Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 novembre 2009 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2010 — Programme equipement des forces de la mission défense - examen du rapport

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, co-rapporteur pour avis :

rapporteur pour avis, a fait une première série d'observations sur les caractéristiques financières du projet de loi de finances pour 2010.

Il a indiqué que le projet prévoyait une diminution des crédits affectés au programme 146 de 7,7 % pour les crédits de paiement (11,4 milliards d'euros), et de 44 % pour les autorisations d'engagement (11,75 milliards d'euros), le tout dans le cadre d'une « mission défense » dotée elle-même de crédits en diminution de 2,25 % d'une année sur l'autre. Toutefois, il a reconnu que cette diminution n'était pas significative dans la mesure où l'année 2009 avait été une année de forte augmentation.

La part des équipements conventionnels (direction générale pour l'armement comprise) dans le total du programme 146 reste aux environs de 66 % pour les crédits de paiement et passe à 62 % pour les autorisations d'engagement, ce qui représente respectivement 7,6 et 7,3 milliards d'euros. Ces crédits, en retrait par rapport à 2009, restent à un niveau élevé.

a ensuite indiqué que ce budget, comme le précédent, traduisait un authentique effort en faveur de l'équipement. Il a fait remarquer que si l'on prenait en compte les équipements non pas à partir du programme 146, mais à partir de la loi de programmation militaire (LPM), on voyait que l'on passait de 15,4 milliards d'euros de crédits de paiement en 2008 à 16,6 en 2009 et à 16,5 en 2010. La loi de finances pour 2010 s'inscrit du reste dans la trajectoire financière de la loi de programmation militaire (LPM), laquelle prévoit un total de crédits de 32,8 milliards d'euros pour la mission défense (hors pension).

a considéré que l'exécution des orientations prévues dans le Livre blanc, pouvait être résumée en deux idées simples : une armée réduite - tant en hommes qu'en matériels - mais mieux équipée et donc plus réactive.

Toutefois, M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis, a noté le décalage entre le volume des équipements tel que défini par la LPM pour 2010 - 16,6 milliards - et le programme 146 - 11,7 milliards - ce qui l'a conduit à s'interroger sur la pertinence du découpage de la mission « Défense » et la représentativité du programme 146 au regard de l'effort d'équipement militaire de la nation.

Enfin, toujours dans le domaine financier, il a rappelé que l'effort en faveur des équipements avait été rendu possible par le recours à des ressources exceptionnelles, qu'il s'agisse des recettes des comptes d'affectation spéciale ou bien des recettes du plan de relance. Il a noté que ces ressources exceptionnelles n'avaient pas été au rendez-vous en 2009, mais que, malgré cela, et comme l'avait indiqué M. Laurent Collet-Billon, Délégué général pour l'armement (DGA), la faiblesse des ressources exceptionnelles sera compensée par des autorisations supplémentaires provenant de reports de crédits à hauteur de 500 millions d'euros, ainsi que par l'impact de la désinflation pour 100 millions d'euros. Ces effets conjugués devraient limiter le report de charges en fin d'année 2009 à 1 milliard d'euros. Il a estimé que cela n'enlevait rien à la qualité du travail effectué par la DGA, dont tous les interlocuteurs des rapporteurs ont souligné cet année qu'elle avait été remarquable notamment pour mettre en oeuvre, c'est-à-dire contractualiser, en un laps de temps très court, un montant aussi important de commandes publiques.

Ensuite, M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis, a fait une deuxième série de remarques sur la mise en oeuvre des programmes. Il a distingué les programmes dont l'exécution était satisfaisante, ceux pour lesquels elle l'était moins et, enfin, ceux pour lesquels elle était inquiétante.

Dans la catégorie des programmes donnant satisfaction, il a pris pour exemples les programmes Rafale et véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI).

S'agissant du programme Rafale, dont il a visité, cette année, avec son collègue Jacques Gautier, les chaînes de fabrication à l'usine Dassault de Bordeaux Mérignac, il a souligné qu'il s'agissait, certes, d'un programme ancien mais qui n'a pas connu de problèmes techniques, ni de dérapages de coûts, malgré un décalage de dix ans dû à des raisons budgétaires. Les avions sont assemblés au rythme d'un par mois, ce qui est un rythme extraordinairement faible en termes industriels et difficile à soutenir. Le ministre de la défense a commandé cette année la quatrième tranche de Rafale, libérant ainsi l'industriel de ses inquiétudes quant au maintien d'une production suffisante dans le temps, en raison de l'absence de commandes fermes à l'exportation, pour l'instant. Il a indiqué que la commande d'avions de combat était un acte politique avant d'être le résultat d'une compétition technique. Par le passé, le Rafale a été écarté de marchés - comme à Singapour ou en Corée, où pourtant il avait été vainqueur de la compétition technique, et ce pour des raisons exclusivement politiques.

Le rapporteur a ensuite indiqué sa satisfaction devant le déroulement du programme VBCI dans le respect de la programmation, sans dérapages de coût et qui aboutit à un produit technologiquement adapté à la satisfaction du besoin.

Dans la deuxième catégorie, celle des programmes qui vont moins bien, M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis, a rangé l'avion de transport militaire A400M et les Frégates multi missions, FREMM.

S'agissant de l'A400M, il a rappelé le rapport de ses collègues Jacques Gautier et Jean-Pierre Masseret et a indiqué que, depuis la publication de ce rapport, les problèmes techniques avaient été surmontés, moyennant l'étalement des spécifications dans le temps sur trois standards de livraison. Les spécifications les moins importantes ont été abandonnées, comme la possibilité de faire du suivi de terrain à basse altitude en pilotage automatique. Un premier vol devrait avoir lieu dans les dix premiers jours de décembre 2009. Le premier avion livré aux forces françaises devrait l'être à la fin de l'année 2012, avec quatre ans de retard sur le calendrier initial. Le surcoût de l'opération entre l'industriel et les Etats sera à partager selon des modalités qui font actuellement l'objet de négociations. Certains Etats ont accepté de réduire le nombre d'avions livrés pour le même prix. C'est le cas du Royaume-Uni qui accepte de n'avoir que 19 avions au prix des 25 commandés, ce qui reflète une augmentation de 30 % du prix unitaire de l'avion. D'autres Etats, comme la France, préfèrent étaler dans le temps les livraisons.

Concernant le programme des FREMM, dont il a visité le chantier de construction à Lorient, avec son collègue Jacques Gautier, il n'y a jamais eu de retard dû à des problèmes techniques. En revanche, ce programme a été sous-financé. La cible de programmation initialement fixée à 17 frégates a été ramenée à 11, avec de surcroît une modification de la commande consistant en trois frégates anti-aériennes FREDA. L'équilibre financier du contrat a donc été profondément bousculé, ce qui s'est traduit par des difficultés pour l'industriel DCNS et un surcoût financier pour l'Etat que le DGA évalue à 22 %.

Enfin, M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis, a abordé les programmes pour lesquels des inquiétudes se manifestaient.

Le premier est celui du programme Multi-Role Transport and Tanker (MRTT), destiné à pourvoir au remplacement de la flotte de ravitailleurs en vol actuellement composée de Boeing KC-135. Compte tenu du retard de l'avion de transport A400M, l'anticipation de ce programme aurait été une bonne chose. Cela n'a pas été possible pour des raisons de désaccord sur le prix entre EADS et la DGA. Il a estimé que le résultat de cette mésentente était regrettable et que la question se posait de savoir quand serait lancé le programme MRTT.

Son second sujet de préoccupation concerne le missile Milan. Le retour d'expérience d'Afghanistan a en effet conduit l'état-major des armées à faire évoluer le besoin opérationnel pour la succession du Milan. La nécessité d'avoir des missiles de type « tire et oublie » capables d'être tirés à partir de milieux confinés (maisons, terrains accidentés) conduit à écarter le Milan ER de MBDA au profit de l'achat sur étagères de l'un des deux seuls missiles capables de répondre à ce nouveau besoin : le Spike de l'israélien Rafael ou le Javeline de l'américain Raytheon environ trois fois plus onéreux que le Milan ER. Indépendamment du besoin opérationnel des armées, dont il a estimé qu'il n'appartenait pas aux parlementaires de juger, ce sont les délais et la procédure retenus pour choisir le successeur du Milan qui font débat. Ces délais et cette procédure risquent en effet de provoquer la sortie de l'industriel européen MBDA de ce segment du marché et, malgré la « francisation » demandée des matériels, aboutir à une perte de souveraineté industrielle. Cette perte de souveraineté risquerait de se propager à l'ensemble de la trame missile moyenne portée terrestre, en particulier pour ce qui est des missiles tirés à partir d'hélicoptères.

Enfin, il a fait état de deux autres sujets de préoccupation. La première concerne le projet de drone MALE. La solution proposée par EADS suscitait en effet encore beaucoup d'interrogations de la part de la DGA. Dassault-Thales continue de travailler à un projet de Système de Drone MALE (SDM) mais le risque de s'orienter, là encore, vers un achat sur étagères existe. La question de la défense anti-missiles balistiques constitue le second sujet de préoccupation.

En conclusion, M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis, a souhaité faire part de deux observations de portée générale.

La première est que la France est arrivée à un stade dans l'évolution de ses armées où la nécessité d'opérer des choix se fait de plus en plus pressante. Il a constaté qu'il était difficile, pour des raisons budgétaires, d'assurer le suivi correct de tous les programmes en cours. Le Rafale, les FREMM, les VBCI, ont vu leur cible de programmation diminuer de façon significative. Par ailleurs, la défense a eu à supporter des charges budgétaires non prévues, comme dans le cadre du programme A400M. Enfin, certains programmes ont du mal à être lancés - alors que leur intérêt stratégique pour l'industrie française, aussi bien que leur besoin opérationnel pour les forces armées, ne font aucun doute, tels les drones, le MRTT ou la défense anti-missile. Il a observé que, malgré tous les efforts indiscutables effectués en faveur de l'équipement, l'impression domine que les armées manquent toujours d'équipement et qu'on est toujours en train de « bricoler » des solutions pour faire aussi bien avec moins.

S'interrogeant sur les raisons de cette situation, il a invoqué l'hypothèse qu'on ne savait pas accorder nos ambitions à nos moyens. Peut-on être présent en Afrique, en Afghanistan et dans beaucoup de pays du monde avec les moyens dont on dispose ? Il a estimé qu'il fallait soit se donner les moyens de ses ambitions, soit réduire les ambitions aux moyens.

Il s'est également demandé si on avait su choisir parmi toutes les fonctions et parmi tous les équipements. Il a cité le cas du porte-avions comme étant de ce point de vue emblématique. Compte tenu des contraintes d'entretien de ce type de navire, avoir un porte-avions en permanence à la mer, exige, à l'évidence, d'en avoir deux. Le choix budgétaire du porte-avions était donc zéro ou deux. Or, il a été décidé de n'en faire qu'un, ce qui constitue le plus mauvais choix. Il s'est interrogé sur l'avenir du Charles-de-Gaulle dans l'hypothèse du renoncement à second porte-avions, le PA2 : le vendre ? Le garder ? Et inversement, quels programmes sacrifier en cas de construction du PA2 ?

Enfin, M. Daniel Reiner, co-rapporteur pour avis, a évoqué l'Europe de la défense. Il a constaté que l'habitude avait été prise de penser l'Europe de la défense comme le moyen de faire à plusieurs ce que l'on ne pouvait pas faire tout seul, c'est-à-dire de compenser les faiblesses budgétaires individuelles de chacun par un effort collectif. Il a estimé que cette conception des choses était un échec.

Les Britanniques sont, de tous les Européens, ceux qui, dans le domaine de la défense, ressemblent le plus aux Français, mais ils ne se pensent guère comme Européens et cela risque de s'aggraver en cas de victoire du parti conservateur aux élections de 2010. Leur politique étrangère se décide, pour l'essentiel, avec l'accord de Washington. Cela n'aide pas la construction d'une Europe de la défense. Les Allemands s'efforcent, quant à eux, de reconstruire, brique après brique, les éléments d'une industrie de défense autonome, ce qui, là encore, rend moins aisées les coopérations. Les autres Européens soit par atavisme, soit par intérêt, soit par reconnaissance sincère ont plus confiance dans le grand allié américain que dans ce qu'ils considèrent comme une improbable Union européenne de la défense.

Il en a conclu que l'addition des différents intérêts nationaux ne suffisait pas à dégager un intérêt commun européen de nature à permettre la construction d'une Europe de la défense.

Il a estimé que, au stade de l'examen du programme 146, il ne lui appartenait pas d'apporter de réponse. Mais, compte tenu de l'importance que joue ce programme dans la construction de l'Europe de la défense et de son rôle structurant de la base industrielle, il souscrivait entièrement à la démarche de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat de faire de l'Europe un des axes principaux de ses réflexions pour l'année à venir.

En conclusion, il a suggéré, en sa qualité de co-rapporteur pour avis, à la commission d'adopter les crédits de la mission défense tout en indiquant qu'à titre personnel, il voterait contre.

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