Mon rapport pour avis couvre les deux programmes de la mission « défense » qui ne touchent pas directement aux forces armées : l'environnement et la prospective, placés sous la responsabilité du directeur aux affaires stratégiques au sein du programme 144, et le soutien, géré par le secrétaire général pour l'administration au sein du programme 212. Les deux responsables de programmes, M. Miraillet et M. Piotre, sont venus devant la commission exposer dans le détail leur projet de budget. Je me limiterai donc à quelques observations.
Le programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » regroupe deux actions principales : les crédits de recherche du ministère et les services de renseignement dits « de sécurité », à savoir la DGSE et la DPSD. La Direction du renseignement militaire relevant de la responsabilité du chef d'état-major des armées au sein du programme 178.
Globalement, les crédits du programme 144 sont en augmentation et atteindront 1,8 milliard d'euros en 2011. La progression est très légère pour les crédits de paiement, + 0,7 %, et elle est beaucoup plus significative pour les autorisations d'engagement, en hausse de 5 %.
C'est le renseignement qui soutient cette progression des crédits du programme. Il s'agit d'une des principales priorités du Livre blanc, et depuis 2008, les moyens sont en hausse constante.
La DGSE en est la principale bénéficiaire, avec un budget de 550 millions d'euros, hors fonds spéciaux, soit 14 % de plus en autorisations d'engagement et 6 % de plus en crédits de paiement.
Premièrement, ses effectifs vont à nouveau augmenter en 2011, conformément aux engagements pris par le Livre blanc qui prévoit 15 % de personnels en plus sur six ans. L'année 2011 sera celle au cours de laquelle les recrutements supplémentaires seront les plus nombreux, à savoir 165 personnes. Fin 2011, les deux tiers des recrutements supplémentaires prévus par la LPM auront été effectués et les effectifs auront augmenté de 10 % sur trois ans. Ces recrutements concernent exclusivement des personnels de haut niveau : deux tiers d'ingénieurs spécialisés dans le renseignement technique pour les deux tiers, un tiers sur des analystes et des linguistes pour l'exploitation du renseignement. Le nombre des emplois créés ne donne pas la pleine mesure de l'effort financier réalisé. Il s'agit quasi-exclusivement de personnels de catégorie A. En outre, il y a parmi eux beaucoup de contractuels dont les rémunérations sont très supérieures aux grilles de la fonction publique, car ils sont également très recherchés par les entreprises.
Un deuxième facteur d'augmentation des crédits est la poursuite de l'amélioration de la situation statutaire et indiciaire des fonctionnaires de la DGSE. Cela a été fait ou est en cours pour les catégories B et C. Ce sera ensuite le cas pour les catégories A avec la modernisation des statuts et la création d'un corps d'administrateurs. Il s'agit à la fois d'aligner les perspectives de carrière sur la fonction publique d'Etat et de favoriser la mobilité avec cette dernière. L'aspect le plus visible de cette refonte tient à ce que ce corps sera en partie recruté à la sortie de l'ENA, afin de donner un signe de la volonté de décloisonner et de revaloriser le renseignement.
Troisième facteur d'augmentation, les crédits d'équipement. Il s'agit de renforcer les moyens fixes ou déployables d'écoute des télécommunications, afin de s'adapter à la croissance des flux, ainsi que les capacités de déchiffrement, grâce à un centre de calcul en cours de réalisation à la caserne Mortier. Une partie de ces équipements bénéficieront en 2011 de crédits complémentaires d'une cinquantaine de millions d'euros venant du SGDSN ou du ministère de l'intérieur, car les matériels sont utilisés au profit de l'ensemble de la communauté du renseignement, notamment de la DCRI. Il faut aussi prendre en compte les nouveaux besoins d'infrastructure liés à l'augmentation des effectifs. L'aménagement de locaux existants, voire la construction de locaux supplémentaires, seront nécessaires dans les années à venir tant au siège du boulevard Mortier qu'au fort de Noisy.
En résumé, le projet de budget 2011 de la DGSE traduit l'accentuation des moyens humains et techniques prévue par le Livre blanc. Comme j'avais eu l'occasion de le dire les années précédentes, cet effort qui se chiffre en dizaines de millions - ce qui reste modeste par rapport à l'ensemble du budget de la défense - doit surtout être analysé comme un rattrapage nécessaire. Dans le passé, les moyens de la DGSE n'avaient pas suivi les exigences découlant du nouvel environnement de sécurité et des nouvelles technologies de communication.
J'ajoute que la DGSE bénéficie également de moyens qui ne relèvent pas de son budget, comme les satellites de renseignement. Le programme Musis, qui doit remplacer le satellite Helios II, semble préservé. J'ai en revanche quelques inquiétudes sur le décalage du satellite d'écoute Ceres, même si la DRM semble plus concernée que la DGSE. Une capacité d'écoute spatiale, en particulier des communications, me semble vraiment indispensable pour des zones d'intérêt comme le Sahel.
Toujours sur le renseignement, je voudrais dire un mot sur la DPSD, service moins connu que la DGSE et dont on parle peu. La DPSD est en quelque sorte le service de sécurité interne du ministère de la défense. Elle agit également au profit des entreprises liées à la défense, en matière de contre-ingérence et d'intelligence économique.
A l'exact opposé de la DGSE, la DPSD doit perdre 15 % de ses effectifs en six ans, soit environ 200 emplois. Mais cette diminution ne devrait pas affecter la substance du service, puisqu'elle portera essentiellement sur des personnels affectés à des tâches très administratives de gestion des procédures d'habilitation des personnels. Ces procédures vont être entièrement numérisées. Les gains obtenus vont en partie être redéployés pour renforcer le niveau de qualification, en recrutant davantage d'officiers brevetés et de personnels civils de catégorie A. Ainsi, la DPSD n'avait que 15 emplois civils de catégorie A en 2009. Elle en aura 33 en 2011.
L'objectif poursuivi est double : recruter des experts techniques pour les missions liées à l'expertise et au contrôle sur la sécurité des systèmes d'information du ministère ; disposer, en quantité et en qualité, des analystes chargés d'exploiter le renseignement recueilli et de le valoriser au profit de l'ensemble de la communauté du renseignement.
On peut donc constater un effort pour moderniser la DPSD et pour lui donner les moyens de contribuer davantage à la politique du renseignement.
Le second volet du programme 144 concerne les actions de recherche et de technologie de la DGA.
L'essentiel des dotations est constitué des crédits d'études-amont, qui financent les programmes de recherche contractualisés avec l'industrie. Ils augmentent de 5 % pour les autorisations d'engagement, à 708 millions d'euros, mais diminuent de près de 1 % pour les crédits de paiement, à 646 millions d'euros.
Pour simplifier, on constate depuis trois ans un tassement des crédits de paiement du programme 144 destinés aux études amont, autour de 650 millions d'euros par an. Des financements complémentaires permettent de porter la dotation autour de 700 millions d'euros. En 2009 et 2010, il y avait eu 110 millions d'euros supplémentaires sur deux ans avec le plan de relance. En 2011, on attend 50 millions d'euros provenant des ventes de fréquences hertziennes, si celles-ci se réalisent.
Ces 700 millions d'euros annuels correspondent sensiblement à ce qui a été prévu par la LPM. C'est mieux qu'au cours de la LPM précédente. Mais cela risque de ne pas satisfaire les besoins pour deux raisons.
D'abord, il n'y a pratiquement plus de grand programme d'équipement en cours de développement. Dans le budget 2011, les dépenses de développement, qui font travailler les bureaux d'études, sont en baisse de 270 millions d'euros. Dans une période où la charge de travail liée aux développements va baisser, il faudrait pouvoir augmenter l'autre source d'alimentation des bureaux d'études, à savoir les études amont.
Le deuxième problème vient de ce que le budget d'études amont va de plus en plus être absorbé par la nécessité de maintenir les compétences liées à la dissuasion. Nos SNLE et nos missiles sont en service. Les programmes successeurs ne seront pas lancés avant longtemps, mais il faut d'ores et déjà les préparer par de la recherche technologique. En 2011, la dissuasion représentera 25 % de l'enveloppe études amont. La proportion montera sans doute à 30 % dans les années à venir. Le solde disponible se réduit pour les autres domaines, notamment l'aéronautique ou les missiles conventionnels, sans parler de sujets comme les technologies anti-missiles.
Cette situation rend beaucoup plus difficiles les arbitrages entre les différents domaines de recherche qui risquent de devenir vraiment douloureux dans un proche avenir.
Dans ce contexte, et faute d'augmentation globale de l'enveloppe, deux voies sont privilégiées : la recherche duale et la coopération européenne.
S'agissant de la recherche duale, parmi plusieurs initiatives, je citerai le dispositif Rapid, régime d'appui aux PME pour l'innovation duale, qui a démarré mi-2009 avec un financement de 10 millions d'euros. Devant le succès rencontré, le dispositif Rapid a été doté de 30 millions d'euros en 2010 et ce montant sera au minimum maintenu en 2011. Un dispositif de même type doit être lancé au profit des laboratoires de recherche, en liaison avec l'Agence nationale de la recherche.
Quant à la coopération européenne en matière de recherche, c'est un objectif affiché qui ne se traduit pas beaucoup dans les faits. Aujourd'hui, 17 % de notre budget d'études amont correspond à des projets menés en coopération. Nous étions à 19 % il y a deux ans, donc nous avons reculé. Un certain nombre de projets continuent de voir le jour dans le cadre de l'Agence européenne de défense. Nous avons aussi des coopérations bilatérales et la recherche est un des volets de la déclaration franco-britannique du 2 novembre.
Finalement, le développement de la recherche duale ou de la coopération européenne ne peut compenser qu'à la marge les tensions qui s'exercent sur le budget des études amont.
On doit reconnaître que ce budget est préservé en 2011. Mais cela n'enlève rien au fait qu'à terme, nous allons rencontrer des difficultés pour maintenir toutes les compétences technologiques de nos industriels.
J'en viens au programme 212 « soutien de la politique de défense ». Il regroupe les crédits relatifs à l'administration centrale, à la politique immobilière du ministère de la défense, y compris la plupart des opérations d'infrastructure des armées, à l'accompagnement des restructurations, aux musées et services d'archives et à la communication.
Au titre de l'administration générale, le projet de budget intègre les mesures de réorganisation intervenues au titre de la RGPP. C'est le cas de la création des centres ministériels de gestion au 1er trimestre 2010. Ces 7 centres (Saint-Germain-en-Laye, Metz, Lyon, Toulon, Bordeaux, Rennes et Brest) visent à mutualiser les opérations de gestion administrative du personnel civil. Jusqu'alors, le suivi des effectifs, la gestion administrative et le pourvoi des postes étaient partagés entre la direction des ressources humaines du ministère et les armées.
Le projet de budget pour 2011 prévoit d'autre part une nette augmentation des dotations liées aux restructurations. Les crédits de paiement passent de 360 à 490 millions d'euros. Il s'agit notamment de financer les aides au départ ou à la mobilité des personnels civils, qui doublent pratiquement de 2010 à 2011. La progression des dépenses est surtout due à la mise en oeuvre du nouveau plan de stationnement, qui implique des travaux d'aménagement et d'infrastructure. Les besoins financiers correspondants ont été fortement réévalués sur le début de la LPM en raison de l'accélération du calendrier de création des bases de défense, dont l'achèvement est prévu au 1er janvier 2012, et de besoins complémentaires identifiés à l'occasion des premiers redéploiements. Les autorisations d'engagement à ce titre sont de 524 millions d'euros pour 2011, soit 150 millions d'euros de plus que ce qui avait été prévu initialement en LPM.
Enfin, le programme 212 est surtout celui de la politique immobilière.
Un rapport conjoint de notre commission et de la commission des finances vous a été présenté à ce sujet au mois de mai. François Trucy et moi-même avons tout d'abord constaté que l'objectif particulièrement ambitieux fixé par la LPM - plus de 1,9 milliard d'euros de recettes immobilières sur trois ans, de 2009 à 2011 - avait été fortement contrarié.
Sur 2009 et 2010, ces recettes ont atteint, en comptant large, c'est-à-dire en comptabilisant l'avance sur loyers versée par la SNI et le solde en début d'exercice, environ 500 millions d'euros, au lieu de 1,6 milliard d'euros. Trois raisons à cela : l'échec du projet de vente en bloc de l'immobilier parisien à une société de portage qui en serait devenue propriétaire avant même la libération des locaux ; la difficulté à concrétiser le projet de location de longue durée de l'Hôtel de la Marine ; le dispositif de cession à l'euro symbolique, qui concerne de nombreux sites concernés par les restructurations, mais qui est postérieur à l'élaboration de la LPM et n'a pas été pris en compte dans les chiffrages.
Ce déficit en ressources, supérieur à 1 milliard d'euros sur deux ans, a été en partie compensé par des mesures de trésorerie de grande ampleur. Près de 760 millions d'euros auront pu être mobilisés au profit des dépenses immobilières en autorisant la consommation de crédits de report. Cependant, il semble bien qu'au total, le déficit en ressources sur les programmes immobiliers et d'infrastructure soit compris entre 250 et 300 millions d'euros sur les deux premières années de la loi de programmation.
On peut légitimement s'inquiéter des conséquences de ce déficit sur les opérations d'entretien immobilier, les programmes de mises aux normes environnementales ou le cadre de vie et de travail des personnels. Il va peser sur l'environnement des personnels et accentuer un sentiment de « paupérisation », y compris sur certaines infrastructures opérationnelles comme les pistes aériennes. C'est une inquiétude qui a été clairement exprimée par le chef d'état-major des armées et les chefs d'état-major d'armée.
J'indique simplement que j'avais émis de vives réserves, deux années de suite, en insistant sur la fragilité du montage censé procurer un volume massif de recettes immobilières.
Pour 2011, les prévisions de recettes immobilières sont beaucoup plus raisonnables et accessibles : 158 millions d'euros. Pour 2012, 134 millions d'euros seulement sont anticipés. En 2011 et 2012, la politique immobilière reposera essentiellement sur des crédits budgétaires, ce qui élimine les aléas, même si ces crédits ne sont probablement pas suffisants pour éviter les retards dans les opérations.
Ce n'est qu'en 2013 que sont à nouveau prévues des rentrées importantes, supérieures à 670 millions d'euros, qui incorporent en partie la vente des immeubles du 7ème arrondissement, c'est-à-dire l'îlot Saint-Germain et ses annexes. Je pense pour ma part que les aléas pesant sur la vente de l'immeuble principal du ministère sont loin d'être levés. Cette emprise possède à l'évidence un caractère atypique, du fait de sa superficie et du type de bâtiments existants, ce qui pourrait la rendre difficile à céder.
De même, nous ne voyons pas clairement ce qui pourra advenir de l'Hôtel de la Marine, où les objectifs de valorisation financière et de valorisation culturelle seront difficiles à concilier.
Enfin, je termine en rappelant que le contrat de réalisation du nouveau ministère à Balard sera conclu en avril 2011. Une dotation de plus de 900 millions d'euros d'autorisations d'engagement est inscrite au budget au titre de ce contrat de partenariat de 30 ans, qui inclura non seulement la construction, mais aussi l'entretien et la maintenance, les services tels que la restauration, le gardiennage, la gestion de l'hébergement des militaires sur le site ou la maintenance des réseaux informatiques. Nous avions largement présenté ce projet dans le rapport conjoint avec la commission des finances. Le nouveau siège s'accompagnera d'une diminution de l'administration centrale et des états-majors, du fait d'économies sur les soutiens, mais aussi de délocalisations en province ou en région parisienne. Par rapport au coût de fonctionnement actuel, on escompte une économie substantielle, mais l'analyse comparative ne pourra véritablement être faite qu'une fois les offres connues.
En conclusion, je pourrais résumer mes appréciations sur les deux programmes dont j'ai la charge comme suit. Le budget 2011 traduit le renforcement de la fonction renseignement et je m'en félicite. Les dotations destinées à la recherche sont préservées, mais ce niveau, peu ou prou stabilisé depuis trois ans risque fort de se révéler très vite insuffisant pour maintenir toutes nos compétences technologiques et en développer de nouvelles, dans un contexte de diminution du chiffre d'affaires des bureaux d'études sur les développements. Enfin, les craintes que j'avais émises depuis deux ans sur les recettes immobilières se sont avérées fondées. Le « matelas » des crédits de report, qui a permis d'amortir le choc de la non-réalisation des recettes, sans que l'on évite cependant un décalage des financements, est aujourd'hui épuisé. Les armées ont exprimé leur inquiétude sur le déroulement des programmes d'infrastructure, notamment celles qui forment le cadre de vie et de travail des personnels.
Je m'en remets donc à la sagesse de la commission sur l'adoption des crédits relevant de mon rapport.