Depuis la loi Ferry du 28 mars 1882, l'obligation scolaire a été progressivement étendue en aval, de 13 ans à 16 ans. Mais, en amont, malgré le développement des écoles maternelles à l'initiative de Pauline Kergomard, le début de l'instruction obligatoire est resté fixé à six ans. La proposition de loi n° 447 de Mme Cartron et du groupe socialiste renverse la logique afin de préserver et de conforter l'acquis social majeur que constituent les écoles maternelles. La même conviction m'animait lorsque je déposais avec le groupe CRC une autre proposition de loi visant à garantir le droit à la scolarisation dès deux ans. Nos propositions étaient d'ailleurs rejointes par le groupe RDSE dans un autre texte. La conjonction des dépôts de trois propositions de loi, distinctes mais convergentes, témoigne de l'importance que nous attachons tous aux premiers pas des élèves à l'école.
Au terme des auditions et des travaux que j'ai menés, j'ai acquis la conviction que l'école maternelle peut et doit jouer un rôle clef dans la réduction des inégalités et dans la lutte contre l'échec scolaire. Ce point fait consensus parmi les parents, les enseignants et les chercheurs, ainsi qu'au ministère de l'éducation nationale. Globalement, à condition de s'assurer de la qualité de l'accueil, une scolarité maternelle longue a des effets protecteurs à long terme sur la suite du cursus, réduisant en particulier significativement les redoublements à l'école élémentaire. L'école maternelle constitue donc un instrument de sécurisation des parcours scolaires. C'est un chaînon essentiel du système éducatif mais un chaînon fragile et menacé.
En effet, malgré l'importance fondamentale de l'école maternelle pour le développement des enfants et la facilitation de leur parcours scolaire, le ministère de l'éducation nationale a fait prévaloir une politique de réduction des coûts qui s'est traduite par un recul net du taux de scolarisation. Nous sommes statistiquement revenus trente ans en arrière, à la situation qui prévalait avant les années 80. Les suppressions de postes touchent d'abord, en effet, les missions facultatives de l'éducation nationale, quelle que soit par ailleurs leur importance sociale. La préscolarisation dès deux ans est la plus affectée. Tombée à 13,6 % nationalement, elle frappe durement des zones pourtant prioritaires comme le département de Seine-Saint-Denis par exemple. Les réductions de postes dans le premier degré n'ont pas épargné la prise en charge des trois à cinq ans. Si le taux de scolarisation demeure de 100 %, c'est que l'on a augmenté les effectifs par classe et ainsi dégradé les conditions d'accueil. Il n'est pas dit qu'à ce rythme, les écoles maternelles ne devront pas écarter dans les années à venir de plus en plus d'enfants, faute de places disponibles.
À cette pression budgétaire, s'ajoutent les effets de la réforme de la formation des enseignants. De l'aveu général, la mastérisation est inadaptée, parce qu'elle affaiblit la professionnalisation des futurs enseignants et complique leur entrée dans le métier. Les quatre rapports successifs Filâtre, Marois, Grosperrin et Jolion convergent sur ce point. Si l'ensemble du système éducatif est concerné, c'est bien à l'école maternelle et auprès des très jeunes enfants que les dommages risquent d'être les plus importants.
Enfin, il ne faut pas négliger l'impact des attaques symboliques qui ont tendu depuis 2007 à dévaloriser l'action des enseignants et à promouvoir des alternatives privées payantes, qui n'ont jamais démontré leur efficacité. Cette remise en cause a été durement ressentie par le corps enseignant. Elle participe à la dégradation de la condition enseignante, analysée dès 2008 par le rapport Pochard. L'actualité récente en témoigne tragiquement.
Face à ces attaques, j'estime que l'avancée à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire constitue une mesure de sauvegarde essentielle. C'est la première pierre du chantier de la refondation de l'école maternelle, aujourd'hui fragilisée dans ses moyens et dans sa fonction. Il faudra aller encore au-delà et engager une réflexion sur la mission et la fonction de l'école maternelle, qui permettra ensuite un travail sur les contenus et une remise à plat de la formation des enseignants. Parents et professeurs nous attendent là.
Sur le plan symbolique, l'intégration de l'école maternelle dans la scolarité obligatoire permettra la reconnaissance définitive de son statut d'école à part entière. Elle contribuera également à l'affirmation de son rôle fondamental à la racine du système éducatif. Elle est le lieu privilégié où progressivement se développe l'enfant et se construit l'élève dans le respect de sa personne et de ses besoins.
En outre, sur le plan juridique, la proposition de loi impose à l'État une obligation de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à l'accueil et à l'instruction de l'ensemble des enfants de trois à cinq ans. Le passage d'une faculté, même si elle était exercée dans les faits, à une obligation constitue un verrou utile. Il contribuera à bloquer toute velléité de réduction de la scolarisation en maternelle à partir de trois ans. Il aidera à freiner la lente érosion des moyens matériels et humains consacrés à l'école maternelle.
Après examen, le texte ne présente aucune difficulté de conformité à la Constitution ou aux conventions internationales ratifiées par la France, en particulier à la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où seule l'instruction obligatoire est visée. La proposition de loi n'impose pas, malgré son titre équivoque, la scolarisation obligatoire. Elle ne remet donc aucunement en cause la liberté de l'instruction et le libre choix des familles. En outre, budgétairement, l'impact sur l'État et les communes devrait rester marginal puisque d'ores-et-déjà la totalité des enfants sont accueillis à partir de trois ans.
En revanche, j'attire votre attention sur la question de l'extension de l'enseignement privé en maternelle. En effet, le droit existant ne reconnaissant pas l'école maternelle comme élément de l'obligation scolaire, il n'impose pas aux communes de prise en charge financière du fonctionnement des classes maternelles privées. C'est une différence fondamentale avec l'école élémentaire. La jurisprudence du Conseil d'État distingue un seul cas d'obligation, celui où le maire a approuvé le contrat d'association de la classe maternelle privée. C'est pourquoi l'enseignement privé est peu présent au niveau de l'école maternelle. Dès lors que l'école maternelle sera intégrée à la scolarité obligatoire, les communes seront tenues de participer financièrement comme elles le font actuellement pour les classes élémentaires privées sous contrat. Une extension de la part de l'enseignement privé en maternelle est donc probable, surtout dans les régions comme le Nord ou la Bretagne, où il est traditionnellement bien implanté.
Cependant, je ne crois pas à un flux massif vers l'enseignement privé. En effet, l'interdiction du financement de l'investissement par les collectivités demeure en place. Sans l'aide des collectivités, interdite par le législateur, la construction et l'aménagement de locaux représentera une charge financière probablement trop lourde pour le privé. En d'autres termes, le financement de l'investissement constituera un frein très important au développement d'écoles maternelles privées.
Il convient, cependant, de mettre en garde contre deux effets pervers potentiels de l'extension de la période d'instruction obligatoire. Premièrement, il faut empêcher que la consolidation de la scolarisation à partir de trois ans ne serve de prétexte à une accélération du reflux de la préscolarisation à deux ans. Deuxièmement, il faut stopper la dérive à l'oeuvre de l'école maternelle vers l'école élémentaire, à la fois dans les missions, l'organisation et les apprentissages. Cette tentation de la « primarisation » de l'école maternelle existe déjà, notamment en grande section. L'intégration de l'école maternelle dans la scolarité obligatoire ne devra à aucun prix renforcer ce mouvement. Ce serait gommer sa spécificité et empêcher son adaptation fine aux besoins d'enfants en pleine transition cognitive et psychoaffective.
Pour consolider et préciser le texte de la proposition de loi, je vous proposerai d'adopter un certain nombre d'amendements. Ils viseront à :
- garantir l'homogénéité et la cohérence de l'ensemble des dispositions du code de l'éducation mentionnant l'instruction obligatoire ;
- tirer les conséquences du texte en matière de préscolarisation, ramenée de facto au seul accueil des enfants de deux ans ;
- maintenir l'école maternelle hors du champ de contrôle de l'assiduité scolaire, afin de préserver une certaine souplesse dans l'organisation de la journée pour les enfants de trois ans et surtout empêcher l'activation du mécanisme de suspension des allocations familiales prévu par la loi Ciotti du 28 septembre 2010 ;
- exiger une formation initiale et continue des personnels enseignants qui reconnaisse la technicité particulière de leur tâche et qui tienne compte des spécificités des enfants accueillis à l'école maternelle.