J'ai voulu rapporter aujourd'hui cette proposition de résolution européenne, déposée le 17 mai 2010 par Mme Boumediene-Thiery et ses collègues, en raison de la tenue d'un Conseil européen le 14 juin. J'ai cherché, en accord avec son auteur, à modifier le texte proposé par la commission des affaires européennes pour des raisons de délai, donc, mais aussi de fond, l'objectif étant de le rendre utile et conforme à l'esprit d'une résolution européenne. Le texte visait à l'origine à inscrire une clause de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre dans l'accord de partenariat entre les Etats ACP et la Communauté européenne, signé en 2000, lors de sa deuxième révision quinquennale en 2010. Si cet accord est essentiellement économique, il prévoit également la tenue d'un dialogue politique sur l'égalité entre hommes et femmes ainsi que sur la non-discrimination ethnique, religieuse ou raciale à l'article 8 et réitère l'attachement des parties au respect de leurs engagements internationaux en matière de respect des droits de l'homme à l'article 9.
Qu'entend-on par orientation sexuelle et identité de genre ? Pour reprendre la définition qui vient d'être solennellement consacrée par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, « l'orientation sexuelle est la part profonde de l'identité de chaque être humain et englobe l'hétérosexualité, la bisexualité et l'homosexualité ». J'attire votre attention sur la notion d'identité de genre, moins connue. Elle désigne l'expérience intime qu'a chaque personne de son propre genre, qui peut différer de son identité biologique. Pour exemple, des hommes se ressentent femmes, et réciproquement. Une personne transgenre est celle qui a engagé ou achevé un processus définitif et irréversible de conversion sexuelle pour vivre en accord avec le genre correspondant à son ressenti intérieur. Cette notion s'applique donc aux personnes ayant suivi une simple hormonothérapie, contrairement à la notion de personne transsexuelle qui se réfère aux seules personnes ayant procédé à l'opération de réassignation sexuelle -ablation des organes génitaux d'origine et remplacement par des organes génitaux artificiels du sexe revendiqué. Le ministère de la justice en a pris acte en invitant, dans une circulaire du 14 mai dernier, l'état-civil à accepter les demandes de changement de sexe dès lors que le processus de conversion est définitif et irréversible, même en l'absence d'opération chirurgicale. Le droit à la vie privée justifie que l'état-civil indique le sexe dont la personne a désormais l'apparence.
Lorsque la commission des affaires européennes a examiné le texte, elle a relevé, comme nous, que les deux derniers alinéas de la proposition ne correspondaient pas à la chronologie des négociations entre l'Union et les pays ACP. De fait, le premier d'entre eux invite la Commission à parvenir à un compromis à ce sujet dans le projet d'accord de Cotonou révisé. Or les négociations, ouvertes en mai 2009, ont été conclues en mars 2010. De même, il est trop tard pour demander au Gouvernement français de défendre une telle position en vue de la signature prochaine de cet accord. En conséquence, la commission des affaires européennes a préféré inviter la Commission européenne et le Gouvernement à obtenir l'insertion d'une mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre lors de la prochaine révision de l'accord de Cotonou en 2015.
Je propose d'adopter la proposition en modifiant son dispositif, mais non ses considérants. Chacun sait que les personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres de même que les associations qui les défendent se heurtent parfois à des attitudes hostiles ainsi qu'à des préjugés tenaces, y compris au sein des démocraties occidentales. Quand 66 Etats, à l'initiative de la France et de l'Argentine, ont réaffirmé l'application du principe de non-discrimination à chaque être humain, indépendamment de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, dans une déclaration commune le 18 décembre 2008 lors de l'assemblée générale des Nations Unies, quand le Conseil de l'Europe s'est saisi de cette question à travers une recommandation du comité des ministres et une résolution de l'assemblée parlementaire, il est regrettable que les pays de l'ACP se soient résolument opposés à inscrire toute référence à cette notion dans l'accord de Cotonou révisé. Les discriminations à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre méritent pourtant d'être mentionnées en tant que telles, particulièrement dans le contexte africain où l'homosexualité est mal acceptée. La proposition met opportunément en exergue la nécessité de dépénaliser l'homosexualité dans ces pays, plus durement réprimée parfois qu'il y a quinze ou vingt ans. Ensuite, elle appelle les pays de l'ACP à combattre les discriminations à raison de l'identité de genre, soit les discriminations dans l'accès au logement, à l'emploi, aux services publics qui interviennent durant le processus -dont je rappelle qu'il est définitif et irréversible- de transition sexuelle. Notons que de telles discriminations sont constatées dans notre pays, relève une récente délibération de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Pour les juridictions nationales et communautaires, toute discrimination à l'égard de la personne ayant engagé un processus de conversion revient à une discrimination à raison du sexe.
Le dispositif doit toutefois être adapté à la logique de la résolution européenne prévue à l'article 88-4 de la Constitution. De fait, celle-ci a pour but d'adresser un message politique au Gouvernement et, le cas échéant, aux instances communautaires, mais non à des pays tiers, fussent-ils liés par un accord à l'Union. Dans le cas contraire, le texte relèverait de la résolution prévue à l'article 34-1 de la Constitution, qui n'a pas encore été mis en oeuvre au Sénat.
D'où la nécessité de modifier le point 6 : plutôt que d'exhorter les Etats parties à l'accord à respecter le principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, visons les députés européens membres de l'Assemblée parlementaire paritaire. Cet organe consultatif, prévu par l'accord de Cotonou et composé à parité de députés européens et de parlementaires des pays de l'ACP, est notamment chargé de « promouvoir les processus démocratiques par le dialogue et la concertation. »
Ensuite, il faut viser la révision de l'accord de 2010, comme le faisait la proposition initiale, et non celle de 2015, trop lointaine, en faisant référence au Conseil de l'Union européenne du 14 juin 2010 au cours duquel l'Union décidera officiellement de signer l'accord de Cotonou révisé. Je rappelle que, si personne ne demande l'inscription de cette proposition à l'ordre du jour du Sénat, celle-ci deviendra la résolution du Sénat au terme d'un délai de trois jours francs suivant la date de la publication du rapport de la commission. En conséquence, je propose que la résolution « invite le Gouvernement, lors du Conseil des ministres de l'Union européenne du 14 juin 2010, à déclarer que la France regrette que l'accord de Cotonou révisé ne comporte pas de mention explicite du principe de non-discrimination en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. »
Au bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter la proposition de résolution modifiée.