Intervention de Richard Yung

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 juillet 2011 : 1ère réunion
Renforcement de la lutte contre la contrefaçon — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur :

La proposition de loi fait suite au rapport, qu'en février dernier, M. Béteille et moi-même avions consacré à l'évaluation de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Trois ans après, le moment était effectivement venu de dresser un bilan et de proposer des améliorations. Le Sénat est bien ici dans son rôle d'évaluation des politiques gouvernementales.

Pour renforcer la lutte contre la contrefaçon, le texte aborde essentiellement quatre grands domaines : la spécialisation des tribunaux ; le calcul et la détermination des dommages et intérêts ; le droit à l'information et le droit de la preuve ; et, enfin, le renforcement significatif du pouvoir de la douane.

La spécialisation des tribunaux et des magistrats, d'abord. Sans détailler les raisons qui militent pour une centralisation du contentieux civil, rappelons qu'un nombre minimal d'affaires par magistrat (110 cas par an selon la Chancellerie) est indispensable pour dégager une jurisprudence stable et de qualité. Soulignons aussi que le système juridictionnel français sera en compétition avec la juridiction communautaire ou semi-communautaire des brevets qui verra bientôt le jour. La loi de 2007 a amorcé le mouvement : le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a désormais compétence unique sur toutes les affaires de brevet ; 10 TGI sont spécialisés dans les affaires de marques ainsi que de dessins et modèles -celles intéressant les titres communautaires sont regroupées à Paris-; 10 TGI sont spécialisés dans les affaires d'obtentions végétales et 10 dans la propriété littéraire et artistique. Résultat, les affaires de propriété intellectuelle sont déjà extrêmement centralisées à Paris : 2 171 sur 2 918 en 2010. M. Laurent Béteille souhaite poursuivre sur cette voie en limitant le nombre de TGI compétents en matière de propriété intellectuelle à 5. Par parenthèse, il suggère d'en faire de même pour les indications géographiques - j'y reviendrai.

Cette proposition, si elle fait l'objet d'un certain soutien parmi les professionnels -avocats, conseillers en brevets et personnes travaillant dans la propriété littéraire et artistique-, suscite l'opposition assez nette de la Chancellerie. Celle-ci invoque un manque de recul, car les décrets de la loi de 2007 sont parus seulement en 2009 et 2010 ; elle souligne aussi les problèmes politiques que poserait, après la récente réforme de la carte judiciaire, le choix des 5 tribunaux compétents.

Pour que ce texte soit adopté avant la fin de la législature, nous devons trouver un accord avec la Chancellerie. Nous pouvons le trouver dès lors que le gouvernement s'est engagé à reprendre par voie de circulaire certaines de nos propositions sur la carrière des magistrats.

Le contentieux pénal constitue notre point faible : les plaignants hésitent à aller au pénal, les peines prononcées sont faibles, discutables et discutées... Quelle est la situation actuelle ? Une véritable usine à gaz ! Les affaires de contrefaçon d'une « très grande complexité », au nombre de 35 par an environ, relèvent des 8 juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) ; les affaires « d'une grande complexité », elles, sont traitées par les 35 juridictions régionales spécialisées ; enfin, les 164 tribunaux correctionnels de France ont tous compétence sur les « affaires ordinaires ». Ne me demandez pas la différence entre les affaires « d'une très grande complexité » et les affaires « d'une grande complexité » : le procureur en juge seul, parfois avec difficulté, dans la solitude de son cabinet...

Ce système, assez compliqué, gagnerait à être simplifié : 8 JIRS et 4 ou 5 tribunaux correctionnels situés dans les mêmes endroits. Cela permettrait de développer les chambres mixtes où siègent juges civils et juges pénaux - l'expérience avait été un succès à Paris avant d'être abandonnée en raison du faible nombre d'affaires. La Chancellerie est résolument opposée à ce projet : cette voie, qui reviendrait à envisager à terme un tribunal spécialisé pour chaque domaine du droit, conduirait à un « démembrement du système judiciaire ». Pour autant, le pied est déjà dans la porte... Les affaires de pollutions maritimes sont déjà regroupées au sein de 4 tribunaux : Le Havre, Brest, Marseille et Paris.

La Chancellerie s'étant engagée à faire siennes certaines de nos propositions -entre autres, confier les dossiers de propriété intellectuelle à un magistrat plutôt que de les disperser entre les chambres -, nous suggérons à la commission de la suivre. Cependant, nous reprendrons, j'en suis certain, ce dossier de la spécialisation des tribunaux dans trois à quatre ans, lorsque la pression communautaire sera plus forte. C'est clairement la voie de l'avenir !

Ensuite, le calcul et la détermination des dommages et des intérêts. Pour que la contrefaçon ne soit pas une faute lucrative, il faut frapper au portefeuille. Afin d'encourager les juges, qui se montrent assez timides, à prendre cette direction, la proposition de loi décompose les dommages et intérêts en trois éléments : les conséquences économiques subies par la victime ; le préjudice moral que nous avons finalement renoncé à définir, ainsi que les bénéfices réalisés par le contrefacteur. La nouveauté tient à la possibilité de confisquer la totalité des recettes réalisées par les contrefacteurs. Le but est, non de prévoir des dommages et intérêts punitifs, mais d'affecter le fruit de l'indu au dédommagement de la victime. Après des débats longs et complexes, nous sommes parvenus à un accord entre toutes les parties, y compris la Chancellerie.

J'en viens au droit à l'information. Celui-ci permet au juge d'obtenir des renseignements sur les réseaux de contrefaçon ; entre autres, les prix et la distribution. Il importe d'encourager les juges à utiliser davantage cette possibilité dès l'instruction. De fait, ceux-ci ont tendance à attendre la saisie-contrefaçon pour la mettre en oeuvre.

La douane, enfin. A notre grande surprise, elle ne connaît guère des brevets. Cette situation s'explique sans doute par des raisons historiques : l'importance de la marque dans le modèle français. D'où la proposition de M. Béteille : donner aux douanes des moyens d'action identiques, retenues et prohibitions, pour tous les titres de propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles, droits d'auteur, droits voisins, brevets, obtentions végétales et indications géographiques). Quelques mots du transbordement : l'affaire concerne les marchandises en provenance de pays-tiers et transitant par le territoire national vers un autre pays-tiers. Il semblerait légitime que notre douane intervienne en cas de conteneur rempli de médicaments contrefaisants à Roissy. C'est sans compter les pressions que l'Inde, l'Afrique du Sud ou le Brésil font peser sur l'Union européenne dans les négociations. Ceux-ci accusent les pays développés de ne pas appliquer les accords de Doha, en particulier sur les médicaments. Résultat, l'Union est prête à lâcher du lest.

Pour finir, les délais de prescription auxquels le président Hyest avait consacré un excellent rapport. En matière de propriété industrielle, les délais de prescription sont de 3 ans tandis que certains délais de prescription en matière de droit d'auteur sont curieusement fixés à 10 ans. Je vous propose un alignement, dans tous les cas, à 5 ans ; une proposition qui fait l'objet d'un large accord.

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