Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 mai 2010 : 1ère réunion
Projets de conventions élaborées dans le cadre de la mise en oeuvre de l'emprunt national — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

En application de l'article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, le Premier ministre a transmis les 11 et 14 mai derniers aux commissions compétentes du Sénat dix projets de conventions relatives aux actions financées par l'emprunt national. Nous sommes appelés à formuler à leur sujet des observations adressées au Premier ministre, version édulcorée de l'avis de la commission que nous proposions lors de l'examen de la loi de finances relative à l'emprunt national. J'ai rédigé un projet de lettre qui pourrait être considéré comme l'avis de la commission.

Les dix projets portent sur un montant de 6,85 milliards d'euros, soit environ 20 % du total de l'emprunt national. Deux d'entre eux, qui concernent respectivement les équipements d'excellence et le secteur de la santé et des biotechnologies, prévoient l'affectation de capitaux non consomptibles, déposés au Trésor public et dont seuls les intérêts pourront être dépensés.

Le cahier des charges fixé par la loi est globalement respecté : les actions seront financées à hauteur des sommes annoncées, un échéancier pour l'engagement des crédits a été établi et les conditions de rémunération des capitaux non consomptibles précisées ; les textes décrivent l'organisation comptable et les modalités du suivi comptable et prévoient la restitution à l'Etat des fonds non consomptibles. Sur ce dernier point, nous demanderons des éclaircissements : il faut distinguer entre les capitaux servant à financer des projets régulièrement remis en concurrence et renouvelés et ceux qui financeront des projets uniques, one shot, comme les « initiatives d'excellence » ou les « campus technologiques innovants » : dans le premier cas, la restitution serait « possible » à l'issue de l'investissement, dans le second cas les structures bénéficiaires seraient dotées de manière pérenne.

Je me félicite également de voir que la procédure de redéploiement des fonds a été clarifiée et l'évaluation des investissements organisée. Enfin, il est fait référence aux réglementations communautaires, notamment dans les projets de convention relevant de la mission « Économie », ce qui évitera de voir se reproduire les déboires de l'ancienne Agence de l'innovation industrielle.

Cependant, j'assortirai ce jugement d'ensemble de plusieurs réserves. L'impact de l'emprunt national sur la croissance potentielle de notre pays dépend du choix des actions financées. Or les projets de conventions multiplient les structures de proposition et de décision : comités de pilotage, de sélection, d'engagement, de suivi, commission des aides, commission nationale des investissements d'avenir, etc. Cette sorte de polysynodie nuira, je le crains, à l'efficacité de l'ensemble.

La transparence du processus de sélection est, en outre, loin d'être parfaite. La sélection effectuée par les jurys d'experts pourra être modifiée par le comité de pilotage, puis par le commissaire général à l'investissement, et finalement par le Premier ministre. L'expérience des pôles de compétitivité doit nous alerter : je ne suis pas sûr que ce processus complexe soit le meilleur moyen de garantir le respect des critères de sélection, au premier rang desquels la plus-value pour l'économie nationale. En tout état de cause, il serait souhaitable que toute modification apportée par un échelon supérieur soit motivée par écrit, afin que les commissions parlementaires puissent exercer efficacement leur pouvoir de contrôle sur pièces et sur place.

Il faudrait également porter une attention plus soutenue aux coûts de gestion de l'emprunt national, qui a un effet inflationniste sur les dépenses courantes des opérateurs : l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) bénéficie ainsi d'un nouveau relèvement de 25 équivalents temps plein de son plafond d'emplois pour 2010, alors qu'elle s'est déjà vu accorder 50 emplois supplémentaires et 45 redéploiements pour mettre en oeuvre les mesures du Grenelle de l'environnement, soit au total 120 emplois. En ce qui concerne l'Agence nationale de la recherche (ANR), premier délégataire des fonds de l'emprunt national, le détail de ses moyens doit faire l'objet d'une convention financière spécifique, qui n'a pas encore été rédigée.

Pour réussir, l'emprunt national doit exercer un effet de levier, estimé pour l'ensemble des dix conventions à 13,6 milliards d'euros. Mais si chaque projet comprend une évaluation de l'effet attendu, on ne sait sur quoi celle-ci se fonde. Les projections qui figurent dans la convention pour la rénovation thermique des logements privés paraissent très optimistes : souvenons-nous de ce que disait M. René Ricol. Pour ce qui est des aides à la réindustrialisation, la commission relève une contradiction entre l'exigence d'un cofinancement privé représentant au moins 25 % de l'aide, soit un minimum de 50 millions d'euros par rapport aux fonds de l'emprunt, et l'estimation de l'effet de levier à 200 millions d'euros, soit une participation privée égale à celle du public mais quatre fois supérieure à l'exigence minimale. Enfin, on attend sans doute trop des collectivités locales, dont les marges de manoeuvre sont très réduites.

Je finirai par quelques remarques plus ponctuelles. En ce qui concerne les projets relevant de la mission « Économie », je me félicite des modalités de rémunération des gestionnaires du fonds d'amorçage pour les entreprises innovantes, mais je m'interroge sur la portée des engagements demandés aux entreprises qui bénéficient des aides à la réindustrialisation. Que se passera-t-il si l'entreprise aidée ne maintient pas ses emplois dans les cinq années qui suivent la fin de l'investissement ? Quant aux projets relatifs aux démonstrateurs écologiques, aux équipements d'excellence et à la santé et aux biotechnologies, il est inacceptable que l'intéressement financier de l'Etat soit une simple possibilité, et non un élément central du dispositif.

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