Je remercie Mme Keller et puis l'assurer que si nos rapporteurs ne se sont pas rendus à Strasbourg, cela tient au seul fait que nous entendions éviter toute mésinterprétation qu'aurait pu susciter le fait que l'un d'eux, M. Ortiz, était président de la chambre régionale des comptes d'Alsace il y a encore quelques mois.
L'ADEME ayant le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, elle est considérée, pour nous, comme une entreprise publique, avec cette conséquence que le contrôle donne lieu à deux documents distincts au contenu cependant très proche. D'une part, une communication au titre de l'article 58, alinéa 2, de la LOLF. D'autre part, un rapport particulier sur la gestion et les comptes de l'organisme.
Le contrôle de l'ADEME a conduit la Cour à porter une appréciation générale plutôt positive quant à l'usage qui est fait de ses ressources, ceci sans préjudice des observations qu'elle a à faire sur certains points.
Je m'attacherai d'abord à la place de l'Agence par rapport aux services de l'Etat.
Les missions de l'ADEME sont fixées par la loi et codifiées dans le code de l'environnement. Elles sont particulièrement larges, au point que se pose d'emblée la question de leur articulation avec les services de l'Etat et d'autres opérateurs de l'Etat.
S'agissant de l'Etat, la question du positionnement de l'Agence porte d'une part sur l'administration centrale, d'autre part sur l'articulation des directions régionales de l'Agence avec les nouvelles directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), même si le préfet est depuis 2009 chargé d'assurer cette coordination.
S'agissant des autres opérateurs de l'Etat tels que l'Agence nationale de la recherche, la réponse a pu sembler résider dans une spécialisation de l'ADEME, ou plus exactement dans une expertise plus marquée dans certains domaines - les déchets, en particulier - que dans d'autres. L'Agence revendique toutefois d'exercer pleinement l'ensemble des missions qui lui sont dévolues et d'être ainsi l'interlocuteur naturel et le partenaire de référence du grand public, des entreprises, des collectivités territoriales et de l'Etat sur les politiques environnementales, ce qui fait beaucoup.
L'ADEME s'est organisée autour de quatre métiers : connaître, convaincre et mobiliser, conseiller, aider à réaliser. Un contrat d'objectifs conclu avec l'Etat en 2009 précise les modalités de son action.
J'évoquerai maintenant les finances de l'Agence.
Le mode de financement de l'ADEME a souvent varié, combinant de manière fluctuante dotations budgétaires de l'Etat et taxes affectées : jusqu'en 1998, les deux sources ont coexisté ; de 1999 à 2005, le financement a été assuré par le seul budget de l'Etat ; en 2006, une part du produit de deux taxes, dont la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel, a été affectée à l'Agence pour environ 190 millions d'euros ; en 2007, l'apport des recettes fiscales a été accru ; en 2008, nouveau changement dans l'alimentation par des recettes fiscales ; en 2009, on enregistre un nouvel appoint de taxes affectées qui doit se poursuivre entre 2011 et 2013, avec 441 millions d'euros en 2011 et 485 millions d'euros en 2012 et 2013 provenant de la TGAP, selon le projet de loi de finances pour 2011.
A ces ressources budgétaires et fiscales s'ajoutent des recettes affectées par des organismes publics comme l'Agence nationale de la recherche, le fonds démonstrateur de recherche ou le FEDER.
Ce mode de financement faisant à certaines époques une place importante aux ressources affectées explique que, dans ses premières années d'existence, l'ADEME avait accumulé des excédents de crédits. En 1998, le passage à un financement sur dotations budgétaires de l'Etat a été l'occasion de résorber ces excédents, mais le coup de frein a été trop brutal et l'Agence s'est trouvée à court de crédits de paiement. La crise financière de l'ADEME ne s'est terminée qu'en 2007 et cet épisode n'est pas encore oublié.
Le Grenelle de l'environnement a augmenté très sensiblement les moyens de l'Agence en prévoyant un programme d'intervention de 1,7 milliard d'euros en autorisations de paiement et 862 millions d'euros en crédits de paiement pour la période 2009-2011. Des discussions se sont poursuivies pour rendre cette prévision cohérente avec le budget triennal de l'Etat pour 2011-2013 et faire en sorte qu'il en aille de même du contrat d'objectifs.
Qu'en est-il de la gestion de l'Agence ?
L'ADEME compte environ 1 000 agents, plus exactement 1 032 au 31 décembre 2009. L'augmentation est de 12 % par rapport au 31 décembre 2007. Une réelle tension existe sur ses effectifs et le recours à la sous-traitance et à l'intérim, quoique limité, s'accroît. L'Agence n'est pas soumise à la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, règle que l'Etat a étendue à la plupart de ses opérateurs.
L'ADEME est dotée, d'une manière assez artificielle compte tenu de son mode de financement, du statut d'EPIC. On doit regretter qu'elle ne dispose pas d'instrument de gestion des ressources humaines permettant d'intéresser ses agents, individuellement ou collectivement, à l'atteinte des objectifs. D'une façon plus générale, l'ADEME n'a guère utilisé la souplesse de gestion que son statut lui donne et est gérée comme si elle était soumise aux contraintes du statut de la fonction publique.
S'agissant de la gestion immobilière, l'ADEME a su regrouper ses implantations à Angers sur un seul site. Il est toutefois regrettable que les sites dits centraux de l'Agence soient dispersés entre Angers, Paris et Valbonne. Cette situation est l'héritage des trois établissements publics auxquels l'ADEME a succédé en 1993 : l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (ANRED), l'Agence pour la qualité de l'air et l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME). La dispersion des sites centraux est source de lourdeurs même si la téléconférence est largement utilisée entre les services de l'Agence.
Une remarque encore : une petite moitié (46 % exactement) des effectifs de l'Agence est implantée en province. Malgré la très grande étendue de ses compétences, qui impose la spécialisation de ses agents, elle a jusqu'à présent fait le choix de maintenir des implantations dans toutes les régions. Les directions régionales, dès lors, sont parfois composées d'équipes de très petite dimension.
Les indicateurs de performance appellent enfin quelques remarques quant à leur pertinence pour l'information du Parlement.
Quelles sont les modes d'intervention de l'ADEME ?
L'ADEME contribue à l'orientation et à l'animation de la recherche, mais n'en fait pas en propre. Elle s'insère dans un environnement institutionnel en forte évolution. La gouvernance de la recherche pourrait être revue, à l'occasion de l'installation du nouveau conseil scientifique. Cela contribuerait à s'assurer que le positionnement de l'Agence dans les domaines et les champs de la recherche qu'elle couvre est correctement articulé avec celui des autres financeurs.
S'agissant de l'aide à la réalisation, l'ADEME, outre quelques grands équipements (unités d'incinération d'ordures ménagères, réseaux de chaleur, etc.), finance en région une multitude de petits projets sur un grand nombre de thématiques. Confrontée à la nécessité d'optimiser ses ressources tout en poursuivant des objectifs ambitieux, l'Agence ne pourra pas durablement financer de petits projets qualifiés d'exemplaires si elle ne s'assure pas de leur impact local et de leur exemplarité à plus grande échelle. Il conviendrait de remettre de l'ordre dans la terminologie, de clarifier les concepts et d'améliorer l'exploitation de ce qui est financé par l'Agence à partir d'une typologie plus claire, en explicitant les suites possibles et en structurant les enseignements à tirer.
Un premier bilan de l'utilisation des fonds Grenelle fait apparaître que l'ADEME a su s'adapter, dans des délais rapides, à une montée en puissance des politiques publiques dont elle est le principal opérateur. Toutefois, en faisant de l'Agence l'opérateur de la transition environnementale, l'Etat lui assigne une mission extrêmement ambitieuse : être le vecteur du changement d'un modèle de société. Pour y faire face avec des ressources limitées, même si elles ont fortement crû, l'Agence doit reconsidérer ses modes d'intervention. L'exercice de hiérarchisation et de sélection rigoureuse auquel le Grenelle invite l'établissement et ses directions régionales reste en partie à faire.
La communication « convaincre et mobiliser » occupe une place importante dans les dépenses de l'ADEME qui, il faut le rappeler, n'ambitionne rien moins que de changer le mode de vie des Français, leur façon de consommer, de se déplacer ou de se loger. En 2010, les dépenses de communication comportent 72,7 millions d'euros d'interventions et 19,5 millions d'euros de fonctionnement. L'effectif dédié à cette fonction est de 205 équivalents temps plein (ETP).
La fonction de conseil pèse autant dans les effectifs de l'ADEME que la communication, soit 209 ETP. Le conseil peut être donné directement au décideur (ordonnateur local) ou indirectement par des relais, notamment les professionnels tels que les installateurs de chauffage. On sait combien les performances énergétiques ou environnementales d'installations conformes aux techniques les plus récentes varient selon qu'elles sont correctement montées ou non.
L'impression qui se dégage du contrôle de la Cour quant à cette fonction de conseil si importante pour l'efficacité et le renom de l'Agence figure page 43 du rapport : hétérogénéité selon les régions, peu de pilotage, sentiment que l'ADEME se greffe sur des initiatives locales sans définition de priorités par le siège, chaque région mettant sous le vocable « réseaux » des groupes qui peuvent être très différents. Pour démultiplier son action, l'Agence gagnerait à être, non pas plus présente dans les réseaux, mais mieux présente : laisser vivre ceux qui se développent sans elle, activer ceux qui ont des difficultés si leur plus-value le justifie.
Enfin, j'insisterai sur la gestion des investissements d'avenir.
Le Grand emprunt concerne l'ADEME à hauteur de 2,85 milliards d'euros pour la gestion de quatre actions. L'Agence est ainsi l'un des principaux opérateurs pour les « investissements d'avenir ».
L'Etat lui verse à ce titre des fonds que l'ADEME lui restitue afin de financer une série d'opérations qui sont comptabilisées dans des comptes de tiers.
Le mode opératoire ainsi mis en place est tout à fait dérogatoire, qu'il s'agisse de la décision d'investissement, des règles budgétaires applicables ou de la comptabilisation des mouvements de fonds. Ce cadre, qui déroge aux règles applicables à l'Etat aussi bien qu'à l'ADEME en tant qu'établissement public placé sous sa tutelle, a un fondement législatif. Les instructions comptables ad hoc sont en préparation par la DGFIP en liaison avec la Cour des comptes.
Sur le plan budgétaire, l'intégralité des crédits ouverts au titre de l'emprunt national sera versée au cours de l'année 2010 à l'ADEME et aux organismes gestionnaires. Les nouveaux programmes (au sens de la LOLF) disparaîtront en 2011.
Les crédits sont ouverts en AP = CP et seront budgétairement consommés en un seul exercice, alors même que leur consommation réelle s'étalera dans le temps. La règle de l'annualité budgétaire est ainsi mise entre parenthèses.
Les crédits versés à l'ADEME ne relèveront pas réellement de la responsabilité de l'ordonnateur de l'Agence, non plus que des décisions de son conseil d'administration. Un large pouvoir de décision, ou au moins de proposition, est reconnu au commissaire général à l'investissement.
Le mode de décision est aussi dérogatoire que le mode de budgétisation, et la responsabilité dans le choix des investissements d'avenir n'apparaît pas aisément.
Enfin, les opérations seront enregistrées en comptes de tiers et ne ressortiront donc pas des comptes de résultat de l'ADEME dans les années à venir.
Le cadre décisionnel, budgétaire et comptable des investissements d'avenir financés par le Grand emprunt a été conçu comme un dispositif dérogatoire. Encore faut-il que les responsabilités soient claires et la transparence assurée.