Après avoir constaté que le régime agricole accuse depuis longtemps une diminution régulière du nombre de ses cotisants et qu'il en ira bientôt de même pour celui de ses bénéficiaires, Mme Rolande Ruellan a observé que les besoins de financement demeureront néanmoins très importants à l'avenir. Les dernières prévisions du conseil d'orientation des retraites (Cor) ont en effet montré qu'en 2050, la solidarité nationale continuera à être fortement mise à contribution. Le régime agricole se trouve placé devant l'obligation de réaliser d'importants efforts de modernisation et il ne peut donc se soustraire aux contraintes financières lourdes qui pèsent sur l'ensemble des comptes sociaux. La Cour des comptes ne souhaite toutefois pas pour autant remettre en cause l'autonomie de la protection sociale agricole, dont elle juge au demeurant l'organisation bien adaptée aux spécificités de la population des exploitants, ainsi qu'à la tradition mutualiste qui la caractérise.
Elle déplore, en revanche, la trop large définition de la notion de cotisant du régime agricole, qui va jusqu'à intégrer certains salariés du secteur bancaire ou des assurances, alors même qu'ils n'entretiennent aucun lien avec le monde de l'agriculture stricto sensu. Cette situation permet de donner à la mutualité sociale agricole (MSA) un flux suffisant de cotisations complémentaires pour financer la gestion de son réseau. Par ailleurs, on observe une réduction trop lente du nombre des caisses départementales, tandis que la création, à titre transitoire, de fédérations de caisses amenées à fusionner dans l'avenir ne fait qu'ajouter de nouvelles structures sans permettre de réaliser d'économies significatives.
a estimé qu'il convient de profiter des nombreux départs en retraite à venir pour accentuer le processus de modernisation, en cours, du réseau de la MSA. Cela réglera au passage le problème des effectifs de directeurs. Elle a jugé par ailleurs insuffisants les gains de productivité, en raison tout à la fois d'un cadre budgétaire assez peu contraignant, d'une certaine mansuétude, ainsi que du caractère trop décentralisé de l'outil informatique. De fait, la conjonction de ces différents facteurs a rendu extrêmement difficile le pilotage du régime agricole. Par ailleurs, le problème de l'absence de service d'audit interne au sein de la caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) demeure entier. Cette situation imposera à très court terme de gros efforts dans la perspective de la certification des comptes, à partir de l'exercice 2008. La publication des textes nécessaires est intervenue, il est vrai, avec dix ans de retard.
La signature, en septembre 2006, de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion avec l'Etat apporte une marge d'espoir pour la MSA, dans la mesure où elle comporte des éléments de nature à permettre des améliorations importantes dans les domaines de la productivité, de la maîtrise des coûts et de l'organisation. Le succès de cette démarche suppose toutefois de confier, non pas à l'Etat, mais à la CCMSA, de véritables capacités de pilotage au sein du régime agricole. Regrettant à la fois la lourdeur et le caractère quelque peu « passéiste » de la tutelle exercée par le ministère de l'agriculture, la Cour des comptes n'a pas jugé totalement convaincants les deux arguments avancés par la direction générale de la forêt et de l'aménagement rural en faveur du maintien du système actuel : l'importance du recours à la solidarité nationale pour équilibrer des comptes et le rôle « co-gestionnaire » joué par les assureurs privés.
Après avoir rappelé la position historique de certaines entreprises d'assurances (à hauteur de 10 % des prestations versées pour la maladie et de 70 % pour les accidents du travail), Mme Rolande Ruellan a regretté, d'une part, que la concurrence existant entre la MSA et les assureurs privés constitue plus une façade qu'une réalité, d'autre part, que la CCMSA n'ait pas les moyens d'exercer un réel contrôle dans ce domaine, contrairement à ce qui se passe au sein du régime social des indépendants (RSI).
Le financement du régime agricole montre un recours important à la solidarité nationale, par le biais du budget de l'Etat, ainsi qu'un appel à la solidarité interprofessionnelle, via les mécanismes de compensation démographique, et ce, alors que les exploitants agricoles - pour un niveau comparable de prestations - cotisent globalement moins que les assurés sociaux des autres régimes. En 1995 déjà, un rapport de Mme Yannick Moreau avait mis en évidence un écart de trois points de cotisation qui semble s'être accru au cours des dernières années, ainsi que le montre l'actualisation de ces travaux réalisée par la Cour des comptes en 2005. Toutefois, les résultats de ces estimations sont très sensibles aux niveaux de revenus pris en compte dans les hypothèses de simulation.
En conséquence, la Cour s'est plus particulièrement intéressée à l'assiette des cotisations sociales, pour regretter que la réforme de 1990, substituant le revenu professionnel au revenu cadastral, ne soit pas allée au bout de sa logique qui aurait consisté à établir un lien entre les données en possession de l'administration fiscale et celles servant à la MSA pour le calcul des cotisations.
Or, le régime agricole demeure le seul où subsiste une imposition au forfait et l'on observe parallèlement, un mouvement de transformation, sous diverses formes sociétaires, de nombreuses exploitations agricoles. Dans ce contexte, Mme Rolande Ruellan s'est inquiétée de la suppression de la cotisation de solidarité qui avait été précisément créée pour en compenser les effets indésirables. Elle a également fait part de sa préoccupation concernant la rigueur insuffisante des contrôles réalisés par les caisses de MSA, la très grande tolérance à l'égard des recouvrements contentieux, ainsi que les différentes formes de « mitage » de l'assiette des cotisations sociales et le manque de civisme de la part de certains assurés sociaux. D'après les statistiques, les exploitants agricoles auraient une propension d'autant plus forte à s'acquitter de leurs cotisations sociales que leurs revenus sont faibles. En définitive, tous ces phénomènes finissent par saper la légitimité de l'appel accru à la solidarité interprofessionnelle et nationale.
Abordant la question du déficit du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa), Mme Rolande Ruellan a estimé qu'une modification éventuelle des mécanismes de compensation démographique ne constituerait en rien une solution-miracle pour résoudre les problèmes financiers actuels, d'autant plus qu'il s'agit d'un jeu à somme nulle entre les différents régimes sociaux. Dans ces conditions, le recours à la solidarité nationale apparaît inéluctable, ce qui n'exclut pas un effort supplémentaire de la part de la profession agricole.
Auparavant, l'Etat était obligé d'équilibrer par une subvention les comptes du budget annexe des prestations sociales agricoles (Bapsa), lequel bénéficiait d'ailleurs de taxes plus dynamiques que celles aujourd'hui affectées au Ffipsa. Or, tel n'est plus le cas aujourd'hui et la situation de ce fonds constitue désormais un profond sujet d'inquiétude, en particulier sous l'angle de la certification de ses comptes. Cette tâche n'incombera pas à la Cour dans le cas du régime agricole mais les commissaires aux comptes qui en auront la charge devront s'interroger sur la validité du déficit. Celui-ci n'est pas actuellement apparent au niveau de la MSA, puisque le Ffipsa assure - grâce à des emprunts - ses versements à la caisse centrale. Les besoins de financement de ce fonds sont couverts par des emprunts bancaires souscrits avec la garantie de fait du ministère des finances. Or, le ministère des finances a répondu à la Cour des comptes, dans le cadre des travaux préparatoires à la certification des comptes, qu'il ne se sentait pas engagé par le déficit du Ffipsa. Cela signifie qu'il n'y a plus de garantie de l'Etat et que le fonds risque de perdre toute capacité à emprunter. Le ministère des finances a par ailleurs indiqué qu'il appartient au Parlement, et non à l'administration, de décider et de trouver les ressources nécessaires. Dans ces conditions, la perspective de voir le Ffipsa placé dans une situation d'insolvabilité est d'autant plus inquiétante que la Cour des comptes considère qu'un établissement public doit avoir des comptes équilibrés et que la situation actuelle constitue une véritable hérésie.