, notamment sur les ventes de fréquences, d'ici quelques mois.
Sous le bénéfice de ces observations, j'invite la commission à émettre un avis favorable sur les crédits du programme « équipement des forces » comme sur ceux de l'ensemble de la mission «défense».