Intervention de Alain Juppé

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Juppé ministre d'etat ministre des affaires étrangères et européennes et de M. Gérard Longuet ministre de la défense et des anciens combattants

Alain Juppé :

Ce n'est pas la première fois que les forces de l'ONU rencontrent des difficultés sur le terrain mais lorsque trente pays participent à une opération, il en résulte forcément une fragilité, l'efficacité n'est pas toujours celle que l'on souhaiterait. L'ONUCI est sous le chapitre 7, elle peut mobiliser tous les moyens d'intervention, y compris la force, mais constatant que sa capacité d'action était un peu faible, nous avons multiplié les interventions auprès du secrétaire général de l'ONU, du directeur des opérations militaires, qui est un Français, M. Leroy, auprès de M. Choi, et auprès du commandant des forces, pour que l'ONUCI s'engage. Mais ne laissons pas croire qu'elle est inefficace ! Elle patrouille dans les rues d'Abidjan, c'est elle qui a protégé pendant des semaines l'hôtel du Golfe où était installé Alassane Ouattara. Et ce sont deux hélicoptères de l'ONUCI qui ont engagé les opérations avant-hier.

En Libye, le président Bel a cité toutes les raisons d'être pessimiste. Je citerai les raisons d'être optimiste. La résolution n'autorise pas de contingents au sol. Cela signifie-t-il un enlisement ? Nos interventions n'ont-elles servi à rien ? Outre la protection de Benghazi, nous avons déstabilisé Kadhafi ! Aujourd'hui la question est de savoir comment il partira et pas comment il se maintiendra au pouvoir.

La Ligue arabe n'est pas si prudente : la liste des pays qui apportent une participation active comprend le Qatar, les Emirats arabes unis, la Jordanie, le Maroc. Reste à travailler davantage avec l'Union africaine, à la persuader de participer davantage. Quant à l'Otan, nous avons cadré le dispositif, l'Otan en est le bras séculier, mais la gouvernance politique est du ressort de la coalition internationale et de son groupe de contact. Le partage des rôles est clair, même s'il n'exclut pas certaines tentations.

Impuissance européenne ? J'ai dit que l'Union agissait plus comme une ONG humanitaire que comme une puissance politique capable d'organiser une intervention : je l'ai répété au dernier Conseil. Mais hormis l'aspect militaire, elle a tout de même adopté une position unanime contre Kadhafi, qui s'est discrédité lui-même par les traitements infligés à sa population.

Les divergences portent sur les modalités d'action. Les sanctions apparaissaient suffisantes à certains, mais elles ne montrent leur efficacité qu'après quatre ou cinq mois, et que serait devenue Benghazi entre temps ? Le 11 mars, le 24 mars, dans les conseils européens « affaires étrangères », nous avons exprimé une position commune. Beaucoup de pays européens recherchent une solution politique en prenant des contacts avec ceux qui, à Tripoli, quittent le navire. Et ils sont nombreux.

La France ne fait pas la guerre en Côte d'Ivoire. La situation est bien différente de ce qu'elle est en Afghanistan, nous ne sommes pas engagés dans des combats contre une armée hostile, nous soutenons l'ONUCI. Le cas de la Libye est intermédiaire. Je suis surpris par votre remarque sur nos objectifs diplomatiques. Ils n'ont rien de flou, ils sont très clairs : en Côte d'Ivoire, nous voulons que le président régulièrement élu, Alassane Ouattara, puisse s'installer au pouvoir pour mener une politique de pardon et d'ouverture, former un gouvernement d'union nationale, voire avec d'anciens partisans de Laurent Gbagbo prêts à l'aider, travailler à la reconstruction du pays.

Nos objectifs sont clairs aussi en Libye, avec un élément d'incertitude. Nous voulons que le peuple libyen accède à la démocratie après quarante années sous la coupe d'un dictateur. Une réconciliation nationale doit réunir le CNT, les autorités tribales, qu'ont dit influentes, et, à Tripoli, tous ceux qui veulent se séparer du régime actuel. Cela sera difficile, oui, mais la ligne est claire. Il demeure certes une petite ambiguïté : avec ou sans Kadhafi ? La résolution de l'ONU ne mentionne pas qu'il soit écarté. Tous les alliés sont d'accord pour penser que son maintien n'est plus acceptable. En revanche, à Tripoli, certains sont prêts à s'en débarrasser mais pas tous et tel est l'objet des tractations, certains formulant une proposition intermédiaire.

Quant au rôle du Parlement, à vous de juger de la qualité de l'information qui vous est transmise mais que faisons-nous d'autre ici que de définir des objectifs en commun ?

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