Le 27 février dernier, vous avez présenté, madame la ministre, votre plan « Santé des jeunes ». Parmi les mesures proposées figure en bonne place la lutte contre les troubles de l'alimentation. On pense, bien sûr, à l'anorexie, mais les pratiques alimentaires pouvant entraîner l'obésité sont également visées.
Notre commission des affaires sociales y est évidemment très sensible. Après avoir travaillé activement à l'adoption des premières mesures législatives « anti-obésité » dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, elle a poursuivi sa réflexion sur ce sujet difficile dans le cadre de l'OPEPS, l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, en confiant à l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, une étude consacrée aux facteurs déterminants de l'obésité et aux moyens de la prévenir. Ce travail a fait l'objet, en 2005, d'un rapport que j'ai eu l'honneur de présenter ; vous comprendrez ainsi combien la question de l'obésité me préoccupe.
Aujourd'hui, il ne fait de doute pour personne que l'obésité, qualifiée par l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, de « première maladie non infectieuse de l'histoire », constitue un risque sanitaire majeur dans les pays développés. Tous ont pris conscience de l'ampleur du problème et mis progressivement en place des mesures de prévention. C'est le cas du programme national nutrition-santé, dont le deuxième opus couvre la période 2006-2010, sans pour autant endiguer à ce jour la progression de la maladie.
Cette situation justifie votre présence aujourd'hui, madame la ministre. Quels moyens prévoyez-vous de mettre en oeuvre et de renforcer pour protéger nos enfants et nos adolescents de ce danger, qui menace, à court terme, leur développement physique et psychologique et, à long terme, leur santé ?
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres et données scientifiques sur la réalité de l'obésité infantile dans notre pays.
La surcharge pondérale est mesurée par des seuils de référence de l'indice de masse corporelle, l'IMC. Lorsque l'IMC est supérieur à 25, on parle de surpoids ; lorsqu'il dépasse le seuil de 30, on parle alors d'obésité.
Sur ces bases, les enquêtes les plus récentes indiquent que 10 % des enfants âgés de six ans présentent une surcharge pondérale modérée et 4 % une obésité. En 1980, seulement 5 % de cette classe d'âge était en surpoids.
Si, à six ans, les filles semblent plus sujettes à l'obésité que les garçons, l'écart a tendance à s'atténuer à l'adolescence. À quinze ans, on estime à 12, 4 % la prévalence du surpoids et à 3, 3 % celle de l'obésité, sachant que les jeunes concernés présentaient déjà, pour la moitié d'entre eux, un problème de poids à l'âge de six ans.
Ce constat démontre, s'il en était besoin, la nécessité de prévenir les risques d'obésité dès le plus jeune âge. II ne faudrait pas que la France se rapproche du triste record des États-Unis, qui comptent près de 30 % d'enfants en surpoids.
Quels sont les déterminants de l'obésité ?
À l'origine de la maladie, il existe, bien sûr, un déséquilibre entre l'apport alimentaire et la dépense énergétique. Pourtant, tous les individus ne réagissent pas à ce déséquilibre de manière identique. De fait, la prévalence de la surcharge pondérale dépend aussi de certains facteurs environnementaux, qui sont d'abord d'ordre économique et social.
On observe ainsi une proportion d'enfants et d'adolescents obèses plus importante dans les zones d'éducation prioritaires. Plus généralement, la catégorie socioprofessionnelle des parents constitue un critère essentiel : l'obésité est dix fois plus fréquente chez un enfant d'ouvrier non qualifié que chez un enfant de cadre supérieur. Ce constat appelle plusieurs explications.
Il existe d'abord un « effet revenu » évident, que le rapport de l'OPEPS avait bien analysé, dans le choix de l'alimentation.
Ainsi, au fil des ans, le prix des aliments est devenu inversement proportionnel à leur densité calorique et à leurs qualités nutritionnelles : en cinquante ans, le prix des produits gras a diminué de près de la moitié, tandis que celui des fruits et légumes a augmenté d'un tiers.
Ce critère économique est amplifié par les inégalités d'éducation, qui expliquent certaines habitudes alimentaires et la méconnaissance de l'apport nutritionnel des différents aliments.
Enfin, on connaît aussi l'effet de la sédentarisation des modes de vie, toutes catégories sociales confondues, qui contribue encore à déséquilibrer la relation entre l'apport et la dépense énergétiques.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les déterminants de l'obésité infantile sont multiples et leurs interactions complexes. Une politique ambitieuse de prévention de cette maladie doit, pour être efficace, agir sur l'ensemble de ces facteurs. Ma première série de questions portera donc, madame la ministre, sur les différentes facettes de la prévention de l'obésité.
D'abord, comment peut-on intervenir sur la composition, sur le prix et sur les modalités de distribution des aliments ?
Le surpoids résulte notamment de la qualité nutritionnelle des produits consommés. Or, la composition des aliments préparés fait apparaître une proportion de sucre, de sel et de graisses bien supérieure aux besoins quotidiens du corps humain, et l'on sait que les modes de vie actuels incitent de plus en plus à consommer des plats tout préparés. À cette richesse calorique des aliments s'ajoute le fait qu'on a tendance à accroître la taille des portions, ce qui conduit le consommateur à manger plus et moins bien.
Or, ce double aspect « composition des produits alimentaires » et « taille des portions » dépend entièrement des industriels de l'agroalimentaire. Ne conviendrait-il pas de négocier avec eux une charte de qualité, dont le respect serait, par exemple, récompensé par un label « nutrition-santé », pour qu'ils s'engagent à agir sur ces deux déterminants de l'obésité ?
Par ailleurs, je le disais tout à l'heure, il existe un « effet revenu », qui influence les choix alimentaires en raison du prix proportionnellement plus élevé des fruits et des légumes que celui des produits gras et sucrés. Il n'est pas illogique de penser que la réduction de cet écart permettrait de rééquilibrer la consommation au profit des aliments plus diététiques.
Deux solutions sont alors envisageables, sans être exclusives l'une de l'autre d'ailleurs : d'une part, subventionner les fruits et les légumes afin de rendre leur prix moins prohibitif, et telle est précisément l'option que nous avions retenue dans le cadre de l'OPEPS ; d'autre part, taxer plus fortement les produits caloriques à faible valeur nutritionnelle, cette possibilité ayant été prônée par notre commission qui s'est prononcée en faveur d'une fat tax sur les boissons sucrées lors de la discussion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Or je constate, pour le déplorer, que, au final, pas une seule de ces deux mesures n'a encore vu le jour, en dépit de nos recommandations. Quelles sont donc vos propositions pour rendre les fruits et les légumes économiquement plus abordables et/ou pour renchérir le coût des aliments gras et sucrés ? Par diminution du prix des fruits et légumes, j'entends bien évidemment une diminution au niveau de la distribution et non pas au niveau de la production, car les producteurs eux-mêmes rencontrent déjà des difficultés pour survivre avec les prix qui leur sont imposés.
Le troisième aspect lié à cette question est celui des modalités de distribution des produits caloriques, car il est vraisemblable que l'accès facile à ces produits ne soit pas dénué d'effets sur la prévalence de l'obésité.
À cet égard, j'ai appris avec satisfaction qu'une certaine chaîne de grandes surfaces s'engageait désormais à retirer les sucreries susceptibles d'attirer les enfants de leurs présentoirs de caisse, afin de ne pas inciter à leur consommation. Est-il envisageable, comme vous l'aviez suggéré, madame la ministre, d'étendre, le cas échéant, de manière contraignante, cette initiative à l'ensemble de la grande distribution ?
Je citerai un autre exemple en milieu scolaire. La limitation de la disponibilité des produits gras et sucrés a été inscrite dans l'article 30 de la loi du 9 août 2004, qui a interdit les distributeurs automatiques dans les écoles.
Nous n'avons pas oublié que, à l'époque, le Sénat s'était prononcé contre cette mesure d'interdiction, estimant qu'il convenait plutôt, dans un souci nutritionnel, mais aussi pédagogique, de conserver ces équipements, tout en contrôlant leur contenu. Ainsi, les élèves auraient facilement eu accès à des fruits ou à de l'eau minérale sans être incités à se fournir en dehors de l'établissement scolaire. Telle est encore ma position personnelle aujourd'hui. Quelle est la vôtre, madame la ministre, si vous disposez d'un premier bilan de ce dispositif ?
La restauration en milieu scolaire pose également le problème des cantines. Comment concilier une offre nutritionnelle équilibrée et un coût abordable, y compris pour les familles les plus modestes, sans peser trop lourdement sur les finances des collectivités territoriales ? Dans ce domaine, il faudra s'inspirer du programme EPODE, « Ensemble prévenons l'obésité des enfants », lancé par un certain nombre de collectivités, notamment de communes, et qui commence à porter ses fruits, si je puis dire, et l'accompagner.
J'aborderai ensuite la question qui me semble essentielle pour la prévention de l'obésité, l'information et l'éducation en matière d'alimentation.
L'article 29 de la loi du 9 août 2004 prévoit, à cet égard, que les messages publicitaires promouvant des boissons et des aliments sucrés ou caloriques doivent être assortis d'une information sanitaire d'éducation diététique. C'est aujourd'hui le cas de 85 % de ces publicités, la majorité des industriels ayant préféré cette solution au paiement d'une taxe.