Je demande l'indulgence de la commission pour ce premier rapport sur la mission « Santé » auquel j'ai dû me consacrer dans un contexte de calendrier particulièrement chargé.
La situation est singulière car ce budget enregistre une hausse de 150,5 millions par rapport à la programmation pluriannuelle votée en 2010. En particulier, les crédits de l'action « Qualité, sécurité et gestion des produits de santé et du corps humain » progressent de 1 101,7 %, ce qui correspond essentiellement à la réintégration du budget de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), pour 135 millions, dans le budget de l'État.
Par cette décision, qui fait suite à la crise du Mediator, le Gouvernement reconnaît le caractère régalien de la police sanitaire, sans pour autant rétablir la dotation de 10 millions qu'il attribuait précédemment à cette agence. Les taxes sur les laboratoires qui finançaient l'Afssaps sont réaffectées selon des modalités particulièrement complexes dans lesquelles l'assurance maladie est curieusement impliquée, nous en avons parlé au cours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Néanmoins, je trouve un mérite à cette opération, celui de mettre en lumière l'effort public pour la sécurité sanitaire : l'augmentation des taxes et redevances payées par les industries pharmaceutiques de 40 millions est légitime mais elle ne doit pas exonérer l'État d'apporter une dotation complémentaire à l'établissement.
Grâce à la reprise en main de la sécurité sanitaire, nous en saurons également davantage, j'espère, sur l'activité, assez floue, du centre national de gestion des essais de produits de santé. L'activité de ce groupement d'intérêt public constitué avec les industries du médicament en 2007, et prorogé jusqu'en 2015, a fait l'objet de nombreuses critiques. La direction générale de la santé fait bien de vouloir redéfinir ses missions.
Figure aussi désormais dans le budget de l'Etat la dotation de 3,5 millions consacrée aux comités de protection des personnes dont la mission est de s'assurer de la conformité des protocoles de recherche à l'éthique. A ce propos, nous attendons toujours la tenue de la CMP sur la proposition de loi relative aux recherches sur la personne.
Enfin, 2,1 millions de crédits nouveaux sont consacrés à la recentralisation des compétences sanitaires en matière de vaccinations obligatoires ou recommandées, auxquelles certains départements renoncent pour des raisons essentiellement administratives. Cette circonstance me donne l'occasion de rappeler que la vaccination est un instrument essentiel de la prévention sur lequel, malheureusement, les tentatives de vaccination de masse lancées par le ministère contre l'hépatite B ou la grippe H1N1 ont contribué à jeter le doute. Résultat, on constate la résurgence de pathologies considérées comme résiduelles : la rougeole se développe plus en France qu'ailleurs en Europe. Revenons à une politique de vaccination claire et durable.
Il n'est pas inutile de souligner que le budget de la mission représente seulement 0,86 % de celui de la branche maladie du régime général de la sécurité sociale. En pratique, l'essentiel des mesures de santé publique relève donc de l'assurance maladie. Pourtant, c'est l'État, et lui seul, qui détient le pouvoir de déterminer les orientations de santé publique ; en période de crise, c'est vers lui que se tournent les citoyens. Or, son rôle consiste en fait essentiellement à faire fonctionner les agences sanitaires : leurs dotations absorbent près de 75 % des dépenses du programme 204. Leur multiplication, entre 1998 et 2004, est intervenue après l'affaire du sang contaminé qui a contribué à la remise en cause des compétences de la direction générale de la santé. Malgré des tentatives de rationalisation et de regroupements de ces multiples agences, la réalité du pouvoir est passée de leur côté. J'en profite pour saluer leurs personnels pour les missions de service public essentielles qu'ils assurent dans des conditions budgétaires restreintes. Plus souples et réactives que l'administration centrale, les agences ont, de plus, le droit de recruter des personnels qui n'ont pas le statut de fonctionnaires et de mobiliser des financements divers, provenant de l'assurance maladie ou de l'Union européenne. Fait significatif, les ARS, créées par la loi HPST pour reprendre l'initiative au niveau régional, ont le statut d'agence et s'assimilent à un contre-pouvoir avec lequel le directeur général de la santé devra trouver un accord.
Dans ce contexte particulier, l'outil d'intervention privilégié du ministre de la santé est « le plan de santé publique ». Sur la trentaine que gère la direction générale de la santé, certains sont efficaces, tel le plan cancer. Mais la Cour des comptes, dans un rapport récent, dresse un constat sévère de l'ensemble des plans. « Trop nombreux, mal articulés et mal suivis », ils répondent davantage « à une logique médiatique, à la recherche d'effets d'annonce, qu'à une volonté de stratégie durable » et entretiennent « l'illusion sur la capacité de l'Etat à assurer la meilleure des protections à la population face à tous les risques de santé ».
En l'absence d'évaluation, certaines décisions semblent purement idéologiques. Malgré mes questions, je n'ai pu obtenir de réponse sur l'impact de la disparition programmée de la gynécologie médicale sur la santé des femmes. Selon le ministère, les compétences données aux sages-femmes et les garanties financières accordées aux gynécologues obstétriciens suffiront, un parti pris dont on peut légitimement douter.
L'action de l'Etat me paraît particulièrement critiquable dans deux domaines, et d'abord celui de la prise en charge de la santé des plus démunis. Malgré l'opposition tous groupes confondus du Sénat, l'aide médicale de l'État (AME) a été réformée en loi de finances l'an dernier. Il se trouve que, dans son avis du 5 juillet 2011, le conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale - présidé par le député Etienne Pinte - a dénoncé la méthode suivie alors : les parlementaires étaient insuffisamment informés pour prendre des décisions éclairées en raison de la non-transmission d'un rapport de l'Igas sur cette question. Comme le CNLE, je demande la levée immédiate des restrictions à l'AME, que le Parlement ne peut malheureusement pas décider lui-même à cause du carcan de l'article 40 de la Constitution. Médecins du Monde dresse un constat accablant : en Seine-Saint-Denis, la prévalence de la tuberculose est de 30 % parmi les bénéficiaires de l'AME que cette organisation est amenée à soigner, contre 0,8 % dans la population générale. Le traitement de cette affection dure six mois : l'interrompre entraîne la multi-résistance aux thérapies et favorise la contagion. Comment peut-on opposer à cet impératif de santé publique un objectif de maîtrise des dépenses ?
Second sujet de préoccupation ensuite, l'inéquité du système. Le système curatif français est sans doute l'un des meilleurs au monde, mais les inégalités sont sensibles entre hommes et femmes, entre catégories sociales et, surtout, entre territoires. La technicisation des soins ainsi que la désertification médicale conduisent à une métropolisation des soins, qui laisse de côté les populations les plus fragiles, souvent cantonnées à la périphérie des villes ou des départements. Les campagnes de prévention de l'État sont brouillées par le message des lobbies de l'alcool et de l'agro-alimentaire. D'autant que les moyens, la directrice de l'Inpes l'a souligné en audition, sont disproportionnés : 3 millions d'euros pour une campagne de l'institut contre l'alcool, contre un budget annuel de 1,5 milliard pour les industries de l'agro-alimentaire. L'idée que les comportements de chacun sont les vrais déterminants de sa santé est fausse : depuis vingt ans, toutes les études le montrent.
Dès lors, le manque de médecins est porteur de régression sociale. Les docteurs, qui se déplaçaient au domicile des malades, diffusaient une culture de la santé publique dans les territoires sous-dotés ; avec leur disparition, le recours aux magiciens et charlatans se développe. La résurgence de ces pratiques préscientifiques doit nous pousser à revaloriser, enfin, la médecine du travail et la médecine scolaire, une réforme toujours repoussée. A ce sujet, l'Assemblée nationale vient de consacrer un rapport à la médecine scolaire.
Parce que ce budget n'apporte pas les correctifs nécessaires, je vous invite à lui donner un avis défavorable.
Avant d'en venir aux articles rattachés, je m'arrêterai un instant sur un sujet qui me tient à coeur : les victimes de l'amiante. Sans me prononcer sur le fond, je souhaite que le ministre demande l'arrêt des procédures juridiques engagées par le Fiva et l'abandon du recouvrement des créances demandées aux victimes de l'amiante précédemment indemnisées.
Trois articles sont rattachés à cette mission.
L'article 60 correspond, à peu de choses près, à la disposition sur la responsabilité civile des professionnels de santé que le Conseil constitutionnel avait censurée dans la proposition de loi Fourcade. Ce régime de responsabilité est très attendu, notamment par les spécialités médicales « à risque », les assureurs refusant de couvrir le risque exceptionnel. Sous réserve d'un amendement qui ne concerne pas le fond, je propose de donner un avis favorable à cet article.
L'article 60 bis crée une taxe affectée à la HAS pour financer sa nouvelle mission d'évaluation des dispositifs médicaux. Après l'affaire du Mediator, ce mécanisme est à proscrire : mieux vaut que l'État collecte la taxe et verse une dotation à la HAS. Je n'y suis donc pas favorable.
L'article 60 ter, enfin, prévoit un rapport sur la création d'un fonds de prévention et d'indemnisation des méfaits du tabac financé par une taxe de 10 % sur le chiffre d'affaires de l'industrie. Cette idée, du député Yves Bur, que certains auraient sans doute trouvé excessive si elle émanait de la majorité sénatoriale, a reçu l'approbation du Gouvernement. En attendant une vraie politique de lutte contre le tabac, je vous propose de faire de même.