Intervention de Egemen Bagis

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 avril 2011 : 2ème réunion
Audition de M. Egemen Bagis ministre chargé des affaires européennes et négociateur en chef de la turquie pour les négociations d'adhésion avec l'union européenne

Egemen Bagis :

Nous avons en effet pu discuter la semaine dernière sur les négociations d'adhésion et sur les évènements du Maghreb et du Machrek. Il m'est agréable de poursuivre nos échanges, ici, dans un cadre plus large ; je vous remercie de votre chaleureux accueil et de me permettre de m'entretenir avec des représentants du peuple français après avoir rencontré depuis ce matin la presse française, puis les ministres M. Laurent Wauquiez et M. Bruno Le Maire.

Les relations entre la France et la Turquie remontent à 400 ans et la première des représentations que la France ait jamais ouvertes à l'étranger fut le Palais de France, sis dans ma circonscription d'Istanbul.

Plus d'un million d'Européens viennent chaque année en Turquie et nous avons avec la France toute une série de projets menés conjointement. Sur le plan international, même si nous ne sommes pas toujours d'accord, l'important c'est que nous oeuvrons autour de valeurs communes : les droits de l'homme, l'État de droit et notre projet d'adhésion à l'Union européenne. Pour celle-ci, deux nouveaux chapitres ont été ouverts sous la présidence française et j'ai eu aujourd'hui confirmation que, pour le président Sarkozy, en dehors des cinq chapitres sur lesquels il y a blocage, les trente autres ne posent pas de problème et, préférant voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, ce sont ceux-là que je veux considérer.

Dans les Balkans occidentaux, la Turquie s'efforce d'oeuvrer pour la paix. La médiation menée l'an dernier par notre Premier ministre entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie montre que nos efforts sont couronnés de succès. La semaine dernière, nous étions en Macédoine, pays central en Europe, où Kemal Atatürk fit sa formation militaire. Aujourd'hui, la France et la Turquie coopèrent en Libye, qui fit aussi partie de l'Empire ottoman. Il nous importe beaucoup que la paix et la prospérité règnent dans ces régions car, si vous n'aidez pas à éteindre l'incendie chez votre voisin, le feu peut s'étendre jusqu'à chez vous.

La Turquie, qui détient le Secrétariat général de l'Organisation de la conférence islamique, mène un constant travail de médiation, y compris dans le conflit palestino-israélien. S'il n'y a pas de paix dans les Balkans occidentaux, il n'y aura pas de paix en Europe ni, en conséquence, dans le monde. C'est la même chose pour le Moyen-Orient. Les hommes et les femmes qui, aujourd'hui, descendent dans la rue luttent pour la démocratie et pour de meilleures conditions de vie. Ces pays se comparent à la Turquie. Avec ces populations nous avons des valeurs communes et la Turquie est pour elles une source d'inspiration. Si nos traditions sont communes, la Turquie a pris de l'avance, depuis les Tanzimat de 1839, la création de notre République en 1923 jusqu'à nos négociations d'adhésion. Cette avance, ce modèle que nous constituons pour ces pays justifient que nous soutenions leur demande de démocratie. Mais, pendant ce temps, la Turquie ne doit pas être entravée dans son chemin vers l'Union européenne. Et sur ce point, j'espère le soutien de nos amis français. La Turquie est candidate à l'adhésion, elle joue un rôle dans la politique européenne de sécurité et de défense ; c'est un membre important de l'OTAN, un des plus anciens et des plus expérimentés, et elle entretient, avec les pays en crise du Maghreb et du Machrek, des liens beaucoup plus étroits que bien d'autres pays de l'Organisation.

C'est pourquoi la Turquie s'étonne de ne pas être conviée dans les sommets où sont prises des décisions importantes pour la politique extérieure et de sécurité, alors que la Bulgarie ou la Roumanie y étaient invitées avant même leur adhésion. Malheureusement, depuis plus de quatre ans, la Turquie, ainsi que d'autres pays candidats comme la Croatie ou la Macédoine n'y sont plus invités.

En Libye, il semble que la diplomatie n'a pas été utilisée autant qu'elle aurait pu l'être et que toutes les occasions n'ont pas été saisies. Il y a dans cette région des mécanismes traditionnels ou tribaux dont il faut tenir compte. Qui peut nier les souffrances du peuple libyen ? C'est pour nous un peuple frère qui fit partie de l'Empire ottoman et où Atatürk a risqué sa vie. Nous voulons la fin des effusions de sang, nous voulons, dans le cadre de l'OTAN, créer des couloirs humanitaires et faire parvenir à un cessez-le-feu. Ce n'est pas facile... Notre ministre des affaires étrangères est aujourd'hui en Syrie. Avec la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et les membres de l'OTAN, il nous faut une vision commune. En tout cas, la Turquie n'a aucune prétention territoriale dans ces régions. Elle ne souhaite que la paix et la stabilité. En Libye résident 35 000 de ses concitoyens, dont une partie a été évacuée - avec d'autres étrangers, dont des Français parmi les 25 000 personnes que nous avons rapatriées. Un bateau turc en a ramené jusque dans les hôpitaux d'Izmir. A tous les dirigeants des pays en crise, nous vantons les mérites de la démocratie et leur recommandons de procéder aux réformes que réclament leurs peuples.

Pour notre adhésion, 13 chapitres sur 33 sont ouverts alors que nos réformes devraient permettre d'en faire ouvrir 29. Sur les 20 chapitres restants, 17 demeurent bloqués pour des raisons politiques. Les évènements du Maghreb et du Machrek, et le fait que, pour ces pays, la Turquie soit une source d'inspiration, voire un modèle, devraient modifier la vision que les Européens ont de nous. (Applaudissements)

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