Je remercie le Sénat d'avoir invité le président de l'Association du corps préfectoral. Sa liberté de ton sera plus grande que celle du préfet de région...
Contrairement à une idée reçue, la réforme de l'administration territoriale de l'État, engagée depuis 2007, ne constitue pas une rupture. Les expérimentations menées depuis 2004 poursuivaient des buts proches, sinon identiques. Premier objectif de cette réforme, améliorer la lisibilité de l'administration territoriale de l'État et, donc, la cohérence de son action. La multiplication des services avait des effets pervers ; sur un même dossier, chacun y allait de sa vision, ce qui jetait le trouble... Dès 2004, on a expérimenté la fusion des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et directions régionales de l'environnement (DIREN), des directions départementales de l'équipement (DDE) et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et, enfin, le rapprochement des services de l'emploi et des trésoriers-payeurs généraux, notamment, à Lille. Cette dernière expérience n'a pas abouti ; toutefois, peut-être a-t-elle eu le mérite d'inspirer le rapprochement des finances et de l'emploi dans le Gouvernement de 2007... Les résultats sont-ils au rendez-vous ? Sans aucun doute, puisque six directions seulement, en sus des rectorats et des agences régionales de santé, siègent désormais à la table du « conseil d'administration » de l'État.
Deuxième objectif, le renforcement de l'échelon régional dans la continuité des efforts régulièrement poursuivis depuis les années 1970. Il s'est traduit par le décret de 2004, qui a accru le rôle du préfet de région dans la conduite des politiques publiques, et le décret de 2010 qui a fixé l'organisation territoriale de l'État et les relations entre préfets de région et de département. L'administration territoriale fonctionne, maintenant, selon deux logiques : au niveau régional, la déclinaison des politiques nationales par les services des différents ministères ; au niveau départemental, une démarche intégrée et interministérielle. En 2008 et 2009, les préfets de département ont craint un court-circuitage du niveau départemental par les élus. Une circulaire de 2010, qui a limité le droit d'évocation du préfet de région aux questions générales et de principe, a apaisé ces craintes.
Troisième objectif, l'adaptation de l'organisation de l'administration territoriale de l'État aux besoins des territoires et aux demandes des populations. Cette recherche, intéressante, constitue une rupture avec notre droit administratif : assurer une égalité d'objectifs, et non plus une égalité de moyens. Ces efforts restent modestes, en raison de la volonté de certaines administrations centrales de maintenir une organisation identique en tout point et en tout lieu. Pour autant, l'organisation territoriale tient désormais compte de certains critères : l'importance démographique du département détermine le nombre de ses directions interministérielles -deux pour les moins peuplés, trois pour les autres- ; les facteurs géographiques, avec la création d'une direction départementale des territoires et de la mer pour les départements littoraux ; des difficultés spécifiques à certains territoires, avec la mise en place d'une direction régionale de l'hébergement et du logement en Île-de-France. L'Association du corps préfectoral souhaite avancer sur ce chemin. Dans l'ensemble, la réforme de l'administration territoriale de l'État est plutôt un succès : une meilleure coordination, une meilleure lisibilité, bien que les sigles restent incompréhensibles -un travers bien français !-, une meilleure adaptation de l'organisation aux territoires.
Au-delà de la réorganisation des services de l'État, l'essentiel est, pour moi, de passer d'une administration de guichet et d'exécution à une administration de conseil, d'orientation et de matière grise en nous appuyant sur les nouvelles ressources technologiques comme l'ont fait les réseaux bancaires il y a vingt ans... Ne faut-il pas en faire un des objectifs de la deuxième étape de la réforme ? Prenons deux exemples de nature différente : la modernisation de la fabrication des passeports et des cartes nationales d'identité de même que la possibilité ouverte à des tiers, qui agissent comme collaborateurs du service public, de faire établir les cartes grises, ont permis de rapprocher le service du consommateur tout en réalisant des économies aussitôt réinvesties ; la création d'une plate-forme pour le contrôle de légalité afin de répondre à la difficulté grandissante des questions posées. Si l'on veut réussir dans cette voie, il faut investir dans la formation des personnels B et C pour leur confier d'autres tâches et leur faire gravir des échelons. C'est la seule manière d'avoir suffisamment de matière grise pour répondre aux demandes des administrés.