Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 6 avril 2011 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

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  • adhésion
  • turquie

La réunion

Source

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne, conjointement avec la commission des affaires européennes, M. Egemen Bagis, ministre chargé des affaires européennes et négociateur en chef de la Turquie pour les négociations d'adhésion avec l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

C'est avec un immense plaisir que nous vous accueillons aujourd'hui pour vous permettre de vous exprimer devant des sénateurs, mais également des députés français. Permettez-moi de vous transmettre les excuses des Présidents des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes de l'Assemblée nationale, qui n'ont pu être présents aujourd'hui. Mais, je tiens à vous rassurer : la première Chambre est représentée par l'entremise du groupe d'amitié France-Turquie.

Votre visite à Paris est un nouveau signe de la vigueur des liens qui unissent la France et la Turquie depuis déjà plusieurs siècles. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la saison de la Turquie, qui s'est déroulée sur l'ensemble du territoire français entre juillet 2009 et mars 2010, a remporté un tel succès. C'est précisément parce que nos deux pays partagent une longue histoire commune, dont l'origine remonte au XVIe siècle, de nombreux sujets de préoccupation communs et une certaine fascination réciproque - je pense, par exemple, aux nombreux auteurs français qui ont séjourné en Turquie et ont écrit parmi les plus belles pages de la littérature française ou encore à la référence à la France dans la construction de la République de Turquie.

Il est vrai que nos relations connaissent parfois des périodes de crispation, mais pourrait-il en être autrement dans une relation d'amitié aussi longue ? C'est parce que nous sommes amis que nous pouvons nous parler avec autant de franchise et je suis persuadé que les éléments qui nous rapprochent finiront toujours par l'emporter.

Plus personnellement, je voudrais vous dire la joie que j'ai à vous recevoir au Sénat, une semaine après vous avoir rencontré à votre ministère à Ankara. Je profite de cette occasion pour vous renouveler mes remerciements pour l'accueil qui nous a été réservé lors de notre déplacement en Turquie. J'espère que votre séjour à Paris sera aussi constructif pour vous que l'a été le déplacement de la délégation de la commission des affaires européennes la semaine dernière.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je suis très heureux, Monsieur le Ministre, de vous accueillir aujourd'hui au Palais du Luxembourg. Le Président Josselin de Rohan, actuellement en déplacement à Berlin pour parler de la transition en Afghanistan, m'a prié de l'excuser auprès de vous et de vous transmettre un message d'amitié.

Compte tenu du rôle très important joué par la Turquie sur la scène internationale, je souhaiterais vous interroger plus particulièrement sur les orientations de la politique étrangère de votre pays, notamment par rapport aux positions de l'Union européenne. Nous avons tous salué le rôle très positif joué par la Turquie dans les Balkans occidentaux pour favoriser la réconciliation régionale, par exemple lors de la rencontre entre le Président serbe et le Président de Bosnie-Herzégovine, sous l'égide du Président de votre pays. De même, au Caucase ou en Asie centrale, la Turquie a un rôle important à jouer pour favoriser la paix et la stabilité. Votre pays peut aussi aider à la relance du processus de paix israélo-palestinien, que nous espérons tous ici.

Toutefois, sur certains sujets, la position de la Turquie paraît s'écarter de celle de l'Union européenne et de la France. Je pense notamment au dossier du nucléaire iranien ou au renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN. La Turquie s'oppose toujours au renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, malgré les difficultés qu'entraîne cette situation sur les théâtres d'opération, notamment en Afghanistan. Comment, d'après vous, pourrions-nous mieux coordonner la politique étrangère et la politique de sécurité et de défense de l'Union européenne et celle de votre pays ?

Enfin, nous souhaiterions connaître la position de votre pays à l'égard des évènements récents au Maghreb et au Moyen Orient, notamment concernant l'intervention en Libye. Le système politique turc est souvent considéré comme un modèle pour l'ensemble des pays de la région. Par ailleurs, votre pays exerce une influence importante, en matière politique, économique ou culturelle. Or, il semblerait que votre pays ait choisi d'adopter, du moins au début, une position assez prudente et en retrait, comme en témoigne votre refus de participer à l'intervention en Libye. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de ce choix ? Ne pensez vous pas que la Turquie devrait s'impliquer davantage dans la région ?

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

Nous avons en effet pu discuter la semaine dernière sur les négociations d'adhésion et sur les évènements du Maghreb et du Machrek. Il m'est agréable de poursuivre nos échanges, ici, dans un cadre plus large ; je vous remercie de votre chaleureux accueil et de me permettre de m'entretenir avec des représentants du peuple français après avoir rencontré depuis ce matin la presse française, puis les ministres M. Laurent Wauquiez et M. Bruno Le Maire.

Les relations entre la France et la Turquie remontent à 400 ans et la première des représentations que la France ait jamais ouvertes à l'étranger fut le Palais de France, sis dans ma circonscription d'Istanbul.

Plus d'un million d'Européens viennent chaque année en Turquie et nous avons avec la France toute une série de projets menés conjointement. Sur le plan international, même si nous ne sommes pas toujours d'accord, l'important c'est que nous oeuvrons autour de valeurs communes : les droits de l'homme, l'État de droit et notre projet d'adhésion à l'Union européenne. Pour celle-ci, deux nouveaux chapitres ont été ouverts sous la présidence française et j'ai eu aujourd'hui confirmation que, pour le président Sarkozy, en dehors des cinq chapitres sur lesquels il y a blocage, les trente autres ne posent pas de problème et, préférant voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, ce sont ceux-là que je veux considérer.

Dans les Balkans occidentaux, la Turquie s'efforce d'oeuvrer pour la paix. La médiation menée l'an dernier par notre Premier ministre entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie montre que nos efforts sont couronnés de succès. La semaine dernière, nous étions en Macédoine, pays central en Europe, où Kemal Atatürk fit sa formation militaire. Aujourd'hui, la France et la Turquie coopèrent en Libye, qui fit aussi partie de l'Empire ottoman. Il nous importe beaucoup que la paix et la prospérité règnent dans ces régions car, si vous n'aidez pas à éteindre l'incendie chez votre voisin, le feu peut s'étendre jusqu'à chez vous.

La Turquie, qui détient le Secrétariat général de l'Organisation de la conférence islamique, mène un constant travail de médiation, y compris dans le conflit palestino-israélien. S'il n'y a pas de paix dans les Balkans occidentaux, il n'y aura pas de paix en Europe ni, en conséquence, dans le monde. C'est la même chose pour le Moyen-Orient. Les hommes et les femmes qui, aujourd'hui, descendent dans la rue luttent pour la démocratie et pour de meilleures conditions de vie. Ces pays se comparent à la Turquie. Avec ces populations nous avons des valeurs communes et la Turquie est pour elles une source d'inspiration. Si nos traditions sont communes, la Turquie a pris de l'avance, depuis les Tanzimat de 1839, la création de notre République en 1923 jusqu'à nos négociations d'adhésion. Cette avance, ce modèle que nous constituons pour ces pays justifient que nous soutenions leur demande de démocratie. Mais, pendant ce temps, la Turquie ne doit pas être entravée dans son chemin vers l'Union européenne. Et sur ce point, j'espère le soutien de nos amis français. La Turquie est candidate à l'adhésion, elle joue un rôle dans la politique européenne de sécurité et de défense ; c'est un membre important de l'OTAN, un des plus anciens et des plus expérimentés, et elle entretient, avec les pays en crise du Maghreb et du Machrek, des liens beaucoup plus étroits que bien d'autres pays de l'Organisation.

C'est pourquoi la Turquie s'étonne de ne pas être conviée dans les sommets où sont prises des décisions importantes pour la politique extérieure et de sécurité, alors que la Bulgarie ou la Roumanie y étaient invitées avant même leur adhésion. Malheureusement, depuis plus de quatre ans, la Turquie, ainsi que d'autres pays candidats comme la Croatie ou la Macédoine n'y sont plus invités.

En Libye, il semble que la diplomatie n'a pas été utilisée autant qu'elle aurait pu l'être et que toutes les occasions n'ont pas été saisies. Il y a dans cette région des mécanismes traditionnels ou tribaux dont il faut tenir compte. Qui peut nier les souffrances du peuple libyen ? C'est pour nous un peuple frère qui fit partie de l'Empire ottoman et où Atatürk a risqué sa vie. Nous voulons la fin des effusions de sang, nous voulons, dans le cadre de l'OTAN, créer des couloirs humanitaires et faire parvenir à un cessez-le-feu. Ce n'est pas facile... Notre ministre des affaires étrangères est aujourd'hui en Syrie. Avec la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et les membres de l'OTAN, il nous faut une vision commune. En tout cas, la Turquie n'a aucune prétention territoriale dans ces régions. Elle ne souhaite que la paix et la stabilité. En Libye résident 35 000 de ses concitoyens, dont une partie a été évacuée - avec d'autres étrangers, dont des Français parmi les 25 000 personnes que nous avons rapatriées. Un bateau turc en a ramené jusque dans les hôpitaux d'Izmir. A tous les dirigeants des pays en crise, nous vantons les mérites de la démocratie et leur recommandons de procéder aux réformes que réclament leurs peuples.

Pour notre adhésion, 13 chapitres sur 33 sont ouverts alors que nos réformes devraient permettre d'en faire ouvrir 29. Sur les 20 chapitres restants, 17 demeurent bloqués pour des raisons politiques. Les évènements du Maghreb et du Machrek, et le fait que, pour ces pays, la Turquie soit une source d'inspiration, voire un modèle, devraient modifier la vision que les Européens ont de nous. (Applaudissements)

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

C'est avec beaucoup de bonheur que notre groupe d'amitié, très lié à son homologue au sein de la Grande Assemblée nationale de Turquie, mesure combien vous avez fait progresser la Turquie. Tous ceux qui ont eu le privilège d'y aller en reviennent convaincus que vous avez su y conduire un changement profond. Nous souhaitons que votre long cheminement vers l'Union européenne se conclue rapidement. Vous avez dit avoir mesuré que, de la part de la France, il n'y a pas de blocage pour l'ouverture de certains chapitres. En effet, la présidence française a été l'occasion d'avancées en ce sens.

Dans ce monde méditerranéen actuellement troublé, j'aimerais avoir votre analyse sur l'évolution de l'Union pour la Méditerranée (UPM) et sur la manière de lui donner un contenu plus substantiel, sachant qu'il faut dissiper vos craintes qu'il s'agisse d'une diversion à votre marche vers l'adhésion.

Au Sénat, et dans tous les groupes politiques, il se trouve des élus qui souhaitent renforcer encore davantage les liens tant bilatéraux qu'avec l'Union européenne. Hier encore j'étais dans une réunion consacré à l'Afghanistan où des militaires français disaient pouvoir s'appuyer sur la Turquie. Et même au-delà de nos deux groupes d'amitié, vous pouvez compter sur beaucoup de responsables politiques qui ont mesuré ce que votre pays pouvait nous apporter et apporter à l'Europe. Nous souhaitons que tous aient une meilleure connaissance de votre pays et, à cet égard, la saison turque nous a permis de mieux découvrir ses réalités culturelles, technologiques ou politiques. Nous souhaitons aller de l'avant.

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

Je remercie le groupe d'amitié du Sénat. Entre amis, nous pouvons évoquer un point sensible, un sujet déjà débattu par le passé au Sénat. Il s'agit des évènements de 1915, dont certains sénateurs voudraient discuter à nouveau. Notre rôle de politiques n'est pas de nous pencher sur le passé mais de façonner l'avenir afin de répondre aux aspirations du peuple. Ne remplaçons donc pas les historiens ! Ce ne serait bon ni pour nos nations ni pour les relations entre nos nations. Donc, j'en appelle à tous les sénateurs et les mets en garde : si ce sujet revenait sur le tapis, cela porterait atteinte à nos bonnes relations et provoquerait un dommage durable !

Sur l'UPM, je partage votre sentiment. Nous sommes avec vous dans plus de 40 organisations internationales dont le Conseil de l'Europe, le FMI, la Banque mondiale, l'OCDE, etc. L'UPM est une enceinte de dialogue importante mais qui ne doit en aucun cas être considérée comme une alternative à une autre enceinte. Pour que l'UPM soit dynamique, il faut la doter d'un Secrétariat général efficace et réunir les pays membres de cette Union. Pour cela, la Turquie sera toujours à vos côtés.

Je me suis rendu en Afghanistan et j'y ai vu la situation de nos soldats. A deux reprises, la Turquie a assuré le commandement de la FIAS. Si notre pays n'y a pas eu de pertes, c'est qu'il sait dialoguer avec le peuple afghan. C'est bien pourquoi on devrait nous consulter dans les sommets européens. L'OTAN devrait prendre en compte notre expertise et ce que nous avons fait là-bas. C'est valable aussi pour la Libye : parce que nous sommes proches de cette population, nos alliés doivent être disposés à nous écouter. Je rappelle que la Turquie est présente militairement dans 31 pays où elle oeuvre pour la paix et où nos soldats, comme les vôtres, risquent leur vie.

En 2010, la croissance de notre économie a atteint environ 9%. C'est aujourd'hui un pays plus puissant qu'hier - ce n'est pas moi, c'est l'OCDE qui le dit - et qui le sera encore davantage en 2011. Avec ce potentiel de croissance, avec sa population jeune, avec son armée puissante, elle peut beaucoup apporter à l'Europe - et au monde - parce qu'elle sait faire coexister l'islam et la démocratie. Cela, nos alliés doivent enfin le comprendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je reviens sur le sujet qui vous préoccupe, la proposition de loi visant à réprimer la contestation du génocide arménien. Certains d'entre nous y voient en germe une atteinte à la liberté d'expression et à la liberté des chercheurs ; j'y vois aussi une remise ne cause de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire. Je souhaite que nous n'allions pas plus loin sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Sur nos relations bilatérales et sur votre entrée dans l'Union européenne, nos groupes politiques ne sont pas monolithiques. Les divergences de vue traversent tous les groupes et il y a des opposants à l'adhésion sur tous les bancs. Mais vous avez aussi ici beaucoup d'amis qui militent en votre faveur.

Nous sommes aussi nombreux au Sénat et au sein de notre groupe d'amitié à ne pas souhaiter dresser à nouveau entre nous l'obstacle d'un texte de loi qui porterait tort à nos relations. Mais l'initiative parlementaire est libre...

Et puisque nous sommes ici entre amis, il serait utile que vous nous donniez le point de vue de votre gouvernement sur la question très contestée de Chypre.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

J'émettrai ici une voix un peu discordante sur le génocide arménien. Je suggèrerai, moi qui suis favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, que votre pays reconnaisse le génocide. Le problème serait alors réglé ; les communautés arméniennes de la diaspora n'auraient plus à faire leur perpétuel forcing pour obtenir cette reconnaissance. J'ai noté avec intérêt les prises de position de certains intellectuels de votre pays, qui commencent à vouloir débattre de ce sujet que, jusqu'à présent il est interdit d'aborder dans votre pays. Je répète que je suis favorable à votre adhésion et ce que je vous dis, franchement, ne doit pas altérer notre amitié.

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

Nous sommes entre amis ; je vais donc parler franchement. Sur Chypre, la position turque est très claire. En 2002, lorsque l'AKP est arrivé aux affaires, les grecs chypriotes ont eu la possibilité d'aller dans la partie nord de l'île. Ensuite, nous avons voulu que des allers-retours soient possibles entre les deux parties. M. Erdogan, alors secrétaire général de notre parti, a convaincu le Secrétaire général de l'ONU et le plan Annan a été mis au point. Je me souviens des paroles de M. Annan qui, après avoir essuyé trois échecs, disait ne pas vouloir en essuyer un quatrième. M. Erdogan l'avait alors rassuré, l'assurant que la Turquie serait toujours à l'avant-garde pour la paix. En effet, 66% des Chypriotes turcs ont dit oui au plan Annan, tandis que 76% des Chypriotes grecs l'ont rejeté, refusant ainsi le retrait des forces armées, la réunification et la paix politique. Le Conseil européen du 24 avril 2004 a alors décidé - sur proposition de la France - de lever les restrictions pesant sur le nord de l'île. Depuis, sept ans se sont écoulés et, sur les vingt- sept États membres, un seul a appliqué cette décision ! En matière de commerce et de circulation entre le nord et le sud de l'île, il y a vraiment un injuste « deux poids, deux mesures ». Nous voulons que la décision du Conseil européen soit appliquée. La multiplication des entraves à notre endroit est inacceptable.

Sur la question arménienne : que chacun commence par balayer devant sa porte ! Quel pays peut affirmer qu'aucune faute n'a entaché son passé ? Lorsque je me penche sur les études et recherches historiques, je m'aperçois qu'il n'y a pas eu génocide. Cela n'empêche pas que vous puissiez être d'un avis contraire. En 2004, le Parlement turc, à l'unanimité, a décidé d'envoyer une lettre à la république d'Arménie annonçant que nous allions ouvrir nos archives et proposant que tous les pays fassent de même et désignent des experts pour qu'ils étudient toutes ces archives et rédigent un rapport. Malheureusement, l'Arménie a refusé cette proposition, en exigeant la reconnaissance préalable du génocide.

C'est pourquoi il est tout à fait injuste de nous opposer cette question pour entraver notre adhésion. A aucun autre candidat on n'a demandé de se confronter à son passé. Lorsque l'Union européenne a été créée, a-t-on passé au crible le passé de chacun de ses membres ? Et lors de la dernière vague d'adhésion, tous les candidats satisfaisaient-ils à tous les critères requis ? Seul le respect de l'acquis communautaire est nécessaire pour adhérer. Et, je le répète, nous, responsables politiques, devons bâtir l'avenir, non nous retourner sur le passé. Dans le cadre du groupe de Minsk, coprésidé par la France, les États-Unis et la Russie, votre pays pourrait grandement faire progresser le dossier. Et plutôt que de s'occuper de ce qui se serait passé en 1915, qu'on s'occupe donc de ce qui se passe actuellement en Azerbaïdjan et des millions de personnes déplacées qui vivent sous des tentes. Qu'on s'occupe donc des questions actuelles et de l'avenir ! C'est ainsi qu'on préparera un futur plus radieux. Ce n'est pas en se focalisant sur le passé qu'on répondra aux aspirations de nos peuples.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Et quelle est votre position sur le nucléaire iranien ? La Turquie avait proposé une médiation...

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

La frontière entre la Turquie et l'Iran est délimitée depuis 1639 ; nos deux pays partagent une culture commune depuis plus de mille ans. Leurs relations, tant culturelles qu'économiques sont importantes. A titre d'exemple, 30% du gaz naturel consommé en Turquie provient d'Iran. Notre pays connaît beaucoup mieux la mentalité perse que les autres pays de l'OTAN ou de l'Union européenne. Il sait que les sanctions, embargos et autres condamnations ne sont pas efficaces et que le dialogue est la meilleure solution : mieux vaut ouvrir des McDonald's ou des Carrefour dans ce pays...

Dans le cas de l'Iran, comme de tout autre pays, nous sommes contre l'armement nucléaire. Soyez rassurés sur ce point. Avec le Brésil, nous avons tenté de convaincre le gouvernement iranien. Et des négociations avaient été entamées pour que de l'uranium très peu enrichi soit utilisé à des fins médicales. Nous avions aussi conclu un accord sur un troc. Malheureusement, le Conseil de sécurité a coupé court à tout cela en décidant des sanctions, auxquelles nous nous étions opposés. La Turquie n'est pas de ces pays qui attaquent les flottilles humanitaires... Et même si nous nous sommes élevés contre ces sanctions, il s'agit d'une décision du Conseil de sécurité et nous n'avons rien fait contre elle. Un avion a été obligé d'atterrir en Turquie et sa cargaison a été saisie. Nous faisons toujours notre devoir ; nous sommes respectueux du droit international.

En définitive, à qui nuisent les sanctions contre l'Iran ? Aux populations, non au gouvernement. Pour ce pays voisin qu'est l'Iran, nous serons toujours disposés à servir d'intermédiaire, si l'on nous en fait la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Quel est votre sentiment sur le Sud du Caucase, une zone importante pour la Turquie, et en particulier sur les relations entre la Géorgie et la Russie ? La Turquie avait joué un rôle de médiateur durant la crise qui avait opposé ces deux pays. Aujourd'hui, la situation semble bloquée : la Russie a mis la main sur deux régions géorgiennes, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Que pensez-vous de la demande qu'a faite la Géorgie d'intégrer l'OTAN, organisation dont vous êtes un membre important ? A long terme, ce pays souhaite également entrer dans l'Union européenne. Enfin, dans ce pays aussi, se pose le problème des réfugiés, même s'il est moins aigu qu'en Azerbaïdjan.

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

Lors de la crise géorgienne, le premier ministre turc s'est rendu en Géorgie : M. Sarkozy a oeuvré pour la réconciliation sur place ; nous avons suivi ce dossier de près. La Turquie veut la paix, que ce soit au Nord, à l'Est ou au Sud de ses frontières. Si cela est souhaité, nous servirons volontiers d'intermédiaire. Nous sommes attachés au principe de l'intégrité territoriale. Néanmoins, il faut également tenir compte des mosaïques de populations dans ces régions, traiter les ethnies sur un pied d'égalité et respecter leurs aspirations. La Turquie entretient des relations commerciales, militaires et politiques avec l'ensemble de ces pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Que pensez-vous de l'évolution en Syrie, pays avec lequel vous entretenez des relations assez fortes ? Ensuite, quid de vos liens avec Israël ?

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

La Turquie a été l'un des premiers pays musulmans à reconnaître la souveraineté d'Israël ; nous avons également accompagné d'autres pays, tel le Pakistan, dans ce cheminement. Les négociations entre la Syrie et l'Israël via la Turquie étaient sur le point d'aboutir il y a deux ans, lorsque Israël a commis un acte de violence à Gaza. Pas moins de neuf personnes ont trouvé la mort dans l'attaque contre la flottille qui transportait une aide humanitaire. Le bateau ne se trouvait même pas dans les eaux territoriales israéliennes ! Nous demandons des excuses, la moindre des choses pour les familles des victimes. Cette demande paraît raisonnable ; nous comprenons mal l'obstination d'Israël. Nous souhaitons le rétablissement de nos relations avec ce pays ; nous n'avons aucune difficulté avec sa population. J'ai moi-même conduit une délégation importante à une cérémonie en mémoire d'Auschwitz. Les citoyens turcs d'origine juive vivent en bonne intelligence avec leurs autres compatriotes.

Nous n'avons aucun problème avec le peuple israélien : nous condamnons seulement l'attitude des membres de son gouvernement et attendons de leur part des excuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

La Turquie voit son poids économique et politique s'accroître chaque jour ; l'Union européenne a besoin d'elle. Au terme des négociations d'adhésion qui dureront encore des années, n'y a-t-il pas un risque que ce pays, considérant son développement, estime ne plus avoir besoin de l'Europe et négocie une alternative à l'adhésion ?

Debut de section - Permalien
Egemen Bagis

Tout dépend de votre définition de l'Union européenne. S'agit-il d'une simple union économique ? Avec un taux de croissance de 9 %, la Turquie aura peut-être des doutes... En revanche, si l'Europe est également une union politique, dotée d'un budget militaire important, nous voulons participer à la construction de la paix. Grâce à elle, vous avez réussi à éloigner le spectre des guerres sanglantes qui vous ont opposés aux Allemands et aux Anglais. Pourquoi l'adhésion de la Turquie vous gêne-t-elle tant quand notre relation n'est pas grevée par ce passé difficile ? Avec l'entrée de notre pays dans l'Union, un projet de paix à dimension continentale prendra une dimension mondiale. Pour nous, il n'y pas d'alternative à l'adhésion ; nous poursuivrons sur la voie des réformes à accomplir pour intégrer l'acquis communautaire. On ne change pas de recette dès que le diététicien constate des difficultés... Voyez les efforts que nous avons réalisés : nous respectons 95 % des critères politiques avec une économie prospère. Nous avons conclu une union douanière avec l'Europe, 66 % de nos échanges sont orientés vers l'Europe ; plus de 5 millions de Turcs vivent en Europe : c'est plus que la population de plusieurs petits États européens. Nous sommes présents partout, si ce n'est dans les instances décisionnelles.... Puisse cela changer dans un avenir proche ! (Applaudissements)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci pour la clarté de vos réponses. Lors de son entretien avec le président Sarkozy, le Président Gül avait dit son souci d'une meilleure répartition des richesses entre les régions, et au sein de la population ; cet aspect est important pour nous. Autre sujet qui a fait l'objet du point 6 de l'accord entre les deux chefs d'État : oeuvrer à la maîtrise de la volatilité des prix des matières premières au sein du G20. Une question essentielle quand la Turquie sera un important hub énergétique demain ! Enfin, l'Union pour la Méditerranée n'est pas un succédané de l'adhésion à l'Union. Nous espérons que la Turquie participera activement au partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée, annoncé par M. Barroso. Nous serons très attentifs sur tous ces dossiers.