Intervention de Alain Juppé

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Juppé ministre d'etat ministre des affaires étrangères et européennes et de M. Gérard Longuet ministre de la défense et des anciens combattants

Alain Juppé :

L'intervention de M. Chevènement fut comme toujours très pertinente. Mais je rappelle qu'Abidjan a voté à 48 % pour M. Ouattara : le clivage entre le nord et le sud du pays n'est donc pas si net qu'on le dit, et l'on assiste plutôt à une polarisation plus proche des usages démocratiques que les scores de 99% affichés ailleurs.

En Libye, vous avez raison de dire que nous n'avons pas pour mission de favoriser un changement de régime, un regime change comme disent les Anglo-Saxons. Mais je dois rappeler le sens de la notion de responsabilité de protéger : les gouvernements ont le devoir de protéger leur population contre les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides, faute de quoi la communauté internationale est fondée à se substituer à eux. La faillite du gouvernement Kadhafi dans ce domaine n'est-elle pas suffisante pour mettre en cause sa légitimité ?

J'ai parlé de l'Union européenne comme d'une ONG humanitaire ; au moins est-elle efficace sur ce terrain-là. Un couloir humanitaire doit être mis en place vers Misratah par la mer, en collaboration avec l'Otan. Quant à la politique européenne de sécurité et de défense, les ministres du triangle de Weimar ont récemment écrit à Mme Ashton pour qu'elle soit relancée.

M. Hue s'inquiète des suites de l'intervention en Côte d'Ivoire pour l'image de la France, mais les chefs d'Etat africains l'approuvent presque unanimement. M. Zuma, initialement très réticent, a été convaincu par M. Sarkozy que M. Ouattara devait être considéré comme le président légitime. Même l'Angola, longtemps fidèle allé de Laurent Gbagbo, a évolué. Imaginez d'ailleurs que nous ne soyons pas intervenus. L'élection présidentielle a eu lieu dans des conditions qui n'étaient certes pas parfaites, mais convenables et contrôlées par une commission indépendante ; après le différend avec le Conseil constitutionnel, M. Ouattara a été reconnu comme le président légitimement élu par l'ONU, la CEDEAO et l'Union africaine. Comment les Africains pourraient-ils avoir confiance en la démocratie si le résultat de l'élection ivoirienne n'est pas respecté ? La démocratie progresse dans le continent, au Niger, en Guinée, et il faut la soutenir.

En Libye, notre politique est la même : voilà la cohérence. La France soutient l'aspiration des peuples à la démocratie. Certes, c'est avec quelque retard qu'elle a compris l'enjeu des révoltes arabes, mais quel autre pays l'a compris plus tôt ? On dit le Conseil national de transition infiltré par les islamistes. Cela rappelle furieusement les arguments de ceux qui appelaient à soutenir MM. Moubarak et Ben Ali ! La démocratie présente des risques. A certains égards, la dictature en présente moins à court terme, mais elle conduit tôt ou tard à la catastrophe. Il y a au sein du Conseil des personnalités de grande quantité. Sans doute certaines d'entre elles ont-elles jadis travaillé pour Kadhafi, mais cela ne suffit pas à les discréditer : ce genre de choses se produit lors de toutes les révolutions. Le problème est plutôt de savoir qui, à Tripoli, est prêt à jouer le jeu démocratique.

Madame Voynet, si nous avons finalement confié à l'Otan la direction des opérations, c'est que le traité de défense entre la France et le Royaume-Uni n'a pas encore produit tous ses effets, et que nous deux pays n'ont pas à eux seuls les moyens de piloter une intervention d'une telle envergure. Mais des pays extérieurs à l'Otan, comme le Qatar, y sont associés.

Nous demandons que toute la lumière soit faite sur les massacres en Côte d'Ivoire, et M. Ouattara a déjà promis des enquêtes. Mais il n'est pas sûr que le rôle des soldats français, qui sont d'ailleurs déployés à Abidjan, soit de recueillir des informations à ce sujet.

Nous condamnons toutes les violences perpétrées en Syrie : on ne met pas fin à des manifestations populaire par la répression armée, mais par le dialogue et la négociation. J'ai dit ma déception devant le discours trop peu réformateur du président el-Assad.

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