Je vais vous présenter une évaluation de la politique du crédit d'impôt recherche (CIR) et un bilan de la réforme de 2008, qui s'appuient sur des entretiens conduits au cours des douze derniers mois avec des industriels, des représentants d'organisations professionnelles, des membres de l'administration fiscale, ainsi que sur des études qualitatives menées par les ministères de la recherche et de l'économie. En outre, je dispose depuis une semaine des chiffres relatifs au CIR pour l'année 2009, portant sur les dépenses de recherche et développement réalisées par les entreprises en 2008.
Les dépenses de recherche et développement sont nécessaires à la croissance économique d'un pays à moyen et long terme : sans vous citer les travaux des économistes, je vous renvoie à mon rapport écrit ainsi qu'au rapport d'information sur les incidences économiques d'une augmentation des dépenses de recherche en Europe rédigé par Joël Bourdin en juin 2004. Elles sont indispensables à la souveraineté économique, comme l'ont montré les travaux de la mission commune d'information sur les centres de décision économique. Plusieurs intervenants ont alors expliqué que la présence sur le territoire d'un pays de centres de recherche lui permet de conserver la maîtrise du processus industriel : comme le disait Alain Juillet, alors haut responsable chargé de l'intelligence économique, « dès lors que les brevets sont déposés à l'étranger, toute la substance vive de l'entreprise y est transférée, ce qui implique qu'à terme cette entreprise ne sera plus française. (...) Une entreprise qui se contente d'être une industrie de main-d'oeuvre n'est plus une entreprise nationale. » Ces dépenses permettent enfin de maintenir sur notre sol des activités de production, car les entreprises apprécient la proximité entre centres de recherche et de production.
Or les entreprises n'investissent pas spontanément autant qu'il est nécessaire pour la société, d'une part parce que les résultats de la recherche sont incertains, d'autre part parce qu'en cas de succès, il est fréquent que les bénéfices de ces travaux ne reviennent pas au seul investisseur. Voilà pourquoi les aides publiques sont légitimes. La France, comme d'autres pays, associe des aides directes à l'investissement, notamment par le biais d'Oseo, et une aide fiscale, le CIR. Une aide non sectorielle de ce type est généralement efficace dans les pays où le taux de l'impôt sur les sociétés est élevé.
Or, parmi les grands pays industriels, la France se situe dans le « ventre mou » en termes d'investissements en recherche et développement : nous y consacrons 2,04 % du PIB, dont 1,29 % seulement pour le secteur privé, ce qui nous place un peu en-dessous de la moyenne de l'OCDE. Cette part a décliné au cours de la dernière décennie, ce qui est en contradiction avec les objectifs fixés au Conseil européen de Barcelone en 2002 et dangereux pour l'avenir de notre économie. Certes, dans un secteur donné, les entreprises françaises n'investissent pas moins que les autres, mais nous avons du mal à faire émerger et croître des entreprises actives dans les secteurs de demain. Le CIR n'est qu'un outil parmi d'autres, mais le président de l'Agence française pour les investissements internationaux souligne son caractère fortement attractif vu de l'étranger.
Le CIR, créé par la loi de finances pour 1983, s'appliquait alors à l'excédent des dépenses de recherche et développement consenties au cours d'une année par rapport à l'année précédente. Il était en outre plafonné à 450 000 euros. Les réformes successives ont modifié radicalement sa physionomie. La loi de finances pour 2004 a introduit une part « en volume» au taux de 5 %, en plus de la part « en accroissement » qui passait au taux de 45 %. La loi de finances de 2006 a renforcé cette tendance en portant le taux de la part en volume à 10% et celui de la part en accroissement à 40 %. La loi de finances pour 2008 a achevé ce tournant en triplant la part « en volume », dont le taux de droit commun est désormais de 30 %. Toutefois, ce taux est de 50 % la première année et de 40 % la deuxième année, et certaines dépenses, comme les salaires des jeunes docteurs ou les recherches confiées aux structures publiques de recherche, entrent dans l'assiette pour le double de leur montant. La part en accroissement a été supprimée ainsi que le plafond de 16 millions d'euros de crédit d'impôt. Enfin, au-delà de 100 millions d'euros de recherche et développement, le taux n'est plus que de 5 %.
Le CIR a ainsi changé de nature : d'une « niche» ou d'un coup de pouce ponctuel aux entreprises l'année où elles font un effort particulier, ce dispositif est devenu structurant. En outre, une mesure exceptionnelle de remboursement immédiat du CIR s'applique en 2009 et 2010 du fait du plan de relance, alors qu'en temps ordinaire le crédit d'impôt est imputable sur les trois années suivant les dépenses auxquelles il s'applique - sauf exception pour les jeunes entreprises innovantes.
On peut aujourd'hui constater les premiers effets de la réforme de 2008, mais les chiffres dont je dispose sont issus de données fiscales, non de l'enquête annuelle sur les dépenses de recherche et développement ; ils ne montrent que l'évolution des déclarations des entreprises qui ont souhaité bénéficier du CIR pour tout ou partie de leurs dépenses, sans prétendre à l'exhaustivité. Depuis la réforme de 2004, le nombre d'entreprises déclarantes et le montant du CIR n'ont cessé de croître. En 2008, le nombre de déclarants a connu une forte augmentation de 34 % pour atteindre 12 949, au lieu de 9 653. Près de 90% des « nouveaux déclarants » sont des PME et près des deux tiers des PME indépendantes au sens fiscal : le CIR, loin de bénéficier aux seules grandes entreprises, a su séduire un nouveau public.
Comme l'avait prévu M. Marini, le coût de cette mesure a bondi : en un an, les créances sont passées de 1,682 à 4,155 milliards d'euros, soit une hausse de 147 %. Cette évolution est bien due à la modification du régime fiscal et non à un changement significatif de l'assiette du crédit d'impôt : en 2008, les dépenses déclarées par les entreprises ont atteint 15 426,7 millions d'euros, en progression de 0,9 % par rapport à 2007. Ce chiffre est difficile à interpréter puisqu'il résulte d'effets contradictoires : les sociétés qui n'avaient pas recours à ce dispositif ont été incitées à se manifester, et les grandes entreprises à déclarer l'ensemble de leurs dépenses du fait du déplafonnement du CIR ; mais, d'après le ministère de la recherche, les grands groupes sont plus précautionneux dans leurs déclarations car le déplafonnement implique que toutes les dépenses déclarées soient éligibles, et donc puissent être contrôlées. Il serait donc plus prudent d'attendre les chiffres rendant compte de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) en 2008. Une augmentation de l'ordre de 1 % serait un signe encourageant au vu de la dégradation de la conjoncture économique à l'automne 2008.
La répartition du crédit d'impôt recherche par taille d'entreprises ne fait pas apparaître de bouleversement majeur par rapport à 2008. Les PME recueillent 43,9 % du total du CIR en 2009, contre 35,2 % seulement en 2008.
Les entreprises de plus de 5 000 salariés progressent également, de 6,3 % à 8,4 %, très probablement sous l'effet du déplafonnement : même au taux de 5 %, le crédit d'impôt recherche a rapporté davantage aux plus grands investisseurs. Vingt sociétés ont ainsi bénéficié de près de 1,2 milliards d'euros de remboursements, soit un coût de la part à 5 % qui s'établit à 588 millions d'euros.
Ces chiffres sont cependant à nuancer, tant du fait de la présence de la ligne « non renseignés », qui concerne 13,7 % des entreprises déclarantes, que du fait de la délicate prise en compte des sociétés non indépendantes d'un point de vue fiscal - plus des deux tiers des sommes perçues - sans que l'on puisse préjuger de la taille des groupes concernés. Il semble toutefois que le crédit d'impôt recherche n'ait pas été orienté massivement vers les plus grandes entreprises après l'entrée en vigueur de la réforme.
La répartition sectorielle mérite elle aussi quelques commentaires. Les industries manufacturières et les holdings, regroupés dans les chiffres du ministère, ont perçu ensemble 65,2 % du CIR en 2009, dont 33 % pour les holdings.
Je m'étais plaint, en novembre dernier, de l'impossibilité de différencier ces holdings selon leur secteur, d'où certains rapprochements un peu hâtifs, tant de la part de l'Assemblée nationale que du Conseil des prélèvements obligatoires, entre ces holdings et le secteur bancaire. Je me réjouis donc que le ministère ait entrepris ce tri, qui laisse d'ores et déjà apparaître que plus de 70 % du crédit d'impôt recherche perçu par les holdings entrent dans la catégorie des industries manufacturières, tandis que la part du secteur bancaire ne se trouve pas augmentée : c'est propager une idée fausse que de prétendre que le crédit d'impôt recherche favorise, avant tout, l'innovation financière.
L'outil statistique reste perfectible : la montée en puissance de la catégorie des « autres services » appelle des distinctions plus fines. Selon les éléments qui m'ont été transmis, on trouve principalement des sociétés d'ingénierie, des cabinets d'architecture ou de création de logiciels.
La diminution des dépenses déclarées par les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique ne traduit pas forcément une réduction des dépenses de recherche et développement par les entreprises concernées, mais reflète peut-être une plus grande prudence dans les déclarations, la disparition du plafond ayant cette conséquence que toute somme peut désormais être contrôlée. Le maintien global de l'assiette du crédit d'impôt n'en est que plus remarquable.
La nature des dépenses déclarées n'a pas non plus évolué de façon très significative en 2008.
Les dépenses de personnel restent, avec les frais de fonctionnement, qui leur sont corrélées, le premier poste de dépense.
Les évolutions ne laissent pas apparaître de dérive. Il n'est pas juste de dire qu'ont été massivement pris en compte - on a parfois parlé de 900 millions d'euros - les investissements de mise en conformité de l'outil informatique à l'espace monétaire européen. Les amortissements sont ainsi passés de 6 % à 5 % du crédit d'impôt recherche entre 2007 et 2008. En tout état de cause, ces dépenses entraîneraient des redressements par les services fiscaux.
En revanche, on note une progression de la recherche externalisée, tant auprès des entreprises que des institutions publiques, ainsi que des dépenses relatives aux jeunes chercheurs, qui restent cependant assez modiques.
La répartition géographique fait apparaître une nette progression de l'Île-de-France et une baisse notable, en proportion, de certaines régions. Les chiffres sont difficiles à interpréter pour l'instant. L'Île-de-France bénéficie sans doute d'un effet de « siège » pour les dépenses déplafonnées : un tiers de ses bénéficiaires recueille les deux tiers du crédit d'impôt recherche.
La plupart des autres régions accusent une baisse, généralement légère, mais parfois significative, comme pour la région Midi-Pyrénées, qui subit sans doute l'effet de l'évolution des dépenses déclarées par le secteur aéronautique.
Au plan qualitatif, les enquêtes conduites par le ministère, par le Medef, ainsi que les entretiens que j'ai menés pendant mon contrôle, convergent sur quelques points essentiels. Les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d'activité, sont satisfaites de la réforme de 2008. Elles considèrent le crédit d'impôt recherche comme un outil puissant et beaucoup plus compréhensible que lorsqu'il existait une part en accroissement ; 58 % des 700 entreprises ayant répondu à l'enquête du ministère, soit un nombre significatif d'entre elles, ont été incitées par la réforme à augmenter leurs dépenses de recherche et développement en France. Au cours de mes travaux, j'ai reçu plusieurs témoignages concrets en ce sens. Des messages très convergents m'ont également été adressés par de nombreux entrepreneurs et représentants d'organisations patronales, qui estiment utile de conserver les grands équilibres du crédit d'impôt recherche sur plusieurs années ; de nombreuses petites entreprises restent toutefois circonspectes, car elles rencontrent des difficultés à cerner le périmètre des dépenses éligibles et craignent, à tort, que le bénéfice du crédit d'impôt recherche ne leur vaille un contrôle fiscal.
Au terme de cette enquête, je souhaiterais vous adresser quelques préconisations.
La première est un appel à la stabilité, par où je rejoins l'analyse du rapporteur général qui, dès l'examen du projet de loi de finances pour 2008, estimait qu'il était temps de stabiliser ce crédit d'impôt, « les efforts entrepris pour favoriser son caractère incitatif étant contrebalancés, notamment pour les PME, par sa complexité et sa révision continuelle ».
Outre que les premiers résultats du crédit d'impôt recherche rénové sont, ainsi que je vous l'ai exposé, encourageants et que les entrepreneurs eux-mêmes aspirent à une telle stabilité, les dépenses de recherche et développement, s'engageant sur le long terme, exigent un régime prévisible.
Sans doute les résultats restent-ils difficiles à interpréter, pour les raisons que j'ai évoquées, de manière brute, et seule l'évolution comparée sur plusieurs années permettra de trancher. Mais rien ne permet de dire, pour l'heure, que nous faisons fausse route ou que le crédit d'impôt recherche entraîne des abus manifestes. L'expérience mérite donc d'être poursuivie.
C'est un problème de crédibilité fiscale : quand nous faisons des choix forts et structurants, visibles tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de nos frontières, nous devons les assumer sans céder à la tentation permanente de les défaire aussitôt adoptés.
Pour toutes ces raisons, j'estime qu'il nous revient d'envoyer un message clair quant à la nécessité de stabiliser le crédit d'impôt recherche dans son architecture actuelle pendant au moins trois ans.
Cela n'interdit pas quelques améliorations à la marge. Le crédit d'impôt recherche gagnerait à financer véritablement la recherche et le développement expérimental : son assiette devrait se focaliser sur cet objet. Ainsi, si un jour un dispositif fiscal spécifique devait soutenir des dépenses d'innovation, certaines dépenses actuellement dans l'assiette du crédit d'impôt recherche devraient rejoindre ce véhicule. De même, le crédit d'impôt création devrait faire l'objet d'un article distinct au sein du code général des impôts.
A titre personnel, j'estime que la collaboration entre entreprises ou entre entreprises et organismes publics de recherche ou universités mériterait un coup de pouce supplémentaire, grâce à une augmentation du plafond des dépenses pouvant être sous-traitées. J'admets qu'il faudra cependant vérifier avec précision que ces dépenses ne sont pas sous-traitées hors de France.
Quant aux mesures de trésorerie, je rappelle qu'elles ne coûtent, au bout du compte, rien à l'Etat, qui ne fait qu'anticiper le paiement de sa dette envers l'entreprise. Je plaide en faveur de la pérennisation du remboursement immédiat du crédit d'impôt recherche pour les PME, ainsi que de la prise en compte des avances remboursables dans l'assiette du crédit d'impôt recherche. Ce débat a déjà eu lieu lors du collectif budgétaire sur le « grand emprunt ». Même si je reconnais que la pérennisation du remboursement immédiat du crédit d'impôt recherche aux PME résoudrait sans doute largement le problème des entreprises concernées, je reste, personnellement, partisan de cette mesure.
Il convient de rassurer les entreprises, en particulier celles qui n'ont pas en leur sein un service juridique et fiscal et qui, soit ne sont pas soutenues, soit reversent jusqu'à un tiers de leur crédit à un cabinet spécialisé - il n'est pas rare que 30 % du montant soit ainsi absorbé. Cette démarche pourrait passer par une plus grande formalisation des dépenses éligibles, avec une clarification au niveau réglementaire. Il ne suffit pas de s'appuyer sur le Manuel de Frascati : il faudra beaucoup de pédagogie envers les conseils naturels de ces entreprises L'excellent Guide du CIR produit par le ministère devrait être largement diffusé dans ces cercles et des séances de formation devraient être systématisées. Je le ferai d'ailleurs figurer en annexe de mon rapport écrit. Il faudra aussi un travail de proximité auprès des petites entreprises, pour lever la crainte du contrôle fiscal.
Enfin, nous devons nous doter d'une véritable stratégie d'évaluation de cette dépense fiscale de plus de 4 milliards. Le rapport annuel adressé au Parlement, qui ne doit pas nous dispenser de mener nos propres investigations, devra être focalisé sur la performance : quel est le véritable entraînement du crédit d'impôt recherche, de telle ou telle de ses tranches ? Faut-il réorienter telle somme vers un autre segment de la recherche et développement ou mieux prendre en compte les différences de taille des entreprises ? Telles sont les questions auxquelles il devra répondre.
L'exemple pour moi le plus éloquent concerne la tranche de 5 % au-delà de 100 millions. Le risque d'effet d'aubaine m'y semble le plus fort car quelle est la véritable capacité d'entraînement d'un crédit d'impôt de 5 % ? J'ai donc un vrai doute sur cette question, un doute à 600 millions - 588 millions en loi de finances pour 2009. Ce n'est pas rien compte tenu de l'état de nos finances publiques... C'est pourquoi nous devrions, à mon sens, dès la prochaine session budgétaire, engager avec le Gouvernement, sur cette question, un vrai débat, dont un amendement pourrait constituer le support.