Nous avons le plaisir d'accueillir M. Henry Laurens, professeur au collège de France où vous vous occupez de la chaire « histoire contemporaine du monde arabe ». En énonçant l'intitulé de votre chaire, nous avons posé le cadre de votre audition devant notre commission. C'est bien évidemment vos analyses et votre point de vue d'historien sur ces presque quatre mois de révoltes arabes, si nous situons au 17 décembre le début des mouvements en Tunisie, qui nous intéressent.
Quels sont les points communs de ces événements ? La demande de démocratie que nous constatons a radicalement changé l'image et la perception que nos opinions publiques ont des aspirations démocratiques d'un monde arabe que nous estimions peu doué pour la démocratie. Le rejet d'une corruption endémique et la question de la répartition des fruits de la croissance ont été également des motivations puissantes, sans doute aussi avec une ouverture de la jeunesse, nombreuse et aux perspectives bouchées, ouverte sur la mondialisation et ses outils de communication.
Mais vous replacerez sans doute ces « déclencheurs » dans une perspective de plus long terme.
Pour autant ces points communs des révoltes s'inscrivent dans la spécificité et la diversité des situations qui varient considérablement d'un pays à l'autre. Je pense à des situations aussi diverses que celle qui prévaut en Egypte où l'armée joue un rôle central qui risque d'être débordée par une révolte sociale. Saura-t-elle, pour gérer cette situation, revenir et abandonner une partie de ses privilèges. La problématique est différente en Irak mais là aussi, la contestation sociale prend le relai de la crise politique.
Je pense au Maroc réformateur, à la Tunisie. Est-elle un modèle ? Où va la Libye, les forces rebelles seront-elles capables de trouver une unité et une cohérence et prendre le destin de leur peuple en main ? Faute de quoi nous risquerions un enlisement ou un abandon l'un comme l'autre dramatique.
La grille d'analyse n'est pas simple. Encore n'ai-je cité que quelques pays alors que la crise traverse tout le monde arabe et qu'elle risque de raviver des tensions religieuses entre chiites et sunnites. Les répercussions en Arabie Saoudite, qui peine à se réformer, pourraient être considérables. Il en va de même pour la minorité alaouite au pouvoir en Syrie.
Quelles seront les conséquences de ces mouvements sur le conflit israélo-palestinien qui se radicalise une fois de plus devant la poursuite de la colonisation ? Ces mouvements changent-ils la perception qu'a la rue arabe d'Israël et de l'Occident en général. Pour l'instant ces révoltes n'ont pas ciblé l'Occident mais la poursuite de notre engagement en Libye ne risque t-il pas de raviver ce sentiment ? Une avancée de la démocratie serait-elle de nature à affaiblir des mouvements comme le Hamas ou le Hezbollah qui espèrent la victoire à long terme des Frères musulmans en Egypte ? Permettrait-il de contenir un peu plus l'Iran ?
Pouvons-nous discerner dans les événements en cours les lignes de force qui nous permettraient d'éclairer l'avenir à moyen terme ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour la conduite de notre politique étrangère ?
Comme vous le voyez, nous avons beaucoup de questions mais sans doute avez-vous beaucoup de réponses à nous apporter.