Intervention de Gérard Longuet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Juppé ministre d'etat ministre des affaires étrangères et européennes et de M. Gérard Longuet ministre de la défense et des anciens combattants

Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants :

Ces deux théâtres sont d'abord politiques et diplomatiques. La France mène des actions militaires en application de décisions des autorités internationales et d'abord de l'ONU.

Les effectifs militaires en Côte d'Ivoire demeurent modestes même si une déstabilisation prolongée aurait des conséquences humanitaires terrifiantes. Après quatre mois de médiation infructueuse, les forces pro-Ouattara sont parvenues récemment de la ligne de confrontation à Abidjan. Elles ont conquis sans difficulté les villes réputées sous l'autorité du camp Gbagbo. Mais arrivées devant la capitale, elles ont rencontré des difficultés : allongement des lignes de communication, fatigue, regroupement des fidèles de l'ancien président sur un très petit nombre de positions - deux camps militaire, la présidence de la République, la résidence personnelle, les studios de la RTI, une base navale et une école de gendarmerie. Ce statu quo militaire est très dangereux pour la population. Les forces de Gbagbo n'ont pas hésité à utiliser des armes lourdes, mortiers de 81 en particulier, pour bombarder à l'aveuglette des quartiers dépourvus d'objectifs militaires. Abidjan comptait 5 millions d'habitants, il en reste 4. Le camp Gbagbo a mené une stratégie de neutralisation de la population par la terreur au moyen d'armes lourdes.

Dimanche dernier, alors que la tension atteignait son comble, la France a renforcé les troupes du dispositif Licorne, passé en trois jours de 980 à 1.700 hommes. Les relèves n'ont pas été effectuées, les troupes nouvelles venant s'ajouter à celles maintenues sur place. Des unités sont venues du Tchad et de Libreville, pour organiser les points de ralliement ouverts à nos ressortissants, un au nord des deux ponts, à l'ambassade, l'autre à l'hôtel Wafou. La base de Port-Bouët et l'aéroport sont au sud, la zone de combat au nord. Les expatriés français et les franco-ivoiriens avaient l'impression que les choses allaient s'arranger : 12.000 Français sont recensés sur place, mais seulement 1.200 personnes ont été accueillies à Port-Bouët, dont la moitié appartiennent à d'autres communautés, notamment libanaise. Peu souhaitaient partir en avion militaire vers Dakar ou Lomé, où ils seraient pris en charge par les services extérieurs des Affaires étrangères.

Une opération militaire a eu lieu le 4 avril en fin de journée et cette nuit, à la demande expresse de l'ONU, dont le secrétaire général et le représentant local ont estimé que les forces de l'ONUCI avaient besoin de l'appui de la force Licorne. Deux hélicoptères MI 24 de l'ONUCI à équipages ukrainiens ont détruit des blindés et des mortiers de 81 ; une heure après, quatre de nos hélicoptères Gazelle, deux antichars et deux d'appui-protection armés de canons de 20 leur ont prêté main-forte, ainsi qu'un hélicoptère Puma, issus du 1er régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg. Au total, trois véhicules lance-roquettes ont été détruits, de ceux qui arrosent la population à longue distance, quatre blindés, deux blindés légers, 20 pick-ups porteurs de mortiers, quatre canons anti-aériens et des stocks de munitions. L'antenne de la RTI a été détruite à cette occasion, ce qui a mis fin aux appels à la haine et à l'agression des étrangers diffusés par cette station.

Lundi, la situation s'est paralysée dans un très petit quadrilatère autour de la résidence personnelle de Laurent Gbagbo ; les militaires qui soutenaient l'ancien président et leurs familles ont évacué les camps militaires de cette zone pour se fondre dans la population. L'ONUCI dispose à Abidjan de 2.250 hommes, sur 10.000 répartis dans le pays, la France en a 1.700, les groupes de combat du président Ouattara 2.000. En face, Gbagbo aurait un petit millier d'hommes dont 200 dans sa résidence personnelle. Celle-ci étant située dans le quartier des ambassades, chaque bâtiment autour devient un enjeu tactique, en raison des positions de tir à conquérir...

A la demande du gouvernement japonais relayée par l'ONUCI, nos forces ont hier à 23 heures, heure de Paris, exfiltré par hélicoptère l'ambassadeur du Japon et sept de ses collaborateurs. Il a fallu éliminer deux blindés sur le site et deux pick-ups armés qui tentaient de pénétrer dans la résidence de France en tirant.

La situation est particulièrement difficile. Les deux ponts sont contrôlés par l'ONUCI, en particulier des soldats jordaniens suffisamment aguerris pour les tenir et ainsi protéger les quartiers sud, qui ne comptent pas de combattants. Mais au nord, la situation ne permet plus l'extraction terrestre des personnes, sauf à engager des combats, ce que nous ne voulons pas. Beaucoup de familles sont isolées à Yopougon, au Plateau. Heureusement les communications téléphoniques fonctionnent. Mais il est devenu très compliqué d'aller chercher nos compatriotes. Or ceux qui hier ne voulaient pas partir souhaitent aujourd'hui rallier Port-Bouët.

En Libye, la situation ne peut se comprendre que si l'on prend en considération l'étendue du territoire : Tripoli et Benghazi sont distants de 800 kilomètres, les lignes logistiques sont interminables, les populations éparpillées ; et à aucun moment Kadhafi n'a dégarni Tripoli, si bien que les forces lancées contre les insurgés comptent rarement plus d'un régiment. Mais il faut mobiliser des moyens importants pour maintenir face à ces attaques des zones de liberté autour du port de Misrata ou à Zintan, situé dans un désert montagneux.

On observe des basculements spectaculaires successifs, à Ras Lanouf, à Ajdabiya : les forces de Kadhafi ont compris que les attaques frontales avec des moyens lourds étaient désormais impossibles, mais elles procèdent avec des moyens légers rapides à des mouvements de déstabilisation de l'adversaire. L'action de la coalition est gérée aujourd'hui par le commandement de l'Otan. La participation des Etats-Unis est déclinante mais continue, ils sont présents même si ces trois derniers jours c'est la France qui a mené l'essentiel des actions aériennes d'attaque au sol, qui sont la meilleure sécurité pour les insurgés en neutralisant les convois logistiques qui soutiennent les unités de Kadhafi.

Elément nouveau, les insurgés s'organisent, le CNT semble capable d'organiser une force militaire et un soutien logistique. Dans la lecture que nous faisons de l'embargo - et c'est celle qui prévaut - il n'est pas possible d'alimenter la Libye mais il n'est pas interdit de ravitailler Misrata à partir de Benghazi, par bateaux circulant dans les eaux territoriales. C'est ainsi qu'un soutien a pu être apporté à ceux qui s'opposent courageusement à Kadhafi depuis quarante jours. Le colonel s'accommoderait d'un front éloigné, mais il est déstabilisé par des forces hostiles proches.

Les difficultés techniques sont indéniables : il n'y a plus de forces aériennes ni d'artillerie antiaérienne mais l'identification absolue des cibles et les règles de tir à juste titre très contraignantes, combinées à l'absence de lien avec le sol, compliquent notre action. Les responsables militaires que j'ai rencontrés sur le Charles-de-Gaulle me l'ont expliqué : nos appareils peuvent faire des missions de reconnaissance et d'attaque au sol, et la surveillance aérienne par les Awacs, l'interception des communications radio et la surveillance maritime, avec les moyens d'écoute dont elle dispose, permettent des tirs à bon escient et sans risque. Mais peu d'armées disposent de tels équipements aussi certaines participations généreuses ne sont-elles pas très utiles pour l'attaque au sol, qui est le première demande des insurgés. Entendre voler des avions fait se sentir moins seul, les voir frapper des cibles désignées est quand même plus rassurant - or sans lien avec le sol, seules les aviations américaine, française et britannique en sont capables.

Les relations militaires avec les autres forces se déroulent sans aucun problème à travers l'état-major opérationnel de l'Otan ; le débat politique, qui relève du ministre d'Etat, avec le secrétaire général de l'Otan est un débat, dirai-je, de tous les instants...pour être certains que les objectifs de la coalition représentée par le groupe de contact sont bien assimilés par ceux qui doivent les mettre en oeuvre.

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