La commission examine le rapport de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et élabore le texte sur la proposition de loi n° 447 (2010-2011) de Mme François Cartron, visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.
Depuis la loi Ferry du 28 mars 1882, l'obligation scolaire a été progressivement étendue en aval, de 13 ans à 16 ans. Mais, en amont, malgré le développement des écoles maternelles à l'initiative de Pauline Kergomard, le début de l'instruction obligatoire est resté fixé à six ans. La proposition de loi n° 447 de Mme Cartron et du groupe socialiste renverse la logique afin de préserver et de conforter l'acquis social majeur que constituent les écoles maternelles. La même conviction m'animait lorsque je déposais avec le groupe CRC une autre proposition de loi visant à garantir le droit à la scolarisation dès deux ans. Nos propositions étaient d'ailleurs rejointes par le groupe RDSE dans un autre texte. La conjonction des dépôts de trois propositions de loi, distinctes mais convergentes, témoigne de l'importance que nous attachons tous aux premiers pas des élèves à l'école.
Au terme des auditions et des travaux que j'ai menés, j'ai acquis la conviction que l'école maternelle peut et doit jouer un rôle clef dans la réduction des inégalités et dans la lutte contre l'échec scolaire. Ce point fait consensus parmi les parents, les enseignants et les chercheurs, ainsi qu'au ministère de l'éducation nationale. Globalement, à condition de s'assurer de la qualité de l'accueil, une scolarité maternelle longue a des effets protecteurs à long terme sur la suite du cursus, réduisant en particulier significativement les redoublements à l'école élémentaire. L'école maternelle constitue donc un instrument de sécurisation des parcours scolaires. C'est un chaînon essentiel du système éducatif mais un chaînon fragile et menacé.
En effet, malgré l'importance fondamentale de l'école maternelle pour le développement des enfants et la facilitation de leur parcours scolaire, le ministère de l'éducation nationale a fait prévaloir une politique de réduction des coûts qui s'est traduite par un recul net du taux de scolarisation. Nous sommes statistiquement revenus trente ans en arrière, à la situation qui prévalait avant les années 80. Les suppressions de postes touchent d'abord, en effet, les missions facultatives de l'éducation nationale, quelle que soit par ailleurs leur importance sociale. La préscolarisation dès deux ans est la plus affectée. Tombée à 13,6 % nationalement, elle frappe durement des zones pourtant prioritaires comme le département de Seine-Saint-Denis par exemple. Les réductions de postes dans le premier degré n'ont pas épargné la prise en charge des trois à cinq ans. Si le taux de scolarisation demeure de 100 %, c'est que l'on a augmenté les effectifs par classe et ainsi dégradé les conditions d'accueil. Il n'est pas dit qu'à ce rythme, les écoles maternelles ne devront pas écarter dans les années à venir de plus en plus d'enfants, faute de places disponibles.
À cette pression budgétaire, s'ajoutent les effets de la réforme de la formation des enseignants. De l'aveu général, la mastérisation est inadaptée, parce qu'elle affaiblit la professionnalisation des futurs enseignants et complique leur entrée dans le métier. Les quatre rapports successifs Filâtre, Marois, Grosperrin et Jolion convergent sur ce point. Si l'ensemble du système éducatif est concerné, c'est bien à l'école maternelle et auprès des très jeunes enfants que les dommages risquent d'être les plus importants.
Enfin, il ne faut pas négliger l'impact des attaques symboliques qui ont tendu depuis 2007 à dévaloriser l'action des enseignants et à promouvoir des alternatives privées payantes, qui n'ont jamais démontré leur efficacité. Cette remise en cause a été durement ressentie par le corps enseignant. Elle participe à la dégradation de la condition enseignante, analysée dès 2008 par le rapport Pochard. L'actualité récente en témoigne tragiquement.
Face à ces attaques, j'estime que l'avancée à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire constitue une mesure de sauvegarde essentielle. C'est la première pierre du chantier de la refondation de l'école maternelle, aujourd'hui fragilisée dans ses moyens et dans sa fonction. Il faudra aller encore au-delà et engager une réflexion sur la mission et la fonction de l'école maternelle, qui permettra ensuite un travail sur les contenus et une remise à plat de la formation des enseignants. Parents et professeurs nous attendent là.
Sur le plan symbolique, l'intégration de l'école maternelle dans la scolarité obligatoire permettra la reconnaissance définitive de son statut d'école à part entière. Elle contribuera également à l'affirmation de son rôle fondamental à la racine du système éducatif. Elle est le lieu privilégié où progressivement se développe l'enfant et se construit l'élève dans le respect de sa personne et de ses besoins.
En outre, sur le plan juridique, la proposition de loi impose à l'État une obligation de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à l'accueil et à l'instruction de l'ensemble des enfants de trois à cinq ans. Le passage d'une faculté, même si elle était exercée dans les faits, à une obligation constitue un verrou utile. Il contribuera à bloquer toute velléité de réduction de la scolarisation en maternelle à partir de trois ans. Il aidera à freiner la lente érosion des moyens matériels et humains consacrés à l'école maternelle.
Après examen, le texte ne présente aucune difficulté de conformité à la Constitution ou aux conventions internationales ratifiées par la France, en particulier à la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où seule l'instruction obligatoire est visée. La proposition de loi n'impose pas, malgré son titre équivoque, la scolarisation obligatoire. Elle ne remet donc aucunement en cause la liberté de l'instruction et le libre choix des familles. En outre, budgétairement, l'impact sur l'État et les communes devrait rester marginal puisque d'ores-et-déjà la totalité des enfants sont accueillis à partir de trois ans.
En revanche, j'attire votre attention sur la question de l'extension de l'enseignement privé en maternelle. En effet, le droit existant ne reconnaissant pas l'école maternelle comme élément de l'obligation scolaire, il n'impose pas aux communes de prise en charge financière du fonctionnement des classes maternelles privées. C'est une différence fondamentale avec l'école élémentaire. La jurisprudence du Conseil d'État distingue un seul cas d'obligation, celui où le maire a approuvé le contrat d'association de la classe maternelle privée. C'est pourquoi l'enseignement privé est peu présent au niveau de l'école maternelle. Dès lors que l'école maternelle sera intégrée à la scolarité obligatoire, les communes seront tenues de participer financièrement comme elles le font actuellement pour les classes élémentaires privées sous contrat. Une extension de la part de l'enseignement privé en maternelle est donc probable, surtout dans les régions comme le Nord ou la Bretagne, où il est traditionnellement bien implanté.
Cependant, je ne crois pas à un flux massif vers l'enseignement privé. En effet, l'interdiction du financement de l'investissement par les collectivités demeure en place. Sans l'aide des collectivités, interdite par le législateur, la construction et l'aménagement de locaux représentera une charge financière probablement trop lourde pour le privé. En d'autres termes, le financement de l'investissement constituera un frein très important au développement d'écoles maternelles privées.
Il convient, cependant, de mettre en garde contre deux effets pervers potentiels de l'extension de la période d'instruction obligatoire. Premièrement, il faut empêcher que la consolidation de la scolarisation à partir de trois ans ne serve de prétexte à une accélération du reflux de la préscolarisation à deux ans. Deuxièmement, il faut stopper la dérive à l'oeuvre de l'école maternelle vers l'école élémentaire, à la fois dans les missions, l'organisation et les apprentissages. Cette tentation de la « primarisation » de l'école maternelle existe déjà, notamment en grande section. L'intégration de l'école maternelle dans la scolarité obligatoire ne devra à aucun prix renforcer ce mouvement. Ce serait gommer sa spécificité et empêcher son adaptation fine aux besoins d'enfants en pleine transition cognitive et psychoaffective.
Pour consolider et préciser le texte de la proposition de loi, je vous proposerai d'adopter un certain nombre d'amendements. Ils viseront à :
- garantir l'homogénéité et la cohérence de l'ensemble des dispositions du code de l'éducation mentionnant l'instruction obligatoire ;
- tirer les conséquences du texte en matière de préscolarisation, ramenée de facto au seul accueil des enfants de deux ans ;
- maintenir l'école maternelle hors du champ de contrôle de l'assiduité scolaire, afin de préserver une certaine souplesse dans l'organisation de la journée pour les enfants de trois ans et surtout empêcher l'activation du mécanisme de suspension des allocations familiales prévu par la loi Ciotti du 28 septembre 2010 ;
- exiger une formation initiale et continue des personnels enseignants qui reconnaisse la technicité particulière de leur tâche et qui tienne compte des spécificités des enfants accueillis à l'école maternelle.
Je donne la parole à l'auteure de la proposition de loi, qui est également rapporteure du budget de l'enseignement scolaire.
L'exposé de Mme Gonthier-Maurin reflète bien l'esprit de la proposition de loi. J'ai voulu mettre l'accent sur le rôle fondamental de l'école maternelle dans le parcours scolaire et éducatif. Un texte législatif est nécessaire pour le mettre en valeur et le sanctuariser. Au cours de sa dernière audition devant notre commission, le ministre de l'éducation nationale a affirmé qu'en période de crise, comme celle que nous connaissons, nous avions un devoir d'ambition, une exigence d'éducation. Cette exigence doit commencer dès l'école maternelle. 130 ans après les lois Ferry, il est temps de mettre le droit en adéquation avec les faits, alors que notre société s'est considérablement transformée. Cela ne veut pas dire que nous allons faire de cette école maternelle une petite école primaire. Quelle école maternelle voulons-nous ? Comment peut-elle jouer ce rôle essentiel pour l'éveil, la formation, le développement des aptitudes des jeunes ? Ce pourrait être l'école du sensible et l'école du réel. Il faut que les enfants, en particulier de milieux défavorisés socialement ou culturellement, puissent avoir le même accès à ce monde du sensible, de l'émotion, de la rencontre avec le langage et avec les autres. Mais il est aussi nécessaire qu'ils découvrent ce monde du réel, car aujourd'hui les enfants de moins de trois ans subissent au moins trois quarts d'heure de télévision avant de partir à l'école. Il y a une distorsion entre le monde réel et le monde des images, qui peut être très préjudiciable. L'école maternelle est ce lieu qui permet à tous les enfants de retrouver le réel et le sensible et donc d'appréhender leur environnement. Dans la réalité des faits, 99 % des enfants sont scolarisés à trois ans. Autant en faire une obligation légale. Les parents adhèrent massivement à l'ambition de l'école maternelle et ont, pour certains, une demande dès deux ans et demi. Nous devons donner à l'école maternelle les moyens de fonctionner, redéfinir son rôle et nous interroger sur une formation des maîtres adaptée. Il y a un tel besoin d'écoles aujourd'hui, que des classes maternelles privées hors contrat se développent. Elles sont payantes. La liberté de choix des parents, aujourd'hui, c'est surtout la liberté de payer ! Il n'est pas normal que seuls ceux qui en ont les moyens, puissent faire accueillir leurs enfants alors que les enfants des familles modestes devront rester à la maison dans un univers culturel plus ou moins stimulant. L'école maternelle doit permettre à tous les enfants d'entrer progressivement dans les apprentissages et faciliter leur parcours scolaire. Cette proposition de loi est une manière d'affirmer le rôle prédominant de l'école maternelle dans le parcours des enfants de trois à seize ans.
Ma région scolarise depuis longtemps les très jeunes enfants. 60 % des deux-trois ans étaient scolarisés jusqu'à 2007. Depuis, la réduction des postes a fait chuter ce pourcentage à 20 %. C'est un déchirement douloureux. Il y a des traitements inégalitaires entre communes et entre écoles d'une même commune. Or lorsque certaines écoles pouvaient accueillir des élèves de communes surchargées, elles n'en avaient pas le droit, et nous avons fait sauter ce verrou. De nombreuses manifestations se sont déroulées dans notre ville et d'autres communes. J'aimerais attirer l'attention sur l'âge réel d'entrée à l'école. Celui qui a deux ans en janvier, a déjà dépassé les deux ans et demi en septembre. Ce n'est plus le même enfant et son accueil à l'école maternelle doit en tenir compte. Au-delà de la proposition de loi, il me semble impératif d'inscrire dans le budget les postes nécessaires pour accueillir chacun et faire vivre convenablement nos écoles maternelles. Les résultats brillants des élèves bretons, que tout le monde reconnaît, viennent aussi de cette tradition de scolarisation précoce. L'école maternelle a un rôle fondamental dans la réduction de l'échec scolaire. Dans le Morbihan, il y a presque autant d'écoles privées que d'écoles publiques, mais elles accueillent les enfants dans les mêmes conditions grâce à des contrats d'association. Les communes versent de 450 à 850 € par enfant en maternelle. Je suis favorable à ce texte, mais il faut se donner les moyens d'accueillir aussi les enfants qui n'ont pas trois ans. Je voudrais évoquer enfin le dispositif du multi-accueil : certains parents laissent leurs enfants en multi-accueil, et pendant ce temps l'accès est bloqué pour les nouveaux-nés.
Je comprends les préoccupations de Mme Cartron mais la notion d'obligation me dérange, compte tenu des différences de rythme et de maturité des enfants. A trois ans, ce sont encore des bébés. Certains enfants ne sont pas du tout mûrs pour affronter la vie au sein de grands groupes. Je pense aussi aux maires ruraux. Comment mettre en place l'obligation de scolarisation à trois ans dans une classe unique ? Les élus vont-ils devoir embaucher une, deux, plusieurs Atsem, alors que leurs finances sont déjà plus que serrées ? Va-t-on leur demander de faire une fois de plus un effort supplémentaire ? Il faudra beaucoup de personnel pour remplir cette obligation, au vu du temps consacré à la propreté de l'enfant à trois ans. Ce texte risque de provoquer la suppression de ces classes uniques qui ont pourtant d'excellents résultats (statistiquement prouvés) et qui évitent aux enfants de faire des heures de transport. D'autre part, je n'aimerais pas qu'on confonde l'école avec une garderie. Les enseignants méritent bien mieux que cela.
La proposition de loi aborde des questions de fond qui ne peuvent pas être traitées aussi rapidement. On ne peut pas régler ces vraies questions par une pirouette. Sur le fond, il doit y avoir discussion. Une discussion large qui prendra en compte l'ensemble des aspects de l'école maternelle ; sur la forme, la proposition de loi relève de l'affichage politique.
Sachez que dans cette commission, nous échangeons sur le fond et que les accusations politiciennes peuvent être gardées pour la séance publique.
L'école maternelle est un point fort de notre système éducatif et je veux rendre hommage aux enseignants qui font un travail remarquable. Instaurer une obligation de scolarité, en revanche, n'est pas une bonne chose. Cela reviendrait à supprimer la flexibilité actuelle, alors que les enfants se développent à des rythmes différents. Je pense surtout à la propreté ou au sommeil. Peut-on vraiment imposer des journées complètes uniformément à tous les enfants de trois ans ? Le seul point sur lequel je suis d'accord, c'est la formation des enseignants. Les très jeunes enfants constituent un public totalement différent. Il faut réfléchir là-dessus.
Je me range du côté de Mme Mélot. Notre école maternelle est une réussite et il faut s'en féliciter. La proposition de loi passe complètement à côté des parents qui ont un rôle essentiel à jouer. Ils ont le droit de choisir de mettre leur enfant à l'école maternelle ou dans une autre structure d'accueil ou encore de le garder à la maison. Une scolarisation précoce n'est pas du tout une garantie de succès pour le système éducatif. Regardons l'exemple de la Finlande où les enfants sont scolarisés à six-sept ans et qui connaît pourtant d'excellents résultats aux tests PISA. En France, on a reculé l'âge final de la scolarité pour qu'on soit plus longtemps scolarisé mais nos résultats se sont dégradés. Pour les deux-trois ans, il faut trouver des structures d'accueil spécifiques et diversifiées. Cela peut être à l'éducation nationale, cela peut être dans les jardins d'éveil et cela peut être la famille aussi.
Quant à la formation des enseignants, je ne crois pas que l'obtention d'un Master les aide auprès de très jeunes enfants. Je me rappelle le temps des écoles normales d'où sont sortis ces hussards noirs de la République qui mettaient tout leur coeur dans la classe. Ils avaient une passion et ils recevaient une récompense : la réussite de leurs élèves. L'obligation scolaire ne créera pas un meilleur accueil et une meilleure prise en charge des jeunes enfants.
La scolarité obligatoire à trois ans est un fait réel, présent sur la quasi-totalité de notre territoire. Ne haussons pas le ton, car il s'agit de mettre le droit en conformité avec la réalité. Mais je vois bien que nous avons un véritable débat droite-gauche ! (Vives protestations). On peut se lancer des invectives (Bruits de fond) - je peux développer ?
M. Assouline, les mots magiques de « droite-gauche » ont soulevé un peu d'émoi, maintenant continuez votre propos calmement.
On pourrait être rassemblés sur quelque chose de simple aujourd'hui : la scolarité à trois ans est pratiquée, donc elle correspond à une demande des parents et à une capacité de la République à répondre à cette demande. Donc l'inscrire dans la loi pourrait paraître évident : si ce n'est pas le cas, c'est que derrière il y a de l'idéologie.
Sur la question de l'obligation qui irait contre la liberté : c'est un débat récurrent. Mais si on va au bout de ce que vous dites, pourquoi la scolarité serait-elle obligatoire à quel âge que ce soit ? Si nous avons rendu la scolarité obligatoire à six ans - et à l'époque c'était déjà un grand bond - c'est parce que nous voulons qu'il y ait un moment où, dans un creuset commun, se construise une citoyenneté commune, quelles que soient les origines sociales de chacun. Aujourd'hui, dans les faits, c'est à trois ans.
Pourquoi trois ans ? Bien sûr, tous les enfants sont différents. Il y a des bébés à dix ans, il y en a qui ne sortent jamais de l'adolescence, il y en a qui sont vieux très vite... Ce n'est pas le problème. Le problème - et ce sera bientôt l'objet d'un débat de fond - c'est de réformer notre système éducatif qui ne fonctionne plus. Toutes les études nous disent, non pas que génétiquement on peut savoir à trois ans qui sera délinquant, mais bien que le taux de socialisation collective détermine beaucoup de la capacité à s'approprier le lien social et les apprentissages. L'effort doit donc être énorme sur cette tranche d'âge. L'obligation de scolarité ne signifie pas être présent 8 heures par jour : l'autonomie pédagogique doit permettre de s'adapter à trois ans. L'apprentissage à ce moment-là n'est pas le même qu'à quatre, cinq ou six ans, et il ne s'agit pas d'un moule collectif.
Un mot encore : dans les départements et territoires d'outre-mer, le problème c'est déjà de pouvoir appliquer l'obligation à six ans. Quand on a placé l'obligation à six ans, on s'est mis au diapason presque partout ; si on la place à trois ans, l'effort qui en résultera permettra non seulement de scolariser tout le monde à six ans dans tous les territoires, mais aussi de descendre progressivement à trois ans partout.
C'est vrai que l'on affirme tout et son contraire selon ce qui nous arrange : que tout se joue avant six ans, qu'à trois ans les enfants sont encore des bébés - mais je vous rappelle qu'un enfant n'est pris à l'école maternelle que s'il est propre. Je vous rappelle que certains de ces bébés sont chez eux et regardent la télévision ; si on les considère comme des bébés, autant s'en occuper comme tels, en jouant avec eux etc.
J'ai fait l'école normale aux Batignolles, et j'ai appris et vu en tant que directrice d'école maternelle, qu'un enfant qui rentre en école maternelle doit prendre l'engagement de venir à l'école. Il a obligation de venir. Ça change l'image qu'on a d'une garderie : s'il y a une petite dévalorisation de l'école maternelle, c'est parce que justement, dans l'esprit des parents, elle n'est pas obligatoire. Si elle devient obligatoire, il y aura un respect, et peut-être une formation spécifique des enseignants. Les parents qui font le choix de ne pas mettre leurs enfants à l'école le font aussi ensuite au CP et en primaire : ce peut être pour des raisons religieuses, des raisons d'argent, ou autres. On a le droit de ne pas scolariser son enfant : peut-être qu'en maternelle aussi certains parents feront cette démarche.
Mais la maternelle a un rôle très important pour remettre l'enfant dans le monde réel et lui apprendre un certain vocabulaire, une syntaxe et une grammaire, que certains n'auront pas la chance d'avoir chez eux. Donc je suis pour l'école obligatoire à partir de trois ans. Je sais qu'il y a eu des propositions de loi pour une possibilité d'école à deux ans, non obligatoire. Je crois qu'on se retrouve tous sur les trois ans.
Par rapport à la classe unique, je n'ai pas compris en quoi la loi aura une influence. Dans les villages au contraire, si on rend l'école maternelle obligatoire, cela évitera peut-être de fermer des classes.
Plusieurs remarques. Tout d'abord je crois que le débat que nous avons ce matin n'est pas en opposition avec celui d'hier sur l'évaluation en classe maternelle. Je le redis, l'école maternelle est le lieu de l'épanouissement de l'enfant, qui est indispensable pour l'acquisition des apprentissages au cours des années suivantes. Rendre l'école maternelle obligatoire ne va donc pas en contradiction avec ce que nous avons dit hier. En revanche, parce que c'est l'école maternelle justement, l'évaluation n'est pas une bonne chose. Personnellement, je ne vois pas contradiction entre ce que nous avons discuté hier et ce que nous discutons ce matin.
Plus tôt l'enfant rencontrera l'autre, plus tôt nous permettrons ce que l'on appelle (expression que je ne fais pas mienne) « l'égalité des chances ». Ce n'est pas remettre en cause le rôle de la famille dans laquelle l'enfant évolue parallèlement et concomitamment avec l'école.
Nous avons un débat sur l'obligation : obliger, ce n'est pas uniformiser et faire rentrer dans le même moule tous les enfants. Ce qui se fait actuellement dans la volonté de différencier les enseignements démontre bien que l'école peut être obligatoire mais que l'on peut prendre en considération chaque enfant. Enfin, plusieurs interventions me gênent. On l'a dit, rendre l'école maternelle obligatoire c'est faire rentrer dans la loi ce qui est aujourd'hui une pratique courante. Je ne vois pas en quoi c'est gênant ; cela permettra même peut-être de déculpabiliser certains parents. Cela évitera de revenir à ce souhait de retour à cette bonne société où c'étaient les femmes qui gardaient les enfants. L'école obligatoire, c'est aussi permettre aux femmes et aux hommes d'avoir une activité. C'est aussi combattre les stéréotypes, car nous savons qu'ils se posent dès la petite enfance, sur la place des filles et des garçons. Une autre opposition dit que vivre en groupe ce ne serait pas s'émanciper ; personnellement je pense que l'on peut vivre collectivement dans le respect de chacun, et que c'est ça aussi notre République. Donner les moyens aux écoles d'accueillir tous les enfants est une bonne chose, et si cette loi pouvait être adoptée ce serait un grand pas en avant pour tous.
Enfin, dans les communes rurales, la classe unique est aussi ce lieu de rencontre. Que l'éducation nationale donne les moyens aux communes les plus isolées d'accueillir les enfants, c'est réduire la fracture de nos territoires qui se fait parfois et donc c'est plutôt positif pour les collectivités territoriales.
Je soutiens l'exposé de Mme Cartron, que j'ai trouvé très convaincant. Pour répondre à Mme Cukierman, j'ose espérer que l'école maternelle n'est pas le seul lieu d'épanouissement de l'enfant, mais bien sa famille avant toute chose.
L'école maternelle est une réussite de l'éducation nationale : on a un corps d'enseignants assez remarquable, et les méthodes sont très bonnes. Si, comme l'a dit M. Assouline, il s'agit de mettre en conformité le droit avec la réalité, je pense que cette proposition ne peut être déconnectée d'un cadre plus global qui est la refonte sérieuse des rythmes scolaires. Ni dans l'exposé de Mme Cartron, ni dans celui du rapporteur, je n'ai entendu prononcer ce mot. Pour être une réussite, l'obligation de scolarité nécessite absolument de repenser le rythme de l'année, de la semaine, de la journée. Le système français est le plus déséquilibré qui soit, puisqu'on a le plus grand nombre d'heures dans le plus faible nombre de journées. La tranche des trois-six ans est la période où l'on est encore plus concerné par les rythmes scolaires. Il faudra avoir une concertation extrêmement approfondie avec les élus locaux, car il faut considérer non seulement les moyens mis à la disposition par l'éducation nationale mais aussi par les collectivités territoriales. Une refonte des rythmes nécessite de repenser le scolaire et le périscolaire, et nécessite (Mme Morin-Desailly demande le silence) un réaménagement de l'école. Je plaide pour qu'on ait une réflexion plus globale : déconnecter les choses les unes des autres n'est pas la garantie de la réussite.
Tout le monde semble d'accord pour dire qu'il s'agit de mettre le droit en conformité. Il y a urgence à sanctuariser l'école maternelle. Il faut considérer deux volets parallèlement : d'une part, le volet éducatif, d'autre part, tout ce qui touche à la socialisation et à la citoyenneté. Entrer précocement à l'école maternelle permet de s'approprier les codes, les savoirs et les compétences qui seront utiles, à la fois, lors du cursus scolaire et pour l'apprentissage de la vie en collectivité. L'école maternelle doit rester le lieu privilégié d'apprentissage du vivre ensemble. Il faut bien entendu tenir compte particulièrement des enfants dont l'instabilisation affective et sociale freine le développement cognitif, et se donner les moyens de les accueillir comme tous les autres enfants. C'est pourquoi l'obligation scolaire à trois ans est essentielle. Obligation ne veut pas dire collectivisme, comme certains voudraient le faire penser, mais, en revanche, c'est ce qui permettra de résister aux dérives de l'individualisme et de tendre vers une véritable société des égaux.
L'horaire ne nous permet pas de mener une argumentation exhaustive sur le texte à partir d'un texte écrit ; mais la commission commence son travail et chacun s'habituera à son mode de fonctionnement. Il y a encore trois intervenants : je vous demande d'être brefs et je clos les inscriptions.
Je prends le risque de parler mais je ne suis pas enseignant. J'ai écouté tout le monde, les uns plus spécialistes que les autres. (M. Plancade et Mme Blandin demandent le silence). Au fond, on a tous le même souci : l'épanouissement de nos enfants. En réalité, le débat porte sur la notion d'obligation. Sur tout le reste, on a chacun notre point de vue mais ce n'est pas le lieu. Moi, je suis pour l'obligation, parce que je pense que la liberté ne s'apprécie que dans l'obligation. J'entends ce discours qui me séduit, qui n'est ni de droite ni de gauche : la « boboïsation » de l'éducation nationale, cette espèce de « Rousseauisme » qui fait qu'on s'adapte à l'enfant. Pour moi il n'y a pas de problème, si mes enfants ou mes petits-enfants ne vont pas à l'école, ils auront le niveau culturel tout de même. Mais je veux attirer l'attention sur la nécessité d'avoir un tronc commun obligatoire, comme M. Assouline l'a dit, qui fonde la citoyenneté. Dans certaines familles, s'il n'y a pas d'obligation, les enfants ne vont plus à l'école. J'entends vos remarques sur le fait que les enfants n'évoluent pas tous au même rythme, mais il y a des moyens de corriger cela au cours de la scolarité.
J'ai le privilège d'être tout récent parlementaire et très jeune dans la fonction. Quel est notre rôle de parlementaire ? C'est bien sûr d'infléchir la société, et de permettre que les choses se transforment. Mais nous pouvons parfois tenir compte d'évolutions qui nous ont précédés ! La réalité ici, ce n'est pas une loi qui l'infléchira considérablement, puisqu'aujourd'hui les enfants de trois ans sont scolarisés à 99 %. Il s'agit de tenir compte d'une situation de fait, qui éclaire de façon particulière la question de l'obligation. Il ne s'agit pas d'une obligation contraignante, puisqu'aujourd'hui les parents ont une liberté de choix totale et choisissent de mettre leurs enfants à l'école. Ce n'est pas parce que l'école va être obligatoire de trois à seize ans qu'en conséquence, elle sera uniforme. Il s'agit de prendre acte d'une réalité.
Le risque est, quand on fait une loi, qu'il y ait des conséquences ; et je suis amusé d'observer chez certains cette subite sollicitude pour les collectivités territoriales. Je ne vois pas en quoi cette loi qui n'est qu'une validation et une sécurisation, menace l'équilibre budgétaire des collectivités. Pas d'inquiétude, puisque de toute façon elles mettent d'ores et déjà les moyens nécessaires au bon déroulement de la scolarité en école maternelle ainsi que du périscolaire (accueil, demi-pension, transport scolaire). Sécuriser l'école publique pour tous dès trois ans me paraît fondamental.
Parmi les objections, j'ai entendu parler des classes uniques. Je pense qu'on a tous constitué des regroupements pédagogiques intercommunaux pour sauver ces écoles dans les villages, et donc de sauver l'âme de ces villages. Je ne comprends donc pas cette objection.
Je voudrais conclure en constatant que tout le monde n'a pas la chance de naître dans un milieu socioculturel privilégié ; je suis sûr que l'école maternelle permet de remonter le décalage, et de finir par mettre tout le monde sur la même ligne de départ. C'est pourquoi je soutiens la proposition de Mme Cartron qui me paraît indispensable.
Des délégations du monde entier sont venues voir notre école maternelle, alors si l'on veut lui redonner sa vigueur et sa force, il faut voter cette loi.
Nous passons maintenant à la discussion des amendements. Aucun n'a été déposé par les membres de la commission, cinq amendements de la rapporteure sont donc à débattre.
Mme Cartron a bien reprécisé la philosophie et la visée de cette loi. La confrontation d'idées que nous avons eue ne me choque pas, au contraire elle peut éclairer nos projets.
L'objet de cette proposition de loi visait non seulement à sanctuariser l'école maternelle en la rendant obligatoire dès trois ans et créer une obligation de moyens humains et matériels ; mais aussi à attirer l'attention sur la nécessité d'avoir un travail de plus longue haleine sur l'ensemble du système éducatif. L'école maternelle doit participer très concrètement à avancer vers l'égalité, c'est-à-dire la capacité de chacun et chacune à posséder le plus haut niveau de connaissance et à exercer sa citoyenneté. De nombreuses études montrent les effets très positifs d'une scolarisation précoce, qui réduit considérablement les redoublements à l'école élémentaire.
De fait les trois ans sont scolarisés donc il ne s'agit pas d'explosion des financements ; cependant, il faut poser la question des moyens. Le nombre des élèves par classe est tout à fait inhumain.
Il ne s'agit pas de créer une obligation dès deux ans, mais simplement de laisser un droit ouvert pour les familles qui en feraient la demande. La différence de quelques mois à cet âge peut être considérable, il y a donc besoin de beaucoup de souplesse et de moyens particuliers. C'est pourquoi l'obligation n'est pas synonyme, dans notre esprit, de contrôle de l'assiduité, avec les suspensions d'allocations familiales qui y sont liées.
Il y a nécessité aussi d'une formation qui permette d'appréhender le tout-petit. Juste une précision pour terminer : la question des rythmes scolaires appartient au domaine réglementaire. Le ministère a toute latitude pour travailler sur ces questions, et évidemment il y a beaucoup à faire sur l'intégralité du système.
Dans l'article L. 113-1 du code de l'éducation réécrit par la rapporteure, je propose de remplacer au deuxième alinéa « doit pouvoir être accueilli », qui me paraît trop impératif, par « peut être accueilli ». Je souhaite plus de souplesse.
Je comprends le sens de l'amendement n° 1 : mes collègues essaient, malgré les difficultés budgétaires, de favoriser l'accueil des enfants de deux ans quand ils sont propres dans les écoles maternelles. Il y a d'ailleurs ces dernières années un fort recul de la scolarisation à deux ans. Mais viser ainsi les enfants de deux ans me semble compliqué, car les enseignants eux-mêmes ne peuvent les accueillir que lorsqu'ils sont propres. On ne peut avoir un devoir général d'aider à la scolarisation alors que tous les enfants de deux ans ne sont pas propres.
Dans la même optique par rapport à ce distinguo entre enfants de deux ans propres ou non propres, l'expression « si sa famille en fait la demande » pose problème.
Il nous faut un texte, ou bien nous devons repousser et aller en séance. (Discussions) Je vous propose de différer au 28 pour une bonne rédaction commune, ça me semblerait de bonne pratique.
Il n'y a pas d'automaticité à essayer de trouver quelque chose de conforme dans le code de l'éducation. Dans ce code, l'éventualité de la préscolarisation concernait tout le monde ; désormais, la préscolarisation à deux ans ne concernera qu'une minorité, on ne peut donc pas la mettre au même niveau et l'inscrire dans le code. Je suis donc pour absolument enlever ce paragraphe. Le code concerne les « obligations », pas les « possibilités ».
S'il y a obligation, on ne pourra plus faire valoir le critère de propreté. Tous les enfants devront « pouvoir être accueillis ». Je trouve bien dommage d'exercer une pression psychologique sur les parents et les enfants à ce sujet.
Je veux juste rappeler que dans la loi, il y a : « la scolarisation doit être possible dès deux ans ».
C'est pourquoi je vous propose de ne pas statuer aujourd'hui sur cet amendement, pour que nous voyions s'il est nécessaire de l'aménager.
Le texte de la proposition de loi ainsi amendé est adopté.