C'est la première fois aujourd'hui que j'ai l'honneur de vous présenter les crédits du compte d'affectation spéciale « participations financières de l'État », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012.
L'existence de ce compte se justifie par les spécificités de la fonction actionnariale de l'État.
Plus précisément, il vise à identifier les recettes de cessions des participations de l'État et ne retrace que les opérations de celui-ci liées à la gestion de ses participations financières qui ont une nature patrimoniale. Il ne peut donc s'agir, je vous le rappelle, que d'opérations réalisées par l'État actionnaire intervenant en tant qu'investisseur. Sur ce compte donc sont versés, en dehors du budget général, tous les produits de ventes de titres et sont prélevées, le cas échéant, les dotations en capital consenties aux entreprises publiques.
Il comprend deux programmes distincts : le programme 731, consacré aux opérations en capital intéressant les participations financières de l'État, et le programme 732, relatif au désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État.
Les orientations budgétaires pour 2012 prévoient d'affecter un milliard d'euros pour le programme 731 et 4 milliards d'euros pour le programme 732. Quant aux recettes, le projet annuel de performance en prévoit pour 2012 à hauteur de cinq milliards d'euros sans versement du budget général. J'attire votre attention sur un point particulier : ces chiffres sont invariablement les mêmes, d'une année sur l'autre, en raison du caractère « stratégique » des informations relatives aux cessions éventuelles de participations de l'État. Cette situation n'est pas sans poser de problèmes. J'y reviendrai tout à l'heure.
Je voudrais tout d'abord, avant d'entrer dans le détail de ce compte, faire deux remarques.
La première n'est pas anodine car, vous le savez, l'examen de notre budget intervient cette année dans une période de crise toujours palpable et dont les conséquences ne sont pas derrière nous. Or, dans ce contexte financier difficile, le rôle, les missions et les orientations stratégiques de l'État actionnaire sont plus que jamais au coeur des enjeux des politiques publiques françaises.
En effet, les participations cotées de l'État ont connu une chute spectaculaire cette année : elles sont passées en un an de 88,2 milliards d'euros à 69,8 milliards d'euros. En outre, l'instabilité financière a donné lieu à différentes hypothèses sur la recapitalisation de certaines banques ou sur un éventuel recours à des cessions de participations. Il est donc encore plus légitime de s'interroger cette année sur la fiabilité et l'efficacité de la gestion par l'État de ses participations.
Deuxième remarque, j'insiste sur le fait que la discussion du projet de loi de finances initiale est quasiment le seul moment, excepté les grandes lois de nationalisation ou de privatisation, où le Parlement est amené à débattre de l'État actionnaire, de son rôle, de sa politique, de sa stratégie et de l'étendue de ses missions. A ce titre, je pense qu'il serait intéressant de pouvoir suivre, tout au long de l'année, de manière plus régulière, l'activité effective de ce compte, ce qui nous permettrait d'en aborder les aspects financiers, mais surtout stratégiques, notamment en matière industrielle qui relève de la compétence de notre commission.
J'en viens maintenant à la présentation de ce rapport, qui est structuré en trois parties. La première reprend les spécificités du compte et les orientations budgétaires pour 2012. La seconde établit un premier bilan de la réforme de l'Agence des participations de l'État (APE) intervenue en 2010. La troisième enfin revient sur l'opportunité de la réflexion sur une redéfinition du périmètre des participations de l'État.
Concernant la première partie, je voudrais insister, vous l'aurez compris, comme mes prédécesseurs l'ont fait avant moi, sur le flou d'un compte qui cumule un certain nombre de limites : les dépenses et les recettes ne sont « qu'indicatives » et surtout l'écart entre les prévisions et l'exécution est tout à fait considérable, à tel point qu'il remet en cause la pertinence des informations regroupées par ce compte et la sincérité de l'information de ce budget. A titre d'exemple, les recettes prévues pour 2010 par la loi de finance initiale s'élevaient, comme cette année, à 5 milliards d'euros. Or, l'exécution du budget en 2010 a donné lieu à l'encaissement de seulement 2,9 milliards d'euros, soit un écart de plus de 2 milliards d'euros.
Et cette approximation dans les informations transmises est particulièrement regrettable dans la période actuelle, qui rendrait nécessaire une vision plus précise de la stratégie de l'État dans la crise.
C'est un fait, bien sûr, que la stratégie de cession dépend très largement de la situation des marchés, en outre actuellement très difficile, des projets stratégiques des entreprises intéressées, de l'évolution de leurs alliances ainsi que des orientations industrielles retenues par le Gouvernement. Bien entendu certaines données doivent être tenues secrètes pour ne pas mettre en péril des opérations importantes par l'impact qu'une trop grande publicité pourrait avoir sur les cours. Néanmoins, l'information du Parlement pourrait être améliorée par une mise en regard plus systématique, chaque année, des prévisions du compte d'affectation spéciale et de la réalité de l'exécution des exercices précédents, ou encore par des débats plus réguliers sur la stratégie de l'État actionnaire. Ainsi, le Parlement pourrait être mieux associé à l'examen et à l'évaluation de cette mission essentielle, plutôt que se contenter d'examiner, chaque année, des données identiques et déconnectées de la réalité qui, elle, ne manque pas d'être changeante d'une année sur l'autre.
Cette année par exemple, on pourrait être légitimement en droit de s'inquiéter sur l'équilibre d'un compte qui - au-delà du chiffre affiché de 5 milliards d'euros - ne prévoit en réalité presque pas de recettes alors que 860 millions d'euros de dépenses sont déjà prévues d'après les informations que m'a transmises l'APE. Il y a donc un vrai débat qui mérite d'être posé : soit les conditions de marché permettront de financer les dépenses par une ou plusieurs actions de cession avec le risque de réaliser des moins-values ; soit les conditions de marchés ne le permettront pas et les dépenses devront être équilibrées par une dotation budgétaire alors même que la situation de nos finances publiques ne s'y prête pas forcément.
Dans une deuxième partie, j'ai souhaité insister sur la deuxième dimension qui contribue à faire de l'année 2012 un moment crucial pour la politique des participations publiques : celle de la rénovation profonde de la fonction de l'État actionnaire.
En effet, c'est un acteur rénové et modernisé qui est aujourd'hui confronté à la crise puisqu'une nouvelle « fonction » a été créée à la tête de l'État actionnaire, un « commissaire aux participations de l'État », nommé le 15 septembre 2010. En outre, le décret du 31 janvier 2011 modifiant le décret constitutif de l'APE du 9 septembre 2004 a bien montré le souci de s'inscrire dans une perspective de définition d'une stratégie industrielle sur le long terme pour le pays, comme le montre par exemple le dialogue entre EDF et Areva au sein d'un partenariat stratégique. Une remarque néanmoins : le co-actionnariat, dans certains cas, de l'APE et du Fonds stratégique d'investissement (FSI) peut risquer de brouiller la stratégie de l'État et la distinction des rôles entre ces deux acteurs. Un récent rapport d'information de notre collègue Jean-Pierre Fourcade l'a très bien montré.
Au-delà de la symbolique, je voudrais souligner que le bilan de cette réforme, un an plus tard, montre aussi de réels changements dans la pratique de la gestion de ses participations par l'État.
A titre d'exemple de la mise en avant de l'objectif de stratégie industrielle, on peut relever que l'Agence des participations de l'État a désormais recours à la pratique d'études sectorielles pour mieux anticiper les intérêts stratégiques des prises de participation de l'État. Ainsi par exemple, une étude a été menée sur le secteur particulièrement émietté de la Défense afin de délimiter les contours d'un périmètre qui puisse épouser ceux d'une véritable politique industrielle en matière de défense. Le rapprochement entre Thalès et Safran résulte ainsi de cette initiative.
Je regrette seulement que pour l'exercice 2012, les indicateurs de performance de ce compte n'aient pas évolué et n'aient pas pris en compte la réforme institutionnelle de l'APE et les orientations de bonne gouvernance mises en oeuvre en 2011, passant ainsi sous silence l'objectif de stratégie industrielle pourtant mis en avant par la nouvelle organisation de l'APE.
D'autres améliorations sont également visibles en matière de gouvernance des entreprises publiques : la formation des administrateurs de l'État a été renforcée ; le taux de distribution de dividendes a diminué à 55,7 % du résultat net en 2010 contre 59,5 % en 2009 et il devrait encore baisser à 53 % en 2011 ; pour ce qui est de la parité, on observe une hausse de plus de 15 % en un an du nombre des femmes au sein des conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre de l'Agence des participations de l'État.
Enfin, j'ai souhaité m'interroger sur la pertinence de la redéfinition du périmètre de l'État actionnaire, sur son efficacité ainsi que sur sa structuration et son poids stratégiques. Beaucoup d'éléments incitent à cette réflexion : la situation de nos finances publiques d'une part, mais aussi l'intérêt que pourrait avoir l'État à entrer au capital de certains établissements financiers.
L'accent mis sur l'objectif de développement industriel et économique de long terme selon une vision stratégique du pilotage des participations de l'État pose la question d'entreprises peu stratégiques, au sein desquelles l'État détient des participations, comme par exemple Aéroports de Paris, dont la participation de l'État atteint 2,7 milliards d'euros. Certains responsables politiques sont même allés jusqu'à envisager une reprise des privatisations sous la forme de cessions d'actifs jugés peu stratégiques. La situation de nos finances publiques justifierait-elle que l'État s'engage dans des cessions qui lui feraient courir le risque de réaliser des moins-values ? Avec un total de 69,8 milliards d'euros de participations cotées, quel pourrait être l'impact d'un tel choix face à notre colossale dette publique qui devrait s'élever en 2012, je vous le rappelle à environ 1 800 milliards d'euros ?
Je pense ainsi qu'il serait souhaitable que la représentation nationale puisse avoir un débat éclairé sur les entreprises à participation publique peu stratégiques ou au sein desquelles l'État détient des participations de manière très minoritaire (moins de 20 %).
En conclusion, mes chers collègues, ce compte d'affectation spéciale, en tant que tel, trouve aujourd'hui deux limites : d'une part, le caractère approximatif des données qu'il affiche ne permettent pas une information du Parlement satisfaisante et surtout ne reflète pas l'importance des enjeux stratégiques qui s'y jouent ; d'autre part, la relative inactivité de ce compte depuis quelques années avec des recettes de cession de plus en plus faibles et incertaines compte tenu de l'instabilité des marchés financiers conduit à s'interroger sur son périmètre.
C'est donc pour ces deux raisons, et malgré l'évolution notoire et concrète de la gouvernance de l'Agence des participations de l'État qui fait de l'État actionnaire un acteur essentiel d'une politique industrielle stratégique pour la France, qu'à titre personnel, je m'abstiendrai sur le vote de ces crédits.