Avant de vous présenter les recommandations en matières pénale et douanière, je précise que notre rapport ne constitue qu'un premier bilan de la loi du 29 octobre 2007, d'autant que certains décrets, en particulier ceux portant sur la spécialisation des juridictions, sont intervenus tardivement.
Nous manquons d'un peu de recul pour évaluer efficacement la portée de certaines dispositions de la loi de 2007. Sans doute la jurisprudence pourrait-elle à l'avenir se préciser et se stabiliser sur certains sujets, rendant moins pertinentes quelques unes de nos recommandations, je pense à la recommandation n° 8 sur le droit à l'information et surtout à la recommandation n° 12 sur la création d'une nouvelle catégorie d'acteurs sur Internet qu'on a qualifiée d' « éditeurs de services », sujet sur lequel il est peut-être préférable de laisser la jurisprudence se prononcer au cas par cas.
Je précise également que la très grande majorité des personnes que nous avons entendues ont jugé globalement satisfaisantes les avancées contenues dans la loi du 29 octobre 2007.
J'en viens aux recommandations en matières pénale et douanière.
Je signale tout d'abord que la loi de 2007 comporte peu de dispositions à caractère pénal, en dehors - j'y reviendrai - de la création d'une circonstance aggravante sur les contrefaçons dangereuses.
Notre travail d'évaluation nous a conduits à réfléchir à une éventuelle spécialisation des juridictions en matière pénale. Rappelons que le législateur a fait le choix, en 2007, de ne pas prévoir une spécialisation des juridictions pénales dans le domaine de la propriété intellectuelle, jugeant alors satisfaisant le traitement de la contrefaçon en matière pénale. Toutefois, il ressort de nos auditions que la réponse pénale n'est pas si bonne. D'ailleurs, on note une certaine désaffection des titulaires de droits et de leurs avocats à saisir les juridictions répressives, considérées comme trop timides dans l'indemnisation accordée aux victimes de contrefaçon. Nous pensons qu'on pourrait résoudre cette difficulté par une spécialisation des juridictions en matière pénale.
Nous proposons toutefois de maintenir la compétence des juridictions spécialisées et des JIRS (juridictions interrégionales spécialisées) pour les dossiers de contrefaçon relevant respectivement de la grande et de la très grande complexité (recommandation n°13). En effet, ces juridictions spécialisées possèdent une expertise reconnue en matière de délinquance économique et financière à laquelle la contrefaçon se rattache bien souvent.
En revanche, nous pensons utile de spécialiser quatre ou cinq tribunaux correctionnels exclusivement compétents pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des délits de contrefaçon ordinaire, c'est-à-dire pour les délits autres que ceux qui apparaissent d'une grande ou d'une très grande complexité (recommandation n° 14).
Cette spécialisation pénale permettrait de rapprocher les magistrats pénalistes et civilistes, ce qui nous amène à la recommandation n° 15 : créer, au sein de chacune des juridictions spécialisées, une chambre mixte de propriété intellectuelle associant des magistrats civilistes et pénalistes, et ce afin de garantir un meilleur dialogue des juges et une harmonisation des montants d'indemnisation des titulaires de droits.
Par ailleurs, nous avons cherché à évaluer l'apport de la loi de 2007 en matière de contrefaçons dangereuses. Je rappelle qu'à l'initiative du Sénat et de sa commission des lois, la loi a décidé d'aggraver les sanctions pour les contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité des personnes. En effet, le législateur a été sensible au fait que la contrefaçon ne portait pas seulement atteinte à des intérêts économiques protégés et à la loyauté du commerce, mais pouvait également, dans bien des cas, mettre en danger les personnes, dans le cas en particulier des médicaments, des jouets, des pièces de rechange automobiles ou encore des lunettes de soleil.
Or, avant l'intervention de la loi, le droit retenait une seule circonstance aggravante : la commission du délit de contrefaçon en bande organisée. La loi en a donc ajouté une seconde. Nous avons constaté lors des auditions que les professionnels qui s'étaient, en 2007, déclarés réservés sur l'utilité d'une telle circonstance aggravante la jugeaient aujourd'hui très opportune. Nous demandons au ministère de la justice de se doter des outils statistiques permettant d'évaluer si la création de cette circonstance aggravante a conduit à une aggravation effective des sanctions pénales pour les contrefaçons dangereuses (recommandation n° 16).
Enfin, nous proposons deux recommandations n°s 17 et 18 en matière douanière. Je rappelle qu'en 2007, le législateur avait, principalement à l'initiative du Sénat et de sa commission des lois, renforcé les compétences des douanes en matière de lutte contre la contrefaçon. A titre d'exemple, nous avions décidé de réprimer plus sévèrement les contrefaçons de marques constatées lors des « transbordements », c'est-à-dire lorsque les marchandises acheminées sur des plateformes aéroportuaires ne sont pas destinées au marché français ou communautaire mais sont stockées temporairement dans l'attente de leur réexpédition, par voie aérienne, vers leur destination finale extra-communautaire. De la même façon, la loi a étendu la compétence des douanes en matière de dessins et modèles, ce qui a renforcé l'efficacité de l'action des douanes. En effet, il est très fréquent que, dans un souci de discrétion, les contrefacteurs utilisent, pour réaliser in fine des contrefaçons de marques, deux envois distincts : dans l'un, ils mettent des signes distinctifs contrefaisants (logos, étiquettes...) ; dans l'autre, les produit « nus ». Ces derniers constituent, en conséquence, des contrefaçons de dessins et modèles et non des contrefaçons de marques. Avant la loi du 29 octobre 2007, la saisie n'était possible que dans le premier cas, pas dans le second.
Les douaniers sont très satisfaits des nouveaux moyens d'action que la loi leur a accordés - ils nous l'ont dit lors d'un déplacement que nous avons effectué à la direction interrégionale des douanes de Roissy.
Nous avons toutefois une inquiétude : la Cour de justice de l'Union européenne doit, au cours du premier semestre 2011, se prononcer sur une question préjudicielle posée par une juridiction anglaise visant à déterminer si le Règlement communautaire 1383/2003 qui définit le champ d'intervention des douanes en matière de contrefaçon, permet ou non la retenue douanière. La Commission européenne soutient que les saisies ne doivent pas concerner des marchandises qui ne seraient pas destinées au territoire de l'Union européenne. Telle n'est pas la position de la France.
Par ailleurs, indépendamment de cette décision de justice attendue, la Commission européenne a engagé un processus de révision de ce Règlement : elle souhaite apaiser le conflit avec l'Inde et le Brésil, soupçonnés d'accueillir en masse des contrefaçons de médicaments, contrefaçons qui transitent souvent sur le sol communautaire. Autrement dit, la Commission pourrait souhaiter modifier le Règlement pour exclure explicitement la possibilité pour les douanes d'intervenir pour les produits en transbordement, au motif qu'on ne peut pas empêcher certains pays de se soigner. Mais je signale que les médicaments contrefaisants, qui ne subissent aucun contrôle, sont soit totalement inefficaces pour le traitement de la pathologie qu'ils sont supposés soigner, soit - pis encore - comportent des substances toxiques.
C'est pourquoi nous recommandons de ne pas toucher à la règlementation douanière communautaire ou, à défaut, de la clarifier pour prévoir explicitement la possibilité pour les douanes d'intervenir pour les produits en transit, quels qu'ils soient.