Intervention de Jean-Paul Emorine

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 19 janvier 2011 : 1ère réunion
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine, président :

Dans son discours du 2 mars 2010, le Président de la République a demandé aux parlementaires de consacrer une partie de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et du Sénat à « délégiférer ». Puis, lors de la conférence sur le déficit de mai 2010, il a annoncé un moratoire sur l'édiction des normes concernant les collectivités territoriales.

Le 6 juillet 2010, le Premier ministre a adressé une circulaire aux ministres indiquant que le moratoire s'appliquait à l'ensemble des mesures règlementaires concernant les collectivités territoriales dont l'adoption n'est commandée ni par la mise en oeuvre d'engagements internationaux, ni par l'application des lois. S'agissant de ces deux dernières, elles devront être soumises à la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN). En outre, M. Rémy Bouchez, Conseiller d'Etat, a été nommé par le Premier ministre pour être commissaire à la simplification. Il devra notamment piloter l'application de ce moratoire et veiller à l'organisation des travaux à engager pour simplifier les règles en vigueur.

Enfin, le Premier ministre a saisi les associations d'élus locaux afin qu'ils recensent les domaines dans lesquels une révision générale des normes devrait être prioritairement engagée du fait des dépenses qu'elles induisent pour les collectivités.

S'agissant du Sénat, le Président de la République a demandé à son Président de formuler des propositions concernant les normes applicables aux collectivités territoriales, en vue de la mise en oeuvre du moratoire annoncé et de leur simplification. A la suite de cette demande, le Président Gérard Larcher a fait part aux présidents de commission et de délégation de son souhait de connaître les domaines dans lesquels une simplification voire une suppression des normes pesant sur les collectivités territoriales devrait être engagée. Notre débat d'aujourd'hui me permettra de remettre notre contribution au président de la Délégation aux collectivités territoriales, qui devra rendre un rapport d'ici la mi-février.

J'ai jugé indispensable, sur ce sujet, de vous consulter, afin que nous puissions lister tous les domaines relevant de notre compétence, et intéressant les collectivités territoriales, dans lesquels une simplification des normes devrait être menée. J'insiste sur ce point : la demande porte uniquement sur les normes pesant sur les collectivités territoriales ; la simplification relative aux entreprises, qui ressort de la compétence de notre commission, en est donc par exemple exclue.

D'ores et déjà, il me semble que l'on peut identifier les secteurs du logement et de la construction, de l'urbanisme et de l'environnement comme comportant des normes lourdes et exigeantes financièrement pour les collectivités.

S'agissant des normes de construction, d'après une enquête menée par l'Association des maires de France (AMF), les élus citent en premier lieu, parmi les normes les plus exigeantes financièrement, celles relatives à l'accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées. Selon la Fédération des associations adultes et jeunes handicapés et la Fédération française du bâtiment, sur les 650 000 établissements recevant du public qui doivent être rendus accessibles aux handicapés d'ici 2015, 173 000 sont gérés par les collectivités territoriales, dont 158 000 par les communes. Le montant moyen des travaux pour les communes est estimé à 66 000 euros par bâtiment, allant de 10 000 euros pour un bâtiment de la police municipale à 183 000 pour une école primaire. Au total, le coût des travaux de mise en accessibilité se chiffrerait à 15 milliards d'euros, soit 3 % par an des 50 milliards d'euros investis par les collectivités territoriales pour l'entretien de leurs bâtiments publics, d'après une estimation de Dexia. Outre les règles d'accessibilité, la prise en compte de nouvelles exigences dans les constructions neuves ou dans les réhabilitations lourdes pèse sur le coût des opérations immobilières, qu'il s'agisse des normes liées à l'environnement (haute qualité environnementale, bâtiments basse consommation) ou à la sécurité (électricité, gaz etc.).

S'agissant de l'urbanisme, les pistes de simplification sont nombreuses. Les maires citent l'élaboration des documents d'urbanisme, notamment en milieu rural, la mise en oeuvre de la « loi montagne » et de la « loi littoral », l'instruction des permis de construire, notamment pour les communes sans document d'urbanisme, et la gestion des contentieux.

Sur ce sujet, un important travail est en cours, sur le fondement de l'article 25 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle II », par laquelle nous avons habilité le Gouvernement à clarifier le code et simplifier les procédures d'élaboration et de révision des documents d'urbanisme ainsi que la définition des surfaces de plancher. Le secrétaire d'Etat au logement, Benoist Apparu, a mis en place quatre groupes de travail pour réfléchir à la mise en place d'un « Urbanisme de projet », qui devraient rendre leurs conclusions en mars prochain. En outre, la direction de l'habitat et de l'urbanisme du ministère va lancer un appel d'offres en 2011 auprès notamment des cabinets d'avocats pour lister toutes les pistes de simplification du code de l'urbanisme. D'ores et déjà, la fiscalité a été simplifiée, puisque la taxe d'aménagement, instituée par la loi de finances rectificative pour 2010, devrait remplacer les nombreuses participations d'urbanisme existantes.

J'estime pour ma part qu'un des chantiers prioritaires, sur lequel des propositions ambitieuses doivent être formulées, concerne les procédures de modification et de révision des documents d'urbanisme, notamment des plans locaux d'urbanisme (PLU). Les contraintes liées à ces procédures devraient tout d'abord être davantage adaptées à la taille des communes, qui n'ont pas toutes la capacité financière de réaliser des études. Il faudrait d'ailleurs aider financièrement les petites communes pour la réalisation de ces études, bien souvent d'insuffisante qualité faute de moyens suffisants.

Les élus soulignent fréquemment la difficulté et la longueur des enquêtes publiques lors des procédures d'évolution des documents d'urbanisme, qui sont actuellement au nombre de huit. Il faudrait réfléchir à la fusion de certaines procédures et à la possibilité de réaliser des projets sans modifier le document d'urbanisme, dès lors qu'ils ne nécessitent qu'une adaptation mineure de ses règles. Le projet serait ensuite pris en compte au moment de la révision générale du PLU. Une utilisation plus importante de la procédure de déclaration de projet, encore mal connue, constitue également une piste intéressante.

Au-delà de la simplification, il est impératif, en matière d'urbanisme, de donner du temps aux élus pour appliquer les nouvelles normes, et c'est ce que nous avons fait récemment, en donnant un long délai pour adapter les documents d'urbanisme aux nouvelles dispositions de la loi « Grenelle II ».

Enfin, dans le domaine de l'environnement, j'observe d'abord qu'en 2009, les textes portés par le ministère de l'écologie devant la CCEN ont représenté 25 % du total des textes présentés à la commission, devant le ministère de l'intérieur (17 %) et du travail (13 %), et loin devant tous les autres. En revanche, les coûts induits qu'ils induisaient ne représentaient que 6,4 % du coût total des textes examinés par la CCEN. Ce constat incite à se garder d'une vision simpliste en la matière, en prenant en compte les effets à long terme de certaines réglementations : par exemple, les normes basse consommation engendrent des coûts initiaux qui doivent être compensés ultérieurement par des économies d'énergie.

Les secteurs liés à l'environnement dans lesquels une simplification serait souhaitable sont nombreux. D'après les élus eux-mêmes, interrogés par l'AMF, il s'agit prioritairement des domaines suivants : l'assainissement non collectif (élaboration du zonage, incidences financières et techniques des normes en matière d'équipement, visites diagnostic des installations), l'assainissement collectif (conséquences de la loi sur l'eau sur les réseaux existants), les normes de qualité de l'eau potable, la création de réserves d'eau (lutte contre les incendies et alimentation du bétail), les inventaires des zones humides et la gestion des pistes et sentiers forestiers.

J'ajouterai pour ma part, comme chantier prioritaire de simplification, la réduction des contraintes qui freinent, voire qui bloquent, la réalisation des projets. Une bonne démarche devrait consister à étudier de quelle manière alléger le « parcours du combattant » des porteurs de projets :

- il y a d'abord la multiplication des études, souvent demandées au titre de législations différentes : il faudrait en la matière vérifier l'utilité de chaque étude demandée, fusionner autant que possible l'ensemble des études (évaluation environnementale, étude de sécurité, prescriptions paysagères, etc.) en précisant qu'une étude peut comporter l'ensemble des éléments demandés au titre des diverses législations et exonérer les projets en-deçà d'une taille raisonnable ;

- il faudrait appliquer le même raisonnement en matière de consultation du public et d'enquêtes publiques : réduire le nombre de procédures, ce que nous avons commencé à faire avec la loi « Grenelle II », les fusionner et adapter leurs exigences à la taille du projet.

Par ailleurs, je constate que le moratoire sur les normes ne s'applique pas à celles liées à nos engagements européens. Ceci peut se concevoir mais il ne faut pas oublier que dans le secteur de l'environnement, la grande majorité des textes provient de directives européennes. Il est donc impératif, d'une part, que le Gouvernement évalue mieux les incidences sur les collectivités territoriales des normes qu'il accepte au niveau européen. Nous avons tous en tête l'exemple de Natura 2000. La commission consultative des normes pourrait, en ce sens, être saisie sur les projets européens ayant une incidence sur les collectivités. D'autre part, il y a plusieurs façons d'appliquer le droit européen et, là encore, la CCEN doit jouer tout son rôle pour vérifier que la France ne prend pas des mesures inutilement complexes par rapport aux textes européens.

Je pense enfin qu'il faudrait recenser non seulement les normes à simplifier mais aussi les normes qui sont systématiquement sources de contentieux et d'interprétations locales divergentes, notamment par les services de l'Etat. Celles-ci ne sont pas forcément à supprimer, mais doivent être reformulées de manière claire, le cas échéant par voie de circulaire, à destination des services déconcentrés.

Je vous propose à présent, mes chers collègues, de me faire part de vos suggestions concernant les normes applicables aux collectivités territoriales qui devraient faire l'objet d'une simplification.

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